Deux ans après les révélations sur les conditions de conservation désastreuses des dépouilles au Centre du don des corps de l'université Paris-Descartes, des dizaines de familles endeuillées se sont recueillies ce samedi 27 novembre. Elles dénoncent "l'omerta" sur cette affaire et réclament que la justice restitue l'honneur de leurs proches.
"Ils avaient donné leur corps à l'université Paris-Descartes. Que sont-ils devenus?". Deux ans après la découverte du charnier de Paris-Descartes, cette plaque commémorative dans l'immense cimetière de Thiais (Val-de-Marne), s'érige en mémoire des personnes qui ont fait don de leur corps à la science. Une cinquantaine de membres de l'association "Charnier Descartes, Justice et Dignité" (CDJD) s'y sont rassemblées autour ce samedi 27 novembre, deux ans après la révélation du scandale.
Des dépouilles putréfiées et un soupçon de marchandisation des corps
Carole Hugues, 60 ans, se souvient du moment où elle a découvert l'affaire. Elle partait travailler quand les révélations de l'Express ont été diffusées à la radio. Elle y apprenait les "conditions indécentes" de conservation de dépouilles de "milliers de personnes ayant fait don de leur corps à la science". Sa mère, Ginette, en faisait partie.
"L'idée de ma mère était de servir à quelque chose jusqu'au bout", explique-t-elle. Mais les révélations pointent du doigt l’horreur qui se cachait au cinquième étage de la faculté parisienne. Des locaux vétustes, des dépouilles putréfiées et rongées par les souris, et même un soupçon de marchandisation des corps.
La réglementation officielle veut que les cadavres donnés servent aux étudiants en médecine pour s’exercer à la dissection humaine, ainsi qu’aux chirurgiens. Mais un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a confirmé que certains ont ici été envoyés pour des crash-tests dans le secteur automobile, ou servi lors d’expérimentations militaires selon les informations de France 2. Enfin, le délabrement de la chambre froide aurait aussi rendu certains corps inutilisables.
170 plaintes ont à ce jour été déposées auprès du parquet de Paris. Et une enquête a conduit à quatre mises en examen, dont celle de l'université de Paris et de l'ancien président de l'université de Paris-Descartes (de 2011 à 2019), Frédéric Dardel, pour "atteinte à l'intégrité d'un cadavre". Cela n'a pas empêché à ce dernier de rejoindre ensuite le cabinet de la ministre de l'enseignement supérieur Frédérique Vidal, puis de prendre la tête de l'Inserm.
"Que la justice leur rende une dignité"
C'était "comme vivre le deuil une seconde fois", confie Baudouin Auffret, président de l'association CDJD, tenant une pancarte montrant son père Georges voulant lui-aussi "servir une dernière fois". "Cette tristesse s'est transformée en colère. On est là aujourd'hui pour montrer qu'on ne va rien lâcher".
"J'espère que justice sera rendue, pour leur redonner de la dignité, et pour tous ceux qui veulent donner leur corps à la science", lâche de son côté Valérie Lenoir, elle-aussi endeuillée. "J'y pense tous les jours", souffle cette une autre habitante du département, dont la mère et le grand-père avaient donné leur corps "par générosité".
Dans la plupart des cas, les familles regrettent qu'il y ait rarement de cérémonie organisée lorsque les corps de défunts sont donnés. Alors malgré la colère exprimée, ce rassemblement apporte une certaine consolation : "c'est la cérémonie qu'on n'a pas eue", confie Laura, la fille de Valérie, en posant une rose blanche devant la plaque noire accusatrice.
Derrière, une autre plaque orne également la stèle : "Hommage de l'Université Paris-Descartes à ceux qui ont fait le don généreux de leur corps pour la recherche anatomique et la science médicale".
La hiérarchie de l'université pointée du doigt
L'horreur va plus loin encore, l'un des préparateurs en anatomie de l'université est accusé d’avoir emporté à son domicile huit crânes, des ossements et des mandibules de donateurs. Un «bouc émissaire", estime Maître Antoine Van Rie, son avocat. "Dans ce système, il n’a été qu’un simple exécutant.»
Jusqu’où alors la hiérarchie était-elle informée de cette vétusté et de ces dérives ? Selon Paris-Match, ce charnier existait depuis 1988 et aurait perduré malgré des signalements depuis 2013. La responsabilité de figures de l'institution est donc interrogée, comme celle de l'ancien président de l'université (de 2007 à 2011) Axel Kahn, mort en juillet dernier.
«Mon client a l'impression de porter la responsabilité de toute l'inertie des présidents précédents», fait observer l’avocate de Frédéric Dardel, Maître Marie-Alix Canu-Bernard. « Toute la chaîne hiérarchique était informée, ne serait-ce que par les demandes hors normes de financement des travaux de rénovation. Or pour l'instant, les juges ne s'intéressent qu'au bas de l'échelle, alors que l'État a une énorme part de responsabilité.»
Pour Maître Frédéric Douchez, qui représente l’association des proches, une «omerta» a régné au sein de la prestigieuse faculté parisienne. Deux représentants des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé assistaient à chaque conseil d’administration lorsque l’insalubrité du centre a été évoquée.
Il a pourtant fallu attendre la publication de l’enquête de L’Express pour que ce centre soit fermé par Frédérique Vidal. La ministre n’aurait par ailleurs jamais répondu aux courriers envoyés par les familles.