Les concours d'admission pour intégrer Sciences Po Paris en première année de "bachelor" font régulièrement polémique. À la rentrée 2021, l'établissement avait abandonné les épreuves écrites pour le concours d’entrée, jugé discriminant pour les moins aisés. L'épreuve orale, elle, va désormais compter pour la moitié de la note au concours.
Depuis la réforme de 2020-2021, l'examen d'une candidature en première année à Sciences Po Paris se fait à travers quatre épreuves : les notes du baccalauréat ou de son équivalent étranger, le dossier et contrôle continu depuis la seconde, trois écrits personnels, notamment une lettre de motivation, et enfin un entretien à l'oral en visioconférence. La note attribuée au dossier inscrit sur Parcoursup compte jusqu'à présent pour 75% de la note finale.
Selon des informations du Monde, le directeur de l'établissement Luis Vassy, nommé en septembre dernier, a acté de nombreux changements pour le concours 2025. Il doit les présenter ce mardi 10 décembre. L'épreuve orale aura bien plus de poids que ces quatre dernières années.
Cette réforme, qui sera applicable dès le concours 2025, a été présentée ce mardi matin au conseil de l'Institut d'études politiques (IEP), organe de gouvernance de l'institution amené à se prononcer. Elle a été adoptée par 18 voix pour, 10 contre et une abstention, ont indiqué ces sources.
Signal inquiétant
L'association Ambition Campus accompagne des lycéennes et lycéens issus de milieux non-privilégiés dans leur orientation post-bac depuis 2008, et notamment pour la préparation d'entrée à Sciences Po Paris. L'association est reconnue par l'école de la rue Saint-Guillaume, pourtant elle n'a pas été informée en amont des changements de concours d'admission et a lu les informations dans la presse.
Ses membres regrettent de voir l'épreuve orale compter double pour 2025. "C'est un signe inquiétant, on sait que l'examen oral à Sciences Po Paris est très codifié or cela favorise par nature les élèves rompus à l'art oratoire et ce ne sont pas les jeunes issus des milieux populaires", estime Arif Emre Atas, 22 ans et président d'Ambition Campus.
Le nouveau directeur de Sciences Po Luis Vassy souhaitait par ailleurs que cet entretien oral se déroule désormais en présentiel (et non plus à distance), mais "il y a finalement renoncé" à ce stade, selon une source interne à l'AFP. Pour elle, "beaucoup de personnes lui reprochent la rapidité et la verticalité de cette réforme".
Dans le concours 2025, exit les écrits personnels. La partie "motivation" ne sera plus évaluée par écrit mais au cours de l'oral d'admissibilité. Or ces écrits permettaient, selon Ambition Campus, de mettre en valeur des parcours plus atypiques chez certains lycéens. "On oublie aussi qu’on développe des compétences dans l’engagement et le militantisme, c’est un revers pour nous !", s'exclame Arif Emre Atas. En octobre dernier, le directeur de Sciences Po Luis Vassy, a annoncé vouloir recruter "les élèves les plus méritants et non pas les plus militants".
Un dernier bloc devrait demeurer, celui de la "performance académique et la trajectoire" du candidat avec des critères de sélection liés au "contexte scolaire" à savoir le lycée d'origine. En novembre dernier déjà, le syndicat Union Etudiante avait dénoncé la réforme préparée par Luis Vassy.
Préparation chaque samedi
Sara, a intégré Sciences Po Paris en septembre dernier. Elle a bénéficié des ateliers CEP dans son lycée de Drancy (Seine-Saint-Denis). En première, cela consiste à apprendre à lire la presse ou à des sorties culturelles. "C'est vraiment en classe de terminale que j'ai compris ce qu'était Sciences Po", explique la jeune femme. Pendant un an, elle s'entraîne pour préparer l'admission à Sciences Po et bénéficie en plus d'un mentorat grâce à l'association Ambition Campus. Une fois par semaine elle reçoit un appel de son mentor et s'entraîne chaque samedi à des oraux blancs et des écrits à Sciences Po, là aussi, guidée par Ambition Campus. Une aide indispensable selon elle pour réussir à intégrer l'école.
Quant aux changements annoncés par la direction, "supprimer les écrits personnels est une erreur mais surtout, mettre l'oral au cœur des épreuves revient à un véritable retour en arrière.", estime Sara. Si elle admet être plutôt à l'aise à l'oral grâce à "une voix qui porte et en impose", tous ne sont pas dans son cas. "Dans les lycées en convention éducation prioritaire, les élèves peuvent avoir des tics de langage, ne pas manier tous les niveaux de langage et n'ont pas la même préparation que les autres lycéens", explique l'étudiante de 18 ans, qui aspire à rejoindre le master carrière judiciaire - juridique de l'école parisienne.
Un avis "mitigé" sur la réforme de 2021
Arif Emre Atas, 22 ans, a lui-même bénéficié de l'aide d'Ambition Campus, lui permettant de réussir le concours de la prestigieuse école en 2020. À l’époque, il est lycéen à Jean-Jacques Rousseau à Sarcelles et suit les ateliers organisés grâce à la Convention Éducation Prioritaire (CEP). Alors que le concours pour la voie générale dispose de 3 épreuves écrites et de l'évaluation d'un dossier, pour les CEP l’admissibilité est organisée au sein des lycées partenaires et repose sur une évaluation du dossier scolaire et d'une synthèse d'une dizaine de pages d'un dossier de presse. Les élèves CEP représentent alors 10% des effectifs admis.
Près de 200 lycées sont partenaires de Sciences Po via cette convention. Or, la réforme de 2021 a supprimé la spécificité de l'admission. Tous les élèves sont sélectionnés via la même procédure. "C'était un énorme travail, qui permettait aux élèves de gagner en compétences, cela nous animait. Aujourd'hui beaucoup de professeurs regrettent encore cette disparition", explique Arif Emre Atas.
La réforme de 2021 a été mise en place suite à la pandémie sur l'enseignement et les notes des élèves. L'intégration à Parcoursup a également bouleversé l'étude des dossiers comme le note un rapport de recherche d’un laboratoire de Sciences Po, publié le 6 décembre dernier. Les chercheurs soulignent "un appel d'air". Ainsi, en 2022 l'école a reçu entre environ 14 000 dossiers à examiner pour environ 1 900 admis au niveau collège universitaire.
Une bonne chose pour l'association Ambition Campus. "Cela signifie que beaucoup plus de jeunes, grâce à Parcoursup, ont pu connaître l'existence de Sciences Po Paris", explique Arif Emre. Car l'un de premiers obstacles pour les jeunes des quartiers populaires ou du monde rural, reste le manque d'accès à l'information quant aux formations de l'enseignement supérieur. Pour autant, "l'augmentation du nombre de candidatures ne s'est pas accompagnée d'une hausse aussi importante du nombre de places offertes", relève le rapport d'une centaine de pages.
Sélectivité sociale
Dans leur rapport publié début décembre, les chercheurs Marco Oberti, Alice Pavie et Mathieu Rossignol-Brunet pointent un paradoxe. Si les épreuves écrites, jugées discriminantes, sont supprimées, le dossier scolaire et individuel lui est surexaminé. Or, cela peut "s'accompagner d'une sélectivité sociale encore plus forte" puisqu’"étant donné la très forte corrélation entre niveau scolaire et origine sociale, cet état de fait limite considérablement la diversification sociale du recrutement." Bien que beaucoup d'étudiants aux résultats excellents pendant leur secondaire et refusés par Sciences Po se soient plaints d'un "manque de transparence" de l'admission.
Selon les auteurs, la réforme a renforcé la dimension scolaire du recrutement, le critère scolaire devient un déterminant majeur de l’admission. "Cela interroge la définition du mérite promue par Sciences Po et la possibilité d’y intégrer d’autres dimensions (engagement, ouverture, diversité, par exemple)", peut-on lire dans le rapport.
Sollicitée, la direction de l'établissement n'a pas encore répondu à notre demande d'interview.