Pour dénoncer le manque de moyens, les services de pédopsychiatrie se sont mobilisés ce mercredi à Bobigny. Alors que la crise sanitaire a aggravé les problèmes de santé mentale chez les jeunes, les professionnels du département demandent "un rattrapage massif".
Environ 400 personnes se sont rassemblées ce mercredi matin à Bobigny, raconte Jean-Pierre Benoit, chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis. "Il y avait des professionnels avec les six services de pédopsychiatrie de Seine-Saint-Denis, en grève, les quatre CMPP (Centres médico-psycho-pédagogiques) et certains établissements médico-sociaux. Et il y avait aussi des familles avec des enfants", explique-t-il.
Les manifestants ont défilé de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) de Seine-Saint-Denis jusqu’à la préfecture, "pour que tous les enfants puissent avoir une place adaptée". La mobilisation était organisée à l’appel du collectif Pédopsy 93.
"Oui, par manque de moyens, la pédopsychiatrie doit depuis des années trier les enfants", alertait le collectif dans une tribune publiée par Le Monde, fin novembre. "Qui prendre en soins lorsque l’on ne peut pas prendre tout le monde en soins ? Les enfants les plus gravement atteints, car ils n’ont pas d’autre lieu de soins que les nôtres ? Les adolescents suicidaires, car leurs vies sont menacées ? Les plus petits, car on aura plus de chances d’infléchir leur trajectoire développementale ? Les cas les plus 'légers', car ils prendront moins de temps pour être soignés ? Bébés, enfants, ados ?", soulignait le texte.
Certaines familles attendent parfois jusqu’à deux ans avant une consultation, tandis que les instituts médico-éducatifs censés scolariser les enfants en difficulté craquent. Dans le département, on compte plus de 2 500 mineurs sur la liste d'attente.
"La Seine-Saint-Denis est le département le plus jeune de France (...) et le moins bien équipé en pédopsychiatrie"
A Saint-Denis, Naziha recherche depuis 2017 une structure spécialisée pour Aya, sa fille autiste âgée de 12 ans."Ça m’inquiète bien sûr, parce que ce n’est pas évident : un enfant toute la journée, sept jours sur sept à la maison. Elle n’a pas de solution, il n’y a rien du tout. On fait le rendez-vous le matin au CMP (Centre médico-psychologique), on rentre à la maison et on y reste jusqu'au lendemain. Ça fait cinq ans", raconte-t-elle.
"La Seine-Saint-Denis est le département le plus jeune de France, avec donc le plus grand nombre de mineurs, et c’est en même temps le département le moins bien équipé en pédopsychiatrie et en équipements spécialisés", déplore Jean-Pierre Benoit. A l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis, 500 patients sont gérés par moins d'une dizaine de soignants et de travailleurs sociaux.
"Je me sens complètement impuissante. On partage complètement le désarroi total des familles", alerte Saliha Bendaoud, assistante sociale. "Que ce soit pour des enfants ou des ados, il faut qu’on prenne des risques dans nos pratiques en portant nos soins vers ceux qui vont le plus mal et en laissant les autres, qui pourtant ne vont pas bien non plus, en attente… Tout est à l’avenant, on est comme des médecins sans médicament", explique de son côté Jean-Pierre Benoit.
"Nous demandons des moyens financiers pour pouvoir faire des recrutements"
Crise des vocations, manque de financements, troubles de plus en plus précoces... Les professionnels se disent épuisés. Suite à la marche de ce mercredi, Jean-Pierre Benoit indique que tous les chefs des services de pédopsychiatrie de Seine-Saint-Denis et les directeurs de CMPP ont été reçus à la préfecture. "Nous avons été écoutés. Ils ont entendu qu’il y avait besoin d’un rattrapage massif, et que la situation ne dépendait pas que de l’Agence régionale de santé (ARS) mais aussi du ministère de la Santé", explique-t-il.
"Nous demandons des moyens financiers pour pouvoir faire des recrutements. On a besoin de locaux pour mettre en place ces recrutements, et on a besoin de monter des unités d'hospitalisation. Il n’y a plus de place dans les hôpitaux. Il faut aussi renforcer l’école inclusive, pour que les enfants avec des difficultés puissent être plus scolarisés qu’ils ne le sont, avec plus d’AESH (Accompagnants des élèves en situation de handicap). Il faut que les personnels soient mieux payés et mieux formés. On a aussi demandé plus d’unités d’enseignement Autisme", complète Jean-Pierre Benoit.
Prochain rendez-vous : le lundi 2 janvier à 11h30, à La Plaine-Saint-Denis. Les professionnels doivent être reçus par Sophie Martinon, la directrice générale adjointe de l’ARS d’Île-de-France. Un rendez-vous avec Stéphane Troussel, le président du Conseil départemental, est par ailleurs prévu. "L’ARS, le Département et les services de pédopsychiatrie veulent aussi rédiger en janvier un plaidoyer conjoint adressé au ministère de la Santé", annonce Jean-Pierre Benoit.