"Chez nous, en Afrique, tout le monde connaît Bara". Le foyer historique à Montreuil fait peau neuve et rouvre ses portes.

Après un long combat politico-judiciaire, des années d'attente, des retards et des relogements, la reconstruction de l'ancien foyer Bara de Montreuil vient de s’achever. Ses habitants, des travailleurs étrangers, majoritairement maliens, connaissent enfin le bonheur d’être relogés dignement, eux qui y vivaient dans des conditions insalubres avant sa destruction en 2018. Bréhima Diarra, le porte-parole des résidents nous raconte l'histoire de ce petit bout d'Afrique.

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Bréhima Diarra est un homme heureux. Depuis le 24 avril, il est revenu au foyer Bara, sa maison, ses terres, qu’il affectionne par-dessus tout et dans un nouveau logement tout neuf. "Je suis heureux et deux fois heureux. Heureux de rentrer à la maison et heureux d’être dans ce studio magnifique. C’est le grand luxe, j’ai l’impression d’être dans un hôtel, plus que cinq étoiles", dit-il en tapant dans ses mains et en affichant un très large sourire.

Bréhima est plombier. Bara, c’est sa maison depuis toujours. Il y est venu en 1997, rejoindre son oncle et son frère qui y vivent aussi. "Chez nous, en Afrique, tout le monde connaît Bara. On le connaît, avant de connaître la Tour Eiffel, à Bamako", dit-il en riant.

Aujourd’hui, installé dans son studio, Bréhima croit rêver. "J’ai tout pour moi tout seul. J’ai ma chambre, ma cuisine, ma salle de bains. C’est magnifique, et je vais pouvoir me reposer quand je rentre du travail, car avant, on était 6, parfois 8 dans une chambre", se souvient-il en secouant la tête.

Bara, une terre d’accueil 

Mais avant d’obtenir cette nouvelle quiétude, Bréhima a connu l’insoutenable, voir l’inimaginable. Des conditions insupportables de promiscuité dans des locaux dangereux, vétustes et plus qu’insalubres. En 26 ans, il a vu le foyer Bara se délabrer petit à petit, jusqu’à devenir invivable. Mais, quand il est arrivé, c’était un paradis pour lui. "On avait une vie magnifique faite d’échanges, de partages comme dans nos villages là-bas. On pouvait tout faire sur place, tout était moins cher et toutes les familles se connaissaient."

Bara, c’était le symbole de ces générations de travailleurs maliens qui s’y sont succédé pendant un demi-siècle et certains sont encore là

Mamadou Diarra, Directeur territorial Seine-Saint-Denis chez Coallia

Depuis sa création, le lieu était devenu une terre d’accueil, un refuge réconfortant où il était possible de louer un lit à moindres frais, quitte à dormir à plus à huit dans une pièce.

"Bara, c’était le symbole de ces générations de travailleurs maliens qui s’y sont succédé pendant un demi-siècle et certains sont encore là", raconte rappelle Mamadou Diarra, Directeur territorial Seine-Saint-Denis chez Coallia.

"C’était déjà très détérioré quand je suis arrivé en 1997. Moi je dormais beaucoup dehors, dans la cour, l’été pour avoir plus d’espace" se souvient Bréhima. Qu’est-ce-qui s’est passé, pour que la situation se dégrade à ce point ?

Une aventure humaine et ouvrière de 55 ans 

Chez nous, en Afrique, tout le monde connaît Bara. On le connaît, avant de connaître la Tour Eiffel, à Bamako

Bréhima Diarra, 56 ans, porte-parole des résidents du foyer Bara à Montreuil

C’est en mars 1968, au numéro 18 de la rue Bara, dans l’ancienne manufacture des pianos Klein, que se sont installés ces travailleurs migrants, majoritairement des Maliens. Dès l’année suivante, les capacités d’accueil du foyer sont doublées avec l'installation de lits superposés. Dans les étages, 240 résidents occupent officiellement les dortoirs. En réalité, plus du double voire le triple…

Les arrivées se poursuivent de plus en plus. À la fin des années 80, l'occupation réelle atteignait le millier de résidents. Les conditions de logement ne pouvaient que très rapidement se dégrader mais, parallèlement une vie propre au foyer commence à s’organiser.

