Un producteur de musique a été tabassé par des policiers alors qu’il rentrait dans son studio, le 21 novembre dans le XVIIe. "J’ai eu de la chance, contrairement à beaucoup d’autres, d’avoir des vidéos qui me protègent", constate l'homme.
L’affaire survient alors que la loi sur la "sécurité globale" – et son article 24, le plus controversé – ont été adoptés en première lecture, cette semaine à l’Assemblée nationale. Michel Zecler, un producteur de musique, a été roué de coups par des policiers samedi 21 novembre à Paris, révèle ce jeudi une enquête du média en ligne Loopsider.
Tout commence samedi soir peu avant 20h, lorsque le producteur rentre dans son studio d’enregistrement, situé dans le XVIIe arrondissement de la capitale. L’homme, qui vient de croiser un véhicule de police, raconte être entré dans ses locaux pour éviter une amende. Trois policiers, qui l’ont suivi, pénètrent alors dans le sas d’entrée et le saisissent.
Coups de pied, coups de poing, coups de matraque, coups de genoux, étranglements… Le producteur est tabassé par les fonctionnaires, qui ont fermé la porte. Les vidéos diffusées en intégralité par Loopsider, qui proviennent de la vidéo-surveillance du local de la victime ainsi que d’images captées par des voisins, reflètent une agression d’une forte violence.
DOCUMENT: la séquence intégrale des 13 minutes de l'agression policière contre un producteur de musique parisien. Attention: images difficiles de violences et d'insultes racistes. pic.twitter.com/37EbfgID2T
— Loopsider (@Loopsidernews) November 26, 2020
"Sur la vidéo, on voit Michel rentrer dans les locaux, et on voit un policier l’attraper tout de suite et tenter de le faire ressortir, explique à France 3 Paris IDF David Perrotin, journaliste pour Loopsider. Michel pense qu’ils lui reprochent l’absence de son masque, mais en réalité il n’y a pas eu de mots. Lui n’a eu aucun échange avec les policiers avant de rentrer dans ses locaux. Les choses se passent très vite." Le journaliste évoque "un déchaînement de violence".
Au cours des faits, le producteur témoigne aussi avoir été visé à de nombreuses reprises par des insultes racistes, "sale nègre" notamment, de la part des policiers. A noter que le son n'est pas enregistré sur la vidéo-surveillance.
En sang, Michel Zecler explique ensuite avoir hurlé à l’aide pour prévenir les artistes présents au niveau du sous-sol. Face à l’arrivée des jeunes hommes, les policiers sont repoussés à l’extérieur du studio. Ils tentent à nouveau de rentrer en essayant de briser la vitrine. Une grenade lacrymogène est ensuite lancée dans les locaux.Ce qui est inédit dans cette affaire, c’est qu’on a pu documenter de A à Z l’intervention et les violences policières.
"J’ai eu de la chance, contrairement à beaucoup d’autres, d’avoir des vidéos qui me protègent"
Les fonctionnaires, qui ont appelé des renforts, dégainent leurs armes et finissent par faire sortir Michel Zecler, qui précise dans l'enquête de Loopsider avoir encore pris "des coups de tous les côtés". Des policiers descendent enfin au sous-sol et interpellent les autres individus, qui expliquent également s’être faits frapper.Dans une vidéo tournée par une voisine lors de l'interpellation, que France 3 Paris IDF s'est procuré, on peut entendre le producteur appeler à l'aide à plusieurs reprises. Dans une autre vidéo tournée par la même voisine, on voit l'un des policiers, avec une arme, devant les locaux.
"Les violences ne sont pas inédites, estime David Perrotin à France 3 Paris IDF. Ça fait longtemps qu’on documente les violences policières, que des jeunes peuvent être tabassés par certains policiers. Ce qui est inédit dans cette affaire, c’est qu’on a pu documenter de A à Z l’intervention et les violences policières. D’habitude, on a des extraits, des moments, mais pas l’intégralité d’un passage à tabac."
Déchirure au tendon, crâne ouvert, hématomes, plaies… Michel Zecler a reçu au total six jours d’interruption de travail. "J’ai eu de la chance, contrairement à beaucoup d’autres, d’avoir des vidéos qui me protègent", a constaté le producteur face à la presse, ce jeudi.
Quatre policiers suspendus à titre provisoire
De son côté, la préfecture de police de Paris a annoncé que l’inspection générale de la Police nationale (IGPN) avait été saisie, "afin d’établir précisément les circonstances de l’interpellation". Outre l’ouverture d’une enquête administrative, les trois policiers ont été suspendus à titre provisoire. Un quatrième fonctionnaire, arrivé en renfort, a également été suspendu.L’IGPN, la "police des polices", a également été saisie par le Parquet de Paris, dans le cadre d’une enquête judiciaire contre les policiers, pour violences par personne dépositaire de l’autorité publique et faux en écriture publique. Le Parquet a aussi classé sans suite les poursuites contre Michel Zecler.
Sur Twitter, Gérald Darmanin s’est "félicité" de la saisine de l’IGPN, "dès mardi". "Je souhaite que la procédure disciplinaire puisse être conduite dans les plus brefs délais", ajoute le ministre de l’Intérieur. David Perrotin précise que l’IGPN n’a été saisie qu’après la consultation des vidéos, "grâce à l'avocate" du producteur.[Les policiers impliqués] devraient être traités comme tout citoyen lambda qui aurait commis des faits aussi graves... Naturellement, compte tenu des vidéos, ils auraient pu être placés rapidement en garde à vue.
Me Hafida El Ali, l’avocate de Michel Zecler, a déploré ce jeudi devant la presse de fausses déclarations de la part des policiers : "Je considère que [les policiers impliqués] devraient être traités comme tout citoyen lambda qui aurait commis des faits aussi graves... Naturellement, compte tenu des vidéos, ils auraient pu être placés rapidement en garde à vue."[Intervention à Paris 17ème]
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) November 26, 2020
Je me félicite que l’IGPN ait été saisie par la justice dès mardi.
Je demande au préfet de police de suspendre à titre conservatoire les policiers concernés. Je souhaite que la procédure disciplinaire puisse être conduite dans les plus brefs délais.
Les policiers placés en garde à vue vendredi
A noter que les quatre policiers mis en cause ont été placés en garde à vue dans les locaux de l'IGPN ce vendredi. Trois d’entre eux font partie de la brigade territoriale de contact (BTC) du commissariat du XVIIe arrondissement. Le quatrième policier est celui qui a jeté une grenade lacrymogène dans le local au cours de l'interpellation du producteur.Trois des policiers sont en garde à vue pour "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique, en réunion, avec arme et à caractère raciste", "faux en écriture publique par personne dépositaire de l'autorité publique", "violation de domicile par personne dépositaire de l'autorité publique" et "dégradations volontaires de bien privé". Le quatrième est en garde à vue pour "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique, avec arme et en réunion" et « "dégradations volontaires par moyen dangereux".
Du côté de l’Elysée, l’entourage d’Emmanuel Macron a indiqué à franceinfo que le président de la République avait été "plus que choqué" par la vidéo du passage à tabac. Des images largement relayées sur les réseaux sociaux et dans les médias. Elisabeth Moreno, la ministre déléguée à l'Egalité entre les femmes et les hommes, s'est, elle aussi, dite indignée. "Nous devons ardemment condamner les policiers qui tabassent", a-t-elle ainsi déclaré à franceinfo.Nous devons ardemment condamner les policiers qui tabassent
Parmi l'ensemble des syndicats de police contactés par France 3 Paris IDF, aucun n'avait répondu à nos sollicitations le jour de la publication de l'article, jeudi.
Quant à la loi sur la "sécurité globale", le texte – qui fait polémique par rapport notamment à la diffusion d’images de policiers – pourrait être examiné au Sénat en janvier en première lecture.