Moins d'heures d'enseignement général et professionnel et plus d'heures en entreprise, voilà en somme ce que prévoit la nouvelle réforme des lycées professionnels voulue par le chef de l'Etat. Une réforme contestée par les professeurs et élèves de ces filières, venus manifester à Paris ce jeudi 17 novembre.
C'est l'un des grands chantiers du second quinquennat d'Emmanuel Macron: la réforme des lycées professionnels qui concerne 650 000 élèves en France. Mené par la ministre déléguée Carole Grandjean, la réforme prévoit entre autres une augmentation de 50% du temps de stage des lycéens dès la rentrée 2023, la création de "demi-journée avenir" dès la 5e ou encore une adaptation des filières aux bassins d'emplois. France 3 Paris Ile-de-France a donné la parole à des professeurs et élèves de filières professionnelles et générales.
Dominique Duthoit, professeur de lettres et d'histoire au lycée Jean Monnet à La Queue-lez-Yvelines
Pour cette enseignante, la réforme du lycée professionnel va rendre plus difficile l'insertion des jeunes dans l'enseignement supérieur.
"Nous sommes venus manifester notre opposition à la casse des lycées professionnels qui va compromettre les chances de réussite de nos élèves, notamment pour leur poursuite d'études post-bac. Les prises de décisions de cette réforme sont pyramidales et autoritaires. Il n'y a pas eu de réelles concertations, pour preuve, les semaines de stage vont être augmentées de 50% en passant de 22 à 33 semaines sur les trois années de bac pro."
On conditionne une formation scolaire et professionnelle à la demande du marché économique
Dominique Duthoit
"Nous faisons ce métier pour former de futurs citoyens, et pas seulement des futurs travailleurs. Il faut d'ailleurs noter que ces élèves, avec la réforme, seront assujettis à des demandes de bassin d'emploi, ce qui est très dangereux car on conditionne une formation scolaire et professionnelle à la demande du marché économique. C'est très réducteur."
Yannis Bellotto, étudiant en BTS
Il y a peu, il suivait une formation en bac pro géomètre. Aujourd'hui, il est venu accompagner des jeunes élèves du lycée Dorian, dans le XIe arrondissement de Paris.
"Je suis contre la réforme et la fermeture des sept lycées professionnels à Paris. Le lycée Dorian est concerné avec 216 élèves qui vont arriver, ce qui entraînera une surcharge des classes."
"La diminution de l'enseignement général est un autre problème de cette réforme car les employeurs vont se retrouver à former des élèves mais ils n'auront pas le temps de le faire. C'est incompréhensible ! "
Bruno Doizy, professeur de lettres et histoire dans lycée professionnel à Malakoff (Hauts-de-Seine)
Il est venu manifester contre la réforme et ses conséquences sur les élèves souvent issus des milieux populaires, mais également sur les professeurs contractuels.
"Je suis en grève car je suis absolument choqué de la rapidité avec laquelle le gouvernement a annoncé la réduction du nombre d'enseignements des élèves des milieux populaires. Cela revient à balayer d'un revers de main leur scolarité.
Cela revient à balayer d'un revers de main leur scolarité.
Bruno Doizy
"Ce qui veut aussi dire qu'il faut s'attendre à un plan social, car la réduction du nombre d'heures de cours signifie qu'il y aura une réduction des professeurs. Nous sommes très inquiets pour nos collègues contractuels. Que vont-ils devenir, et où vont-ils aller ?"
"De plus la réforme ne permettra pas une meilleure insertion professionnelle, on la favoriserait s'il y avait du boulot. Mais nous sommes dans un pays avec des millions de chômeurs. Cette réforme est un argument de plus du gouvernement pour masquer une fois encore la suppression des moyens dans les établissements publics. On se voit, comme les hôpitaux et autres services publics, que l'on brade alors que le gouvernement augmente le budget de l'armée et des entreprises. Autant d'argent qui ne va pas dans le service public et dans l'intérêt de nos élèves de banlieues."
Colombine Bonniau et Naomi Campon, deux lycéennes de 16 ans, scolarisées à Elisa Lemonnier à Paris
Ces élèves de seconde générale vont devoir changer d'établissement, si la réforme passe.
Naomi : "Je trouve ça inadmissible de fermer des classes en filière générale pour accueillir d'autres élèves alors qu'on a la place d'accueillir de nouveaux élèves tout en gardant ces filières. On est mobilisé depuis quelques temps maintenant pour faire changer les choses. Nos enseignants sont présents mais on a décidé de venir de nous-mêmes à la manifestation. "
Si la réforme passe, nous allons perdre en qualité d'enseignement
Naomi
Colombine : "Nous sommes dans un lycée polyvalent avec des petites classes, et souvent en demi-groupe. Nous sommes alors à douze, ce qui nous permet d'avoir un suivi personnalisé. Si la réforme passe, nous allons perdre en qualité d'enseignement. Nous allons devoir changer d'enseignants, de cadre... Je pense que ça va en perturber plus d'un."
Etienne Despioche, élève en terminale au lycée Elisa Lemonnier à Paris
Il est à l'origine de la mobilisation dans son établissement. S'il n'est pas concerné par la réforme, il se sent toutefois investi du devenir de son lycée.
"On a crée un groupe Instagram pour exposer nos idées et nos revendications. Ce qui m'inquiète c'est que je ne veux pas que des élèves qui se sentent bien dans un lycée se retrouvent à Paul Valéry, dans un lycée dégradé où il y a beaucoupp de monde avec une ambiance qui est moins bonne avec des classes à 40 élèves. Ça va être l'usine !"
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Jean-Baptiste Poiaghi, professeur en lettres et histoire au lycée de Jean Jaurès à Argenteuil
Pour lui, le problème de la réforme est qu'elle creuse l'écart entre le niveau des élèves.
"Cette réforme ne permettra pas une meilleure insertion puisqu'une partie de ces jeunes auront la capacité de faire un tâche précise mais ils ne seront pas en mesure de réaliser des tâches complexes à cause de la diminution de l'enseignement général et professionnel."
"Des élèves en chaudronnerie ne pourront plus avoir la chance de travailler chez Airbus par exemple, et ils feront pour certains de la ferronnerie toute leur vie. Ce n'est pas notre objectif, notre objectif à nous est que ces élèves aient la possibilité de choisir leur métier pour avoir un niveau de qualification qui leur permet d'évoluer dans le monde du travail."
Notre objectif à nous est que ces élèves aient la possibilité de choisir leur métier pour avoir un niveau de qualification qui leur permet d'évoluer dans le monde du travail
Jean-Baptiste Poiaghi
"Nos élèves voient déjà les conséquences de la réforme de 2018 qui avait entraîné une diminution des heures de cours. Quand on leur dit qu'ils vont avoir encore moins d'heures de formation initiale, ils nous disent 'Mais on va être des abrutis !'. A croire que le plan du gouvernement est en effet de former des abrutis..."