Neuf hommes comparaissent à partir de mardi, trois ans et demi après la mort de la travailleuse du sexe trans Vanesa Campos . Trois d’entre eux comparaissent pour "meurtre en bande organisée".
Le corps dénudé de la victime, à l’agonie, avait été découvert à proximité de la route du Pré Catelan, une zone reculée et sans éclairage du bois de Boulogne.
A partir du mardi 11 janvier, neuf hommes sont jugés suite au meurtre de Vanesa Campos, au cours d'une "expédition punitive". La mort de cette prostituée trans âgée de 36 ans, originaire du Pérou, remonte à la nuit du 16 au 17 août 2018 : touchée mortellement par une balle dans le thorax, elle avait été retrouvée par ses "compañeras" près d’une tenture accrochée aux branches d’arbre qui lui permettait de s’abriter des regards pour travailler.
Menaces, violences sexuelles… Les faits sont survenus dans un "climat de terreur" dénoncé par les ex-collègues de Vanesa Campos. L'enquête s'était en effet vite concentrée sur un groupe de jeunes hommes d'origine égyptienne, soupçonnés de profiter des passes pour voler les prostituées et leur clientèle, depuis plusieurs années dans le bois de Boulogne. Pour se protéger, certaines prostituées - dont Vanesa Campos - avaient engagé un homme, "Takaré", parfois aidé par un cousin. Et ce, un mois avant le meurtre de la travailleuse du sexe.
D’après l’accusation, une dizaine d’hommes s’étaient retrouvés dans un bar à chicha du XVIIIe arrondissement le soir des faits, avant de prendre la direction du bois de Boulogne en métro pour y mener une "expédition punitive" contre ces gardes du corps. Bombes lacrymogènes, couteau, taser, branches d’arbres… Ils se seraient ensuite regroupés derrière un pavillon, munis entre autres d’une arme à feu volée une semaine plus tôt dans la voiture d'un policier, alors que ce dernier se trouvait avec une prostituée. Selon les témoins, plusieurs coups de feu avaient retenti.
Neuf hommes comparaissent, dont trois pour "meurtre en bande organisée"
Trois hommes sont renvoyés devant la cour d'assises pour "meurtre en bande organisée" : Mahmoud Kadri, 24 ans, soupçonné d’être l'auteur du tir mortel sur Vanesa Campos ; Karim Ibrahim, 29 ans, soupçonné d'avoir attaqué la victime avec une matraque ; ainsi qu’Aymen Dib, 25 ans, soupçonné d’avoir porté un coup de couteau. Tous les trois contestent "formellement".
"Il ne s'agit pas d'une expédition punitive collective menée contre Vanesa Campos", affirment Me Julien Fresnault et Fares Aidel, avocats de Karim Ibrahim. "C'est un dossier de violences sur fond de délinquance au bois de Boulogne, qui prend une tournure tragique lorsque l'un des individus présent décide seul de tirer des coups de feu, à la stupéfaction des autres, expliquent-ils. L'instruction a permis d'identifier ce tireur." Mahmoud Kadri, qui avait désigné Karim Ibrahim comme le tireur et le meneur de la bande, "est en réalité mis en cause sur la foi de ses co-auteurs ou complices, dans un dossier particulièrement pollué par d'innombrables concertations survenues entre les accusés", avancent ses avocats, Olivier Parleani et Léa Dordilly.
Au-delà de Mahmoud Kadri, Karim Ibrahim et Aymen Dib, six autres hommes - âgés de 23 à 34 ans - comparaissent. Cinq d’entre eux sont renvoyés devant la cour d'assises pour leur participation à l'"expédition punitive". Le dernier comparaît pour le vol de l'arme du policier. "Dans ce dossier, on a neuf mis en cause, neuf versions différentes", déplore un avocat de la défense. A noter que la mère et la sœur de Vanesa Campos, mais également six anciennes collègues et amies de la victime, sont parties civiles au procès.
"La loi de 2016 est co-responsable de la situation d’insécurité et de précarité des personnes trans travailleuses du sexe"
Suite au drame, plusieurs marches avaient été organisées en mémoire de Vanesa Campos, notamment le vendredi 24 août, une semaine après les faits, ou encore le samedi 22 septembre 2018. L'association de défense des personnes trans Acceptess-T, également partie civile au procès, avait alors pointé du doigt la loi de 2016 pénalisant les clients des prostitués, contraignant selon l’association les travailleuses du sexe à s’isoler toujours davantage de la police, les rendant ainsi encore plus précaires et vulnérables aux agressions.
Contactée la veille de l'ouverture de l'audience, Giovanna Rincon, directrice de l'association Acceptess-T, dit attendre beaucoup du procès : "Nous espérons que le procès puisse aboutir sur la condamnation la plus sévère possible, étant donné la cruauté avec laquelle Vanesa Campos a été assassinée, et les conséquences subies par ses amies. Nous espérons que le verdict puisse aider la mère de Vanesa Campos après la perte de sa fille."
"Mais nous pensons aussi que le procès ne doit pas se réduire à la condamnation des auteurs du crime. Nous espérons que la justice puisse également considérer la responsabilité de la législation répressive, et que cela puisse faire écho dans la société civile, et amener la société et les institutions à prendre leurs responsabilités. La loi de 2016 est co-responsable de la situation d’insécurité et de précarité des personnes trans travailleuses du sexe", dénonce Giovanna Rincon.
Il y a toujours des malfaiteurs qui font la même chose, en essayant de semer la peur
Giovanna Rincon, directrice de l'association Acceptess-T
"Avant son meurtre, Vanesa Campos cherchait depuis des années à interpeller les forces de l’ordre vis-à-vis des agissements des malfaiteurs qui volaient les clients et instillaient la peur, déplore la directrice d’Acceptess-T. Depuis, les choses ne se sont pas arrêtées. Il y a toujours des malfaiteurs qui font la même chose, en essayant de semer la peur avec des violences et des viols. C’est pire, il y a encore plus de violence et de précarité."
Giovanna Rincon, qui est par ailleurs vice-présidente du CoreVIH (Comité de la coordination régionale de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine) en Île-de-France, alerte enfin sur la situation des personnes trans atteintes du Sida : "Il y a une véritable rupture d’accès aux soins, c’est dramatique en termes de santé publique".
Pour ce qui est du procès, le verdict est attendu le 28 janvier, dans deux semaines et demi.