C’est l’histoire d’une femme qui, seule sur scène, dans un seul souffle, va nous raconter tous les épisodes de sa vie. Dans cette pièce, que l’on peut voir au théâtre du Rond-Point à Paris, la parole est à une femme qui s’oppose au monde des hommes.
Le théâtre du Rond -Point à Paris propose jusqu’au 1er décembre 2019 la pièce de Pierre Notte : L’histoire d’une femme. Tout commence par un point de bascule, le moment où elle tombe, parce qu’un type qui passe en vélo, lui met une claque violente aux fesses, comme elle l’explique sur scène dans une seule phrase :
"Ça se passe n’importe où dans une rue à l’extérieur je tombe je suis tombée un type est passé à vélo devant moi juste là je traversais il a fait ça en passant il a claqué sa main il a, comment je peux dire ça il m’a claquée là, sur les fesses en passant à vélo et il a ri fort très fort il a claqué très fort et il a ri très fort aussi et il est parti."
Et je suis tombée, voilà comment je suis tombée je suis à terre et je ne réponds plus.
Elle choisit de ne pas se relever immédiatement. D’ailleurs les hommes qui passent à ce moment-là dans la rue ne l’aident pas vraiment.
Une véritable épiphanie
La violence de leur inaction acquiert pour elle la forme d’une véritable épiphanie. Débute alors son récit, celui d’une femme en prise avec toutes les formes de misogynie. L’auteur Pierre Notte confie la genèse de cette intrigue dans un entretien à Théatre-contemporain.net. Un soir de 2017, à Paris, rue du Faubourg Saint-Honoré, alors qu’il rentre chez lui, il assiste vraiment à cette scène d’un homme à bicyclette qui claque très violemment les fesses d’une passante et part en riant. Le dramaturge s’approche pour aider la femme, mais celle-ci, sans doute par peur, le rejette. Il conclut alors qu’il lui "a semblé comprendre que l’homme pouvait devenir l’ennemi des femmes."
La misogynie ordinaire
Ce spectacle trouverait donc sa source dans la honte et la tristesse de l’auteur, celles d’avoir laissé cet homme à vélo rire grossièrement de son forfait. Elle partirait de la culpabilité d’un homme qui n’a pas su secourir une femme, à laquelle il a choisi de ne pas donner de nom. Cette inconnue "passe en revue les attaques, insultes et sous-entendus des hommes qui l’entourent : son père, son compagnon, le buraliste ou le patron, le médecin ou le passant. Signes flagrants ou invisibles d’une société phallocrate, sexiste, qu’elle refuse d’affronter." Désormais pour toute réponse, elle se tait et cela les destabilise terriblement. Formidable de bout en bout, c’est la comédienne Muriel Gaudin qui incarne cette femme qui "se relève et s’oppose, raconte sans ménagement pourquoi ce monde d’hommes n’est plus respirable", comme le précise l’auteur Pierre Notte dans le dossier de presse.
"Elle ne jouera plus le jeu de la guerre des sexes, ce serait cautionner la bataille. Elle oppose son silence, et ça les rend fous. Elle refuse pour autant de renoncer à ses désirs, aux plaisirs. Elle va chercher à comprendre comment ça marche, un homme."
L’auteur est un homme
Pierre Notte en signe aussi la mise en scène. Il est également artiste associé du Rond-Point et auteur prolixe de pièces à l’humour corrosif : C’est Noël tant pis ; Sur les cendres en avant ; La Nostalgie des blattes. Sa biographie nous rappelle qu’il est aussi romancier, l’auteur de Quitter le rang des assassins (Gallimard), et qu’il compose avec L’histoire d’une femme, en 2017, bien avant les affaires « Weinstein » et « Me Too », le portrait d’une femme qui résiste aux schémas sexistes et au conditionnement social. Deux ans après la libération de la parole, il est intéressant de découvrir ce spectacle inscrit dans son époque.
Nouvelle interview sur ma chaîne avec Pierre Notte sur la scène de la salle Topor au @RondPointParis pour parler de l’effort d’être spectateur mais aussi de l’histoire d’une femme. ❤️✨ pic.twitter.com/HuVjSqlnQl
— Plain Chant (@chant_plain) November 13, 2019
Dans le dossier de presse, comme à son habitude pour tous les spectacles du Rond-Point, Pierre Notte recueille les propos d’un protagoniste, ici la comédienne Muriel Gaudin. Sauf que dans ce cas là, tel Janus, il est intervieweur et auteur en même temps. Un exercice étonnant de funambulisme en miroir. Extrait :
Pierre Notte : "Ce texte surfe sans complexe sur la vague « me too » et autres remugles féministes. L’auteur est-il un opportuniste ? "
Muriel Gaudin : "Un homme qui écrit un monologue de femme c’est toujours suspect. Mais, au risque de vous décevoir, la pièce a été écrite avant l’affaire Weinstein. Quand je tractais pour ce spectacle dans les rues d’Avignon, après l’affaire Weinstein cette fois, on me disait souvent : « encore un truc féministe ! » Pas à la mode, trop à la mode... Ce sujet sera toujours plus importun qu’opportun."
Comédienne virtuose, Muriel Gaudin se retrouve seule en scène pour incarner des dizaines de personnages masculins. Elle prend la voix de tous ces protagonistes. Sans vidéo, sans effet, ni changement de costume. Pieds nus, pantalon et débardeur noir, elle a pour seuls accessoires une carafe d’eau et un verre. "Débit rapide, geste précis, elle incarne cette femme qui se relève et s’oppose, raconte sans ménagement pourquoi ce monde d’hommes, tel qu’il va, n’est plus respirable."
Seule sur scène ?
Pas tout à fait. Pierre Notte fait quelques apparitions en ombres chinoises.
Et nous surprend avec son humour caustique à plusieurs degrés. Derrière un écran blanc, et sous des sunlights multicolorés façon tropiques, il pousse la chansonnette : Femme je vous aime de Jean-Luc Lahaye, ex star des années 80 et multi-condamné pour relations avec mineure de moins de 15 ans. Un choix osé.
Femme, femme
Je te dédie ces mots
À toi, rien qu'à toi
Et ils te diront
Comment du néant
Tu as fait un homme de moi
Le silence comme arme
L’explication vient de Muriel Gaudin dans l’entretien : "Je crois que cette femme est sidérée. Elle ne reconnaît plus son histoire, elle ne peut plus être la petite fille modèle de son père, la compagne aimante, la sœur compréhensive, la femme qui attend d’être désirée, la collègue enjouée, la mère à venir, la passante importunée. Elle pourrait crier, revendiquer, attaquer, ou devenir la victime. Mais elle n’a plus rien à dire puisqu’elle n’est plus cette fille, cette compagne, cette sœur... Elle ne peut pas parler pour quelqu’un d’autre. Alors elle se tait. Elle enquête, muette et avide, pour en savoir plus, comprendre mieux, pourquoi hommes et femmes tenons-nous si bien nos rôles ? Elle quitte ce qui va de soi, et rien ne va plus. En tout cas ce ne sera plus comme avant. Je ne sais pas si c’est une nouvelle histoire qui débute pour elle, c’est au moins la joie d’essayer autrement. Mais il faudra imaginer la suite, la pièce finit quand ça commence."
Une fin ouverte
Car c’est ce qui est magnifique aussi. L’histoire de cette femme devient possible quand elle rencontre un garçon qui n’est pas encore un homme, un lycéen rencontré au hasard à qui elle offre ce paquet de cigarettes acheté pour essayer. Pendant tout le spectacle, sa voix est grave et profonde, elle nous porte dans des histoires qui se téléscopent, s’interrompent et reprennent de plus belle. L’échange devient plus doux avec l’adolescent, c’est comme une ouverture, un espoir de changement. Une fenêtre s’ouvre et laisse le spectateur bouleversé. Un texte cathartique et libérateur qui incite à une salutaire réflexion.
A voir jusqu’au 1er décembre 2019
Théâtre du Rond-Point
du mardi au samedi à 20h30 - dimanche 17h30
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
01 44 95 98 00