Julie Marangé, co-fondatrice du projet Feminists of Paris, emmène Toki Woki pour une visite de la capitale qui replace les femmes au centre de l’histoire. Feminists of Paris a eu la bonne idée de sensibiliser les touristes de la capitale au féminisme en racontant l’histoires des héroïnes françaises oubliées. Toki Woki a suivi Julie Marangé, 24 ans et co-fondatrice du projet, pour une visite d’utilité publique.
C’est quoi, Feminists of Paris ?
Julie Marangé : C’est un projet de visites féministes dans la ville de Paris, c’est-à-dire qu’on revisite Paris à travers le prisme du féminisme. Le premier objectif est de sensibiliser aux inégalités femmes-hommes, et le second est de remettre les femmes en lumière dans la ville. Aujourd’hui, on se dirige en premier lieu vers le Moulin Rouge pour parler des danseuses qui ont marqué l’histoire de cet illustre cabaret.
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On est devant le Moulin Rouge, tu peux nous en parler ?
Julie Marangé : Le Moulin Rouge a ouvert ses portes en 1889, il n’a pas énormément changé depuis. Il a aussi été surnommé « premier palace des femmes » car toute sa stratégie marketing reposait sur la beauté de ses employées. Aujourd’hui elles sont plus ou moins torse nu, mais à l’époque, elles étaient assez habillées. Sur ces photos que j’ai apportées, on peut voir l’une des danseuses les plus célèbres de l’époque, Louise Weber dite « La Goulue ».
C’est quoi, l’histoire de La Goulue ?
Julie Marangé : En 1804, Napoléon avait établi le Code civil qui reléguait les femmes au statut de personnes « débiles mentales », selon la terminologie de l’époque. Les femmes ne pouvaient donc appartenir qu’à leur mari ou à leur père. Et comme il était interdit aux femmes de venir au Moulin Rouge sans homme, La Goulue est un jour venue avec une chèvre mâle en signe de protestation. Elle portait également un collier de chien pour montrer qu’elle était sa propre maîtresse et qu’elle n’appartenait ni à son mari, ni à son père. C’est aussi au Moulin Rouge que le French cancan a été popularisé. Cette danse est née en 1829, à une époque où les femmes n’avaient pas le droit de danser seules. Le French cancan est donc apparu comme une danse éminemment féministe et subversive, et beaucoup de ses pas de danse portaient un message féministe et politique. Par exemple, mettre sa jambe en l’air et mimer une guitare avec signifiait que les femmes pouvaient elles aussi se masturber.
À Pigalle, on est entourés de sex-shops. C’est quoi, le rapport des féministes avec ces établissements ?
Julie Marangé : Les féministes ont changé d’opinion vis-à-vis des sex-shops. Dans les années 1970-1980, beaucoup de manifestantes féministes portaient des pancartes anti-sex-shops puisqu’elles les percevaient comme initiateurs de violences sexuelles. Aujourd’hui, le consensus féministe est plutôt sex-positif et propose, plutôt que d’abolir une industrie du sexe dominée par les hommes, de se la réapproprier, par exemple en créant des sex-shops féministes. Ou encore en produisant de la pornographie féministe, à l’image de la productrice Erika Lust.
On a quitté le moulin rouge pour emprunter les ruelles qui mènent à la butte Montmartre. Tu veux nous y montrer quelque chose ?
Julie Marangé : L’artiste dont je veux vous parler à présent est une street artiste du nom d'Intra Larue. Elle crée des moules de son sein à base d’argile, qu’elle décore avant de les coller sur les murs de Paris. Beaucoup de gens ont essayé de lui voler ses seins en les retirant des murs, donc elle en a changé la composition. À présent, si l’on essaie de les retirer, ils se cassent. C’est une manière de dire que son corps lui appartient, qu’on ne peut pas le lui prendre. Un peu plus loin, voici l’œuvre de Carole b., une street artiste qui sévit depuis quelques années.
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Ici, elle a représenté Simone Veil, qui a légalisé l’avortement. Elle a écrit « Liberté, légalité, féminité » pour remettre en question la devise d’une République qui, historiquement, n’a pas inclus les femmes. Le portrait de Simone Veil prend ici la forme d’un timbre, pour lui donner le même statut que Marianne. Encore plus loin, on a une oeuvre de ME-Paris qui rend hommage à Olympe de Gouges, icône actuelle du féminisme, qui avait écrit la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne après la Révolution française. Elle a été décapitée pour ça.
On est enfin arrivés en haut de la butte. Tu peux nous dire où on est ?
Julie Marangé : Nous voici devant le Sacré-Coeur, construit à la fin du XIXe siècle après la révolution de la Commune. Il est important de le rappeler, la Commune a été menée, entre autres, par Louise Michel, féministe emblématique du XIXe. On la surnommait « la vierge rouge » : elle n’était pas vierge, mais qualifier une femme de « vierge » constituait à l’époque une flatterie, une marque de vertu. Rouge pour le communisme, vierge pour la vertu, et un surnom qui fait aussi référence à Jeanne d’Arc, la pucelle d’Orléans. On la retrouve d’ailleurs en statue devant nous, sur le contrefort est du porche du Sacré-Coeur.
On est un peu redescendus, et on aperçoit un collage sur ce mur. Qu’est-ce que c’est ?
Julie Marangé : On est devant l’un des collages « stop féminicides » de Paris, réalisés par un collectif de street artists féministes. L’idée est de s’insurger et de sensibiliser aux féminicides, un concept désignant le fait de tuer une femme parce que c’est une femme et qui n’est pas encore inscrit dans la loi. En France, à l’heure actuelle, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. Il faut donc encore sensibiliser les femmes et les hommes à cette cause à travers les médias populaires et l’éducation, apprendre aux jeunes garçons à se défaire de la culture de la violence et à communiquer leurs émotions par la parole.
D’ailleurs, le collectif #NousToutes organise chaque année une marche contre les violences conjugales, sexistes et sexuelles. C’est ce collectif qui est à l’origine des graffitis « Ras le viol ! » et « Ras le sexisme » dans la capitale.