Les commerces se développent. Des couturiers, des coiffeurs, un café, des femmes étrangères au foyer viennent cuisiner. Mafé, tiep ou yassa étaient servis, à des petits prix, aux résidents, mais aussi aux visiteurs extérieurs, membres de la diaspora malienne, sénégalaise, d’Afrique noire, ou travailleurs du quartier. Par jour, des centaines et centaines de repas sont servies. Sur place, on pouvait presque tout trouver, grâce à la diversité des vendeurs du maïs grillé, des bijoux en argent ou des cigarettes. Une salle de prière est  aménagée dans une salle du sous-sol. Une ville dans la ville, où les communautés venues d’Afrique retrouvaient beaucoup de solidarité.

À partir des années 1990, la suroccupation devient dangereuse. Faute d'entretien et de rénovation, due au retrait progressif des aides publiques, le foyer se détériore de plus en plus. Des conditions indignes d’hébergements sont dénoncées par les résidents. Bréhima, alerte et se mobilise, rejoint par des riverains ulcérés de voir dans quelles conditions ces hommes vivent. "Des cafards, il y avait partout. Je m’étais tout dans des sacs plastiques" raconte Bréhima.

À Bara, l’humidité dans les chambres et l’omniprésence de cafards, de puces de lit, des rats étaient devenus banales. À cela s’ajoutaient les bassines et seaux qu’il fallait vider, à chaque fois qu’il pleuvait à cause des nombreuses fuites du toit. Et le risque d’incendie en raison des installations électriques devenues dangereuses. Les escaliers et les issues de secours sont encombrés de sacs des résidents. Il y avait urgence à agir.

Les résidents s'organisent, protestent, se font entendre. Bréhima sera leur porte-parole. Les plus âgés sont les plus vulnérables. À Bara, les résidents ont entre 18 et plus de 80 ans. Brahima et les résidents sont soutenus par les riverains. Le collectif n’est plus actif, mais le maire a reçu énormément de lettres des habitants. "Depuis qu’on a annoncé la construction au même endroit du foyer Bara, nous n’avons eu que des remerciements de la part de nos riverains. Montreuil est une ville de partage, multiculturelle et ouverte sur les autres. Et c’est cet amour que j’ai pour eux qui m’anime", confie le maire Philippe Bessac (PCF). 

"Ces indispensables" de notre société, ceux qui se lèvent tôt, alors que la capitale et toutes les villes sont encore endormies, subissent leur sort et leurs conditions d’hébergements atroces dans le silence et la dignité

Philippe Bessac, maire de Montreuil (PCF)

La Ville de Montreuil ne baisse pas les bras et décide de dénoncer ces conditions inhumaines. Pour alerter l’opinion, le maire Philippe Bessac (PCF) vient dormir au foyer Bara. Bréhima s’en souvient. "J’avais peur pour lui, tellement c’était devenu dangereux de dormir dans ce lieu. J’ai dit aux frères, je passe la nuit près de lui pour qu’il ne se fasse pas attaquer par un rat ou qu’il se sente mal, car on aura des problèmes. Je me souviens, que c’était la période du maïs, alors on a partagé ensemble ce repas très emblématique chez nous et bu beaucoup de thé aussi ", raconte en riant Bréhima.

Philippe Bessac s’en souvient très bien. "Nous étions dans la salle commune et ça a été une expérience déterminante parce que ça nous a permis, un instant uniquement, mais un instant quand même, de vie commune. Ça a été aussi ressenti par les résidents comme le symbole que j’étais bien leur maire aussi."

À la suite de cette nuitée, le maire relaye et dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles vivent "ces indispensables", comme ils aiment les appeler, car sans eux, rien ne serait prêt pour accueillir toute la société dans des conditions dignes et propres que ce soit au travail, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les rues, ou encore les centres commerciaux et les grands magasins. "Ceux qui se lèvent tôt alors que la capitale et toutes les villes sont encore endormies subissent leur sort et leurs conditions d’hébergements atroces dans le silence et la dignité", rappelle Philippe Bessac.

"J’ai vu des matières fécales suinter d’un étage à l’autre, des rats, des moisissures, décrira l’élu après cette nuit. "La situation à Bara fait penser aux pratiques des pires marchands de sommeil". Sauf que cette fois, c'est l’État qui est responsable. Le lendemain de sa visite, le maire prend un arrêté municipal "d’extrême urgence pour risque grave de sécurité " et le met en ligne sur son compte Twitter.

Un combat pour la dignité

Le 26 septembre 2018, l'édile prend ses responsabilités et réquisitionne les ex-bureaux de l'AFPA, un bâtiment vide, propriété de l’État pour mettre à l'abri plus de 200 résidents du foyer Bara.

Les 2 mois suivants, une bataille judiciaire s’engage et le 29 novembre 2018, la justice donne raison au maire sur "l'inhabitabilité" du foyer Bara et la nécessité d'une installation temporaire dans les ex-bureaux de l'AFPA. Le foyer Bara est fermé et sa démolition débute.

Au total, 526 travailleurs migrants de l'ancien Bara vont être relogés sur 5 autres sites.

En 2015 et 2016, la Ville de Montreuil a inauguré 2 résidences sociales permettant de reloger une partie des résidents du foyer Bara : Hayeps (42 places) et Voltaire (115 places), baptisés du nom de leur rue. En octobre 2020, ouverture de la troisième résidence Étienne-Marcel (120 places) qui accueille les travailleurs.

La première pierre du nouveau foyer Bara

Le 11 octobre 2021, avec la pose de la première pierre, commence la reconstruction du foyer qui compte 160 logements neufs. Un foyer qui vient tout juste d'être inauguré en ce début juin.

Des T1 et T1+, d’une superficie allant de 16 à 27m2, tous équipés d’une kitchenette et d’une salle d’eau. En rez-de-chaussée, un local commercial de 40 m2 sur la rue Robespierre avec des bureaux, locaux du gestionnaire, laverie/lingerie, local à vélos et une salle polyvalente dédiée aux résidents, où ils peuvent se réunir et partager des moments festifs. Le tout aux certifications environnementales avec une chaufferie collective gaz, sans oublier des panneaux solaires en toitures.

"On a suivi tous les travaux. On venait tous les soirs se retrouver devant la rue et on discutait", se souvient Bréhima. Le standing différent inquiète un peu le quinquagénaire qui se demande si le prix du loyer ne va pas augmenter au fil du temps.

"Comme tout est neuf, sécurisé, sans badge, personne ne peut rentrer, certains se demandent si tout ce nouveau confort ne va pas faire augmenter les prix", avoue Bréhima. Actuellement, cela varie entre 450 et 545 euros sans les aides. Les prix des loyers seront forcément plus chers, que les prix de l’ancien Bara. Mais tous les prix sont annexés sur les revenus, rassure Mamadou Diarra chez Coallia.             

Pour Montreuil, le combat pour la dignité est gagné. Le collectif des riverains de la rue Bara n’est plus actif, selon le gestionnaire des lieux. Le maire a reçu énormément de lettres des habitants. "Depuis qu’on a annoncé l’inauguration ce samedi 3 juin, au même endroit que l'ancien foyer Bara, nous n’avons eu que des remerciements de la part de nos riverains", confie le maire Philippe Bessac (PCF). 

« Les oubliés de Bara » 

Depuis son installation, Bréhima sait qu’il a des mécontents, et ça le chagrine. Parmi le millier de mal-logés, tous n’ont pas pu retourner à Bara ou dans les autres résidences. Beaucoup étaient sans-papiers. Que sont-ils devenus ? Dans quelles conditions vivent-ils ? Le collectif des riverains des rues  Bara-Stalingrad s'est bel et bien deplacé. 

La mobilisation continue pour eux, comme le montrent ces affiches collées sur des abribus ces derniers jours, rappelant la situation des anciens sur-occupants qui squattent un hangar au 138 rue de Stalingrad à Montreuil.

Ils seraient un près de 300, sans-papiers pour la plupart, et qui, après avoir été évacués des anciens locaux de l'Afpa à Montreuil en octobre 2019, sont, dans un entrepôt appartenant à l'Établissement public foncier d'Ile-de-France.

"Nous faisons ce que nous pouvons. Par rapport à notre protocole initial, 160 personnes supplémentaires ont pu être relogées, mais c’est vrai que tout le monde n’a pas été relogé. Et cela renvoie la question de la responsabilité et de l’histoire nationale, car dans notre région parisienne, il y a des dizaines de milliers de mal-logés au minimum si je m’arrête à l’échelle des foyers. Il faudrait pouvoir accueillir les gens comme on a su le faire dans les années 60, quand des vagues migratoires se sont installées et en leur proposant des logements dignes pour l’époque, sinon on va avoir de plus en plus de bidonvilles à l’entrée des villes qui encerclent Paris", alerte le maire de Montreuil.

Pour l’heure, « ces oubliés » de la rue Stalingrad sont accompagnés par la Ville, qui leur a apporté des lits superposés, puis installé quelques douches et sanitaires… Mais, d’autres vont venir les rejoindre. "À Orly, dès que tu atterris et que tu montes dans un taxi et que tu dis Bara, le chauffeur met Montreuil dans le GPS", raconte Bréhima. Peut-être, iront-ils à Stalingrad dorénavant ? Impossible pour ces mal-logés de quitter Montreuil car ce serait quitter la communauté. Est-ce la constitution d’un nouveau Bara-Stalingrad ?

Au nouveau foyer, la vie a repris."Certains résidents ont ouvert des restaurants à côté de Bara. Les plats à emporter sont toujours là, mais au lieu de 2 euros, ils sont à 3 euros, ce qui n’est toujours pas cher pour un vrai plat", rappelle Bréhima. D’autres ont ouvert des magasins de vente de bijoux ou un salon de coiffure. La mosquée est aussi à quelques mètres, dans la même rue. Le nouveau Bara est sorti de terre et ses occupants sont intégrés à la vie du quartier.

Enfin, d’autres anciens résidents sont rentrés chez eux. Bréhima a souvent de leurs nouvelles. "Certains sont retournés au pays, et espèrent pouvoir bénéficier d’une place à Bara. Parce que je le répète Bara, c’était un village africain. Personne ne connaît Montreuil en Afrique", précise l’homme de 56 ans, mais dès qu’on associe la ville au foyer, tout le pays veut venir à Montreuil, sauf que là c’est différent et c’est difficile d’expliquer cela, sans passer pour un privilégié. Je me sens gêné par rapport à ceux qui sont partis", avoue-t-il. Bréhima aura attendu presque 30 ans pour bénéficier d'intimité, un chez-lui où il fait bon de rentrer s’y reposer.

"Maintenant, c’est trop calme, quand on rentre du travail. D’un côté, c’est bien d’avoir son intimité, surtout si on veut inviter une amie, c’est même très bien. Avant, on ne pouvait pas", dit-il en riant. "Mais, c’est plus comme avant et ça ne sera jamais plus pareil. Maintenant à Bara, tu fermes ta porte et tout est tout seul" souffle-t-il, avec une voix empreinte de nostalgie et d’inquiétude à la fois…

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