Le tribunal de Bobigny juge un homme accusé d'avoir loué à des sans-papiers ou des personnes handicapées des logements indignes à Saint-Denis.
Cadre de vie dégradé, suroccupation importante : un jour de janvier 2021, une délégation d'agents des services d'hygiène de Saint-Denis, de policiers et de représentants de la justice découvre un immeuble entier abritant des logements insalubres. Une partie des personnes vit même dans des lieux normalement impropres à l'habitation, comme des pièces semi-enterrés ou des remises.
La Ville, en litige de longue date avec le propriétaire, y soupçonnait un hébergement de locataires dans des conditions insalubres.
Sur les 70 adultes et enfants rencontrés dans 26 logements figurent des familles de sans-papiers syriens, des majeurs sous tutelle ou encore des personnes en situation de handicap. Une enquête pénale est ouverte et aboutit, en septembre 2022, au placement en garde à vue du propriétaire, Samy Brami, aujourd'hui âgé de 63 ans.
Loyers exorbitants
"C'est l'un de nos plus gros marchands de sommeil de la ville, par l'ampleur du phénomène et surtout par le volume de logements et les loyers appliqués", qui allaient de 700 à 900 euros par mois, explique ainsi à l'AFP Katy Bontinck, première adjointe au maire de Saint-Denis, qui y voit une "affaire emblématique".
Le propriétaire et sa SCI, la SAS Saint-Rémy, sont renvoyés devant le tribunal correctionnel pour soumission de personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d'hébergement indignes entre 2020 et 2022. Ils encourent trois ans de prison et 100 000 euros d'amende. Une soixantaine de personnes figurent sur la liste des parties civiles.
Samy Brami (parfois orthographié "Sami") est bien connu de la justice pour avoir été l'un des chefs de réseau de l'escroquerie du Sentier, une arnaque XXL portant sur des dizaines de millions d'euros et organisée dans les années 1990 dans le quartier parisien de la confection.
Déjà condamné pour escroquerie
Figurant parmi les quelque 80 condamnés d'un volet de ce dossier-fleuve, "Samy la Belette" avait écopé à l'époque de cinq ans de prison dont trente mois avec sursis. "Cela date de vingt-cinq ans, il a changé de vie complètement. Ce sont des faits pour lesquels il a été condamné et il a payé", balaye son avocat Paul-Philippe Massoni.
Selon sa défense, le prévenu a acquis cette parcelle en 2013 dans l'unique but de la revendre pour réaliser une plus-value mais s'en est trouvé empêché par la municipalité de Saint-Denis qui multiplie les procédures contre lui.
"Nous sommes depuis 2015 dans un conflit avec la ville, qui ne veut pas nous laisser réaliser notre opération de promotion immobilière. C'est pour cela qu'en attendant, des logements des immeubles ont été loués à des majeurs protégés et des familles syriennes qui vivaient sur le parking en face", indique à l'AFP Me Massoni.
De même, assure-t-il, les logements étaient en parfait état à l'entrée dans les lieux et les dégradations sont le fait des locataires, dont certains présentent des pathologies mentales lourdes ou ont fait venir des personnes extérieures.
"Lorsque vous louez à des familles syriennes, vous louez l'appartement à monsieur-madame. Puis ils font venir des cousins, des frères et sœurs... Et un appartement destiné à n'être occupé que par deux personnes se retrouve suroccupé", avance Me Massoni.
15% du parc locatif privé jugé indigne en Seine-Saint-Denis
Territoire populaire à la modernisation urbaine encore en cours, la Seine-Saint-Denis est l'un des départements de France les plus touchés par le fléau de l'habitat indigne. Les logements dégradés représentent plus de 15% de son parc locatif privé et mettent en danger quelque 80 000 personnes dans le département, selon l'estimation de la préfecture.
Depuis quelques années, les pouvoirs publics intensifient la lutte contre ce phénomène et les signalements à la justice se multiplient, passant de 100 en 2014 à 272 en 2022. Le parquet de Bobigny recense actuellement plus de 330 enquêtes en cours sur ce sujet, dont 92 ouvertes rien que l'année dernière.