Téléphone grave danger, violentomètre, ordonnance de protection... L'Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint Denis lutte contre les féminicides

Ernestine Ronai est à la tête du premier Observatoire départemental des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis créé il y a plus de 20 ans. Elle est à l'initiative du téléphone grave danger. Depuis 14 ans, 538 femmes ont bénéficié d'un téléphone grave danger. Elle nous explique les différents outils déployés pour lutter contre les féminicides.

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Ernestine Ronai est responsable de l'Observatoire depuis sa création. Ex-membre du Haut Conseil à l'Egalité Femme Homme, également ancienne coordinatrice nationale au sein de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences (MIPROF), elle dirige cette structure départementale, première du genre à voir le jour en France. Son objectif, lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants en associant les associations, les professionnels de santé, les services départementaux mais également des juges, des magistrats ou encore des avocats.

Depuis 14 ans, 538 femmes ont bénéficié d'un téléphone grave danger selon des chiffres communiqués par l'Observatoire. Aujourd'hui en 2024, elles sont 66 à en disposer dans le département et  5.000 en France. Par ailleurs, 39 femmes ont un portable d'alerte réservé en prévision de la sortie de prison de leur agresseur.

En 2002, l'Observatoire départemental des violences envers les femmes est créé. Qu'est-ce qui a motivé ce projet  ?

A l'origine, il s'agit d'une volonté politique. D'ailleurs, le conseil général avait peur à l'époque que cela stigmatise le département, et que la création d'un Observatoire laisse penser qu'il y avait davantage de violences en Seine-Saint-Denis que dans les autres départements.

Vingt après nous constatons que l'Observatoire, qui est une structure de partenariat, est devenu un laboratoire d'innovations. Nous regardons la réalité avec lucidité pour poser un diagnostic sur les choses, et inventer à partir de cela, des dispositifs qui les améliorent, avec les différents services du département.

Quels sont ces dispositifs ?

Il y en a plusieurs, mais je pense d'abord au "téléphone grave danger". Il s'agit d'un dispositif qui a été mis en place avec le parquet de Bobigny, la police et SOS Victimes qui permet aux femmes et aux enfants victimes de violence de prévenir la police grâce à un téléphone muni d'un bouton d'appel d'urgence.

Un protocole "Féminicide" est un autre dispositif mis en place cette année et qui permet aux enfants devenus orphelins d'un ou de deux parents à la suite d'un homicide ou d'un féminicide conjugal d'être hospitalisés pendant une semaine et d'avoir un suivi psychologique. 

(Chiffres 2022)

Nous avons aussi mis en place récemment le dispositif "Jeunes contre le sexisme", qui vise les collégiens de troisième. En tout, ils sont 4 200 jeunes à y avoir participé. Ils travaillent toute l'année pour réfléchir et lutter contre les comportements sexistes et violents, et à la fin, ils obtiennent un brevet.

Il y aussi les ordonnances de protection, ce sont des mesures qui permettent de protéger immédiatement. Elles sont délivrées par le juge sans qu'un dépôt de plainte ne soit nécessaire.

Et cela fonctionne ?

Oui, les ordonnances de protection fonctionnent bien. Depuis leur création en 2013, 2 233 ordonnances ont été délivrées en Seine-Saint-Denis. Soit 10% de la totalité des ordonnances délivrées en France. Or le département n'abrite pas le dixième de la population française ! Ce qui prouve bien que nos partenariats fonctionnent et que la protection est devenue une politique de juridiction. (Ndlr Chiffres 2022)

Depuis la création de l'Observatoire il y a 20 ans et jusqu'à maintenant, avez-vous le sentiment que les violences faites aux femmes ont augmenté ?

Je ne dirais pas qu'elles ont augmenté ou diminué, je pense plutôt que ce sont les plaintes qui ont augmenté. Elles sont en hausse de 30% sur un an en 2022, ce qui démontre que les femmes font plus confiance aux forces de l'ordre, qui les accueillent également mieux.

Il faut arrêter de croire qu'il existe des petites violences

Ernestine Ronai

Justement, les pouvoirs publics en font-ils assez selon vous ?

Non, ce n'est pas encore suffisant. Le premier confinement a d'ailleurs été très révélateur de cela, car il y a eu une formidable campagne du gouvernement qui a eu pour conséquence une hausse de 30% des signalements pour violences conjugales (pour la première semaine de confinement, ndlr).

Avec des campagnes plus fortes et régulières, des vies pourraient être sauvées.

Ernestine Ronai

Ce qui prouve qu'avec des campagnes plus fortes et régulières, des vies pourraient être sauvées. Et pour cela, il faut arrêter de croire qu'il existe des petites violences.

A partir de quand peut-on parler de violence au sein du couple ?

Pour les femmes victimes de violences, soit en moyenne une femme sur dix, cela commence assez tôt dans la relation avec, d'abord, de la violence psychologique. Ce sont en général des remarques dévalorisantes, sur la tenue, la cuisine… Ensuite, il y a les violences sexuelles, et souvent aussi des violences économiques avec la volonté d'avoir un contrôle sur les moyens de paiement. Après cela il y a la violence physique, qui est reconnue par le Code pénal.

Le bilan positif de l'Observatoire des violences envers les femmes, qui était le premier en France, a-t-il permis à d'autres Observatoires de voir le jour ?

Oui, il existe actuellement vingt-deux autres Observatoires territoriaux et deux sont en cours de création. Nous travaillons également à la création d'un Observatoire international pour permettre une coopération décentralisée sur d'autres territoires partenaires de la Seine-Saint-Denis comme à Jénine et en Grande Comore. 

Vingt ans après la création de l'Observatoire, l'heure est au bilan mais aussi à la projection. Quels sont les projets à venir pour l'Observatoire de Seine-Saint-Denis ?

L'une de nos prochaines actions sera par exemple de nous rendre sur plusieurs marchés du département avec notre Bus des droits des femmes et de lutte contre les violences (Bobigny, Saint-Denis, Montreuil…). L'objectif est d'aller directement au contact des femmes pour les sensibiliser.

Ernestine Ronai, après vingt ans à la tête de cet Observatoire, êtes-vous toujours optimiste quant au devenir de cette lutte contre les violences envers les femmes ?

Je vois toujours le verre à moitié plein, et jamais à moitié vide. Je pense que la conscience sociale augmente et que nos efforts ne sont pas vains. Évidemment que la situation n'est pas encore à la hauteur de ce que je souhaiterais, mais il faut rester optimiste.


Numéros d'urgence:

  •  17: police
  • 18: pompiers
  • 39 19 : Violences Femmes Infos
  • 0800 05 95 95 :  SOS viols

Interview réalisée en novembre 2022 et réactualisée.

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