A l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, ce mercredi 25 novembre, L., une jeune femme a tenu à témoigner du calvaire qu'elle a enduré pendant trois longues années.
Sa voix est calme et assurée. Ses paroles, ponctuées de silence afin de trouver les mots justes pour convoquer et évoquer un passé traumatique.
L. est une jeune femme de 27 ans, qui souhaite rester anonyme. Elle a souhaité raconter son histoire et témoigner des violences conjugales dont elle a été victime. Pour elle, "la parole doit être livrée sans tabou. Malgré le mouvement #MeToo, les lois ne bougent pas assez vite et il faut sans cesse témoigner. C’est un combat", affirme-t-elle posément.
Niée, battue, violée
L. a 15 ans quand elle rencontre un homme âgé de 22 ans. Très rapidement, il se montre violent avec elle. Son calvaire va durer 3 ans. "C’étaient des gifles, des coups de pied, des coups de poing, des crachats au visage. Parfois je n’avais pas le droit de manger, pas le droit de sortir non plus. J’avais juste le droit de me la fermer", livre-t-elle. "C’étaient des violences verbales, physiques et sexuelles. Je n’en avais pas conscience, notamment au niveau sexuel".De cette relation est né un enfant qui a aujourd’hui 10 ans. "Je l’ai eu toute jeune, à la fin de mes 16 ans. J’ai décidé de garder mon fils. Je pensais que ça allait arrêter les violences. J’ai cru aux promesses de son père jurant qu'il ne me frapperait plus. En fait pas du tout. Même enceinte… J’ai dû faire une échographie en urgence car il m’avait lancé quelque chose d’assez lourd sur le ventre. Je ne sais même pas comment mon fils est né en bonne santé", poursuit-t-elle.
Emprise et isolement
A ce moment de la vie de L., sa mère est absente. La jeune fille mineure se retrouve sous emprise d’un homme majeur, une circonstance aggravante pour la jeune femme et selon la loi. "Peu à peu je n’ai plus vu mes amies. Du coup, j’ai tiré un trait sur tous mes copains, mes copines, ma famille. Je suivais des cours à distance via le CNED que j'ai dû abandonner pour élever mon enfant. C’était l’emprise totale. J’étais comme un robot. Cela a duré 3 ans. Jusqu’à mes 18 ans", confie L.
"Tout ce que je subissais c’est parce que je le méritais selon lui. Moi-même je le pensais. C’était comme un lavage de cerveau. Je ne me demandais pas pourquoi j’acceptais cela. Je n’en avais pas la force. Je n’avais plus de personnalité. J’étais dépersonnalisée. Je ne savais plus ce que j’aimais. J’étais réifiée. Devenue une chose. Il était inimaginable de dire quoique ce soit", témoigne L., expliquant le mécanisme de l'emprise.
A ses 18 ans, grâce à sa mère, la jeune femme met fin à cette relation. "Ma mère l’a mis dehors. Elle était au courant depuis un moment mais elle avait peur de ce qui pouvait se passer car il était très menaçant". La réaction de son ex-conjoint est violente. "Je n’aurais pas pu le mettre dehors seule. Ce n’était pas possible physiquement, mentalement. J’étais sous emprise. C’est pour cela que j’ai poussé inconsciemment ma mère à le mettre dehors".Tout ce que je subissais c’est parce que je le méritais
Police et médiation
L. est allée plusieurs fois au commissariat pour déposer des mains courantes. Elle se souvient de ce policier qui lui a dit : "mais Madame, vous avez décidé d’écarter les jambes"."J’ai été au commissariat quelques mois après la séparation pour déposer plainte. On m’a demandé des preuves, des photos, des vidéos. C’était en 2012. On a pris en compte que le document d'un médecin sur mon état psychologique, pas les photos".
Son ex-conjoint est convoqué au commissariat pour un rappel à la loi. "Une policière m’a rappelée pour me dire que Monsieur niait les faits. 'Qu’est-ce que c’est cette histoire ?' m’a-t-elle dit… Il n’y a pas eu de suites", affirme L.
Comme beaucoup de séparations, la suite est une multitude de convocations devant le juge des affaires familiales pour établir la garde alternée de l'enfant et une injonction de médiation.
L. demeure critique envers ces médiations, qui, selon elle ne reconnaissent pas son statut de victime et accentuent la violence dans le couple. "Les médiations me semblent contre-indiquées car elles me placent à égalité. C’est un terrain pour l’agresseur. Encore une fois, il peut dire tout et n’importe quoi. On nous traite de façon complètement symétrique. On ne me traite pas en tant que victime. Le père de mon fils a parfois présenté des excuses en médiation mais on entend aussi ce genre de propos : 'oui mais bon ce n’était rien, c’est du passé'. 'Il faut tourner la page'. 'Monsieur a droit à une deuxième chance'. Alors que je me suis fait frapper et violer par cet homme. Ces propos font mal, c'est juste insupportable."
La maison des femmes, "un sanctuaire"
"Après la séparation, il y a eu une période d’euphorie. Même des amnésies. Je ne voulais plus penser à ces trois années. Suite au décès d’un proche, je suis tombée en dépression et tout m’est revenu à la figure, tout a ressurgi et là j’ai dit 'stop, j’appelle la Maison des femmes'". Un sanctuaire comme elle le dit. "Là-bas, je me sens en totale sécurité, je sais que l’on va m’écouter pas me juger. Il y a une solidarité, une sororité, ça fait vraiment du bien", sourit L.
La Maison des femmes, inaugurée en juin 2016, se situe à côté du Centre Hospitalier Delafontaine à Saint-Denis. Elle accueille toutes les femmes vulnérables ou victimes de violence. Le projet a été porté par le docteur Ghada Hatem, gynécologue, médecin chef de la Maison des Femmes et se compose de médecins, psychologues, sage-femmes ou assistantes sociales. Le public accueilli est très large. "Il y a des femmes qui sont très insérées dans la vie professionnelle et qui ont des status socio-économiques qui osent pousser la porte", explique, Mathilde Delespine, sage-femme, Coordinatrice de la Maison des Femmes, interviewée par France 3 Paris Île-de-France. Et de poursuivre : "Il n' y a pas forcement des femmes qui sont dans la précarité. Nous sommes sollicités par des femmes qui viennent d'autres départements (NDRL : que la Seine-Saint-Denis), y compris des départements parisiens. Certaines viennent des quartiers plutôt favorisés de Paris", détaille-t-elle.Aujourd’hui, L., en attente d'une formation professionnelle, se reconstruit. Elle se rend à la Maison des femmes à Saint-Denis une fois par semaine, fait une thérapie pour aller mieux et suit un atelier théâtre. "Prendre de la distance, mettre des mots sur ce que j'ai vécu... La prise de conscience de la violence est un long cheminement. Heureusement que je suis aidée. Je suis contente d’en être arrivée là, pour ne pas reproduire cela."
Chiffres des violences faites aux femmes en 2019*
► 146 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire.► Parmi les femmes tuées par leur conjoint, 41 % étaient victimes de violences antérieures de la part de leur compagnon.
► 25 enfants mineurs sont décédés, tués par un de leurs parents dans un contexte de violences au sein du couple.
► 84% des morts au sein du couple sont des femmes.
► 213 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint au cours d’une année en France.
► 8 femmes victimes sur 10 déclarent avoir également été soumises à des atteintes psychologiques ou des agressions verbales.
► 18% des femmes victimes déclarent avoir déposé une plainte en gendarmerie ou en commissariat de police suite à ces violences.
► 94 000 femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol.
► 47% des cas viols ou tentatives sont le fait du conjoint ou l’ex-conjoint.
Le confinement décrété au printemps a entraîné une hausse importante des signalements pour des violences subies par les femmes et les enfants à leur domicile et des harcèlements et agressions subis dans l'espace public. Depuis sa création, la Maison des femmes a doublé le nombre de femmes de Saint-Denis accueillies avec 4000 patientes par an.
*Source : "Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple. Année 2019", ministère de l’Intérieur, Délégation aux victimes.