A partir du 9 juin – outre l’allègement du couvre-feu à 23h et l’ouverture des places intérieures des restaurants – entre en vigeur la possibilité pour les Franciliens de revenir sur leur site de travail. Un retour à la normale qui beaucoup redoutent.
Aller au travail – en voiture ou en transports – prendre un café à la machine avec les collègues, fumer une cigarette en racontant sa journée, rentrer chez soi après une dure journée de labeur en voiture ou en transports. Aller au bureau est l’un des éléments caractéristiques d’une "vie normale". C’est un rituel auquel les franciliens ne sont plus habitués depuis le début de la crise sanitaire. Pendant près d’un an et demi, il a été remplacé par le télétravail. Se soustraire aux heures de trajet, enchaîner les réunions en ligne, faire vibrer la machine à café du domicile – sans parler de la présence éventuelle du conjoint et/ou des enfants – le tout sans masque. En télétravail, la journée se termine lors de la fermeture de l’écran de l’ordinateur.
Pourtant, parmi les nouveautés entrant en vigueur le 9 juin – outre l’allègement du couvre-feu à 23h et l’ouverture des places intérieures des restaurants – figure la possibilité pour les Franciliens de revenir sur leur site de travail. La nouvelle version du protocole national en entreprise, prévoit que “les employeurs fixent, dans le cadre du dialogue social de proximité, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les activités qui le permettent”. Une nouvelle qui en ravira sans doute beaucoup, mais pas tous.
"Retrouver un équilibre"
Sont-ils toutefois tous vraiment satisfaits que le télétravail prenne (presque) fin ? De retrouver le rituel "métro-boulot-dodo" d’avant-crise ? D’avoir à se lever plus tôt, prendre les transports, affronter les embouteillages sur le périphérique ? Nous sommes allés à la rencontre de Franciliens qui se sont habitués au télétravail et que le retour sur site n’enchante pas tellement.
Les raisons sont dans leur grande majorité de l'ordre du "pratique". "Ce sont surtout les jeunes qui n’ont pas envie de revenir sur site", nous confie Paul*, qui travaille dans une entreprise d'informatique dans le Val-de-Marne et qui dirige une équipe. "La raison principale [au fait qu’ils ne veulent pas venir en présentiel] réside dans le trajet en voiture. C’est le point qui dégoûte tout le monde. Et ce dégoût est accentué s'ils prennent les transