Depuis la mi-octobre, la Maison des Femmes est deux fois plus grande. Fondée en 2016 par Ghata Hatem, médecin, cette structure vient en aide aux femmes vulnérables. Le bédéaste Nicolas Wild les a rencontrées et longuement écoutées. Son roman graphique vient de paraître aux éditions Delcourt.
Dans son écrin coloré, la Maison des femmes offre une prise en charge médicale, psychique, psycho-corporelle, sociale et juridique aux femmes victimes de violence. Entre 50 à 80 femmes y sont accueillies quotidiennement. Aujourd’hui, cette structure est divisée en trois unités spécialisées : violence, planification familiale et mutilations sexuelles féminines.
Un univers protégé
Désormais, le centre dispose en son coeur d’un petit bloc opératoire, dédié en premier lieu aux IVG. En 2020, 1 400 IVG ont été pratiquées. A proximité, une pièce abrite la permanence de police. Les femmes peuvent être reçues sur place, par un policier, pour y être entendues et éventuellement pour déposer plainte. Enfin une salle polyvalente est le théâtre d’ateliers psycho-corporels, qui permettent aux femmes victimes de violence de se reconstruire. L’extension comprend aussi un espace dédié à l’accueil des enfants.
N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant.
C'est juste avant l'extension de cette structure que l'auteur de BD de reportage Nicolas Wild (Kaboul Disco, Ainsi se tut Zarathoustra, Prix France Info 2014) est venu avec son carnet et ses crayons pendant plusieurs semaines. Il a multiplié les entretiens avec une partie des 80 personnes qui y travaillent et certaines des femmes accueillies. Avec lui on découvre le difficile quotidien de Nour, Sophie ou Clothilde.
Réparer les violences
Nicolas Wild vient de publier A la Maison des Femmes (Delcourt), un passionnant roman graphique sur cette expérience à Saint-Denis (93). Il a accepté de répondre à quelques questions pour expliquer son projet.
- Depuis 2017, vous avez suivi le quotidien des personnes qui travaillent à la Maison des Femmes et vous avez rencontré celles qui viennent y chercher de l’aide. Au début, vous arrivez avec des a-priori et des fantasmes typiquement masculins que vous relatez avec humour dans le chapitre I. En quoi ces rencontres ont-elles fait évoluer votre image des femmes ?
Nicolas Wild : Je n’avais jamais eu une image unique et définitive des femmes en tant que tel. Mais ma vision et ma connaissance des violences faites aux femmes, elles, ont beaucoup changé. J’avais déjà rencontré quelques personnes victimes d’hommes violents ou de harcèlement de rue mais je n’imaginais pas l’ampleur du phénomène ni la diversité des violences commises. Faire cette bande dessinée m’a ouvert les yeux sur une réalité terrible, le pire de ce qu’un homme peut faire subir à autrui - mais aussi sur la beauté et le courage des soignantes qui travaillent dans ce genre de structures. Le contraste entre les deux est vertigineux.
- En 15 ans, vous êtes devenu un spécialiste de la bande dessinée de reportage à travers la géopolitique et à travers la guerre, la violence au masculin. Pourquoi avoir finalement accepté ce projet sur la violence subie par les femmes que vous ne jugiez pas tout d'abord de votre ressort ?
Nicolas Wild : Aucun des sujets que j’avais traités dans le passé (reconstruction de l’Afghanistan, Zoroastrisme en Iran, Tragédie de Tchernobyl) n'étaient de mon ressort à priori. Je me familiarise avec des nouvelles thématiques au moment où je décide d’en faire un livre, en profitant du temps long que permet la bande dessinée de reportage. Dans le cas de la Maison des Femmes, il s’agissait d’une commande. Je n’étais pas sûr d’être la bonne personne pour faire ce livre mais Nicolas Grivel (l’agent qui m’a proposé le sujet) avait vu juste. Après quelques jours passés sur place, je me suis passionné pour les thématiques multiples que l’on retrouve dans ce lieu providentiel. On y retrouve une bonne dose de géopolitique mais également des récits terribles au cœur de l’intimité de la vie de couple et/ou familiale. Pouvoir raconter autant de choses différentes tout en restant dans un lieu unique m’a fasciné.
Notre volonté à la Maison des Femmes, c'est que chaque personne qui arrive avec un problème reparte avec une solution.
- C’est une question que vous aimez poser et je vous la pose à mon tour : parmi toutes les personnes qui se sont confiées à vous, laquelle vous a plus particulièrement marqué et pour quelle raison ?
Nicolas Wild : Toutes les femmes que j’ai rencontrées m’ont marqué. Leur force et leur courage contrastent avec notre monde encore très patriarcal. J’ai le sentiment que la Maison des Femmes est un endroit propice pour assister à un changement de société, plus féminin et moins violent, qu’il est urgent de mettre en place. Je suis resté en contact avec pas mal de personnes croisées là-bas. Il y a les soignantes, dont certaines ont accompagné la sortie du livre, et les femmes victimes de violence, Sophie notamment qui est devenue une amie. Le récit de Nour, à multiples rebondissements, m’a fait penser à une tragédie grecque. Mais j’ai peut-être une vision tronquée de la réalité des violences faites aux femmes car j’ai rencontré uniquement celles qui ont eu un déclic, celles qui ont entamé un long travail de reconstruction. J’espère que ce livre pourra aider toutes les autres, celles qui n’ont pas encore commencé ce parcours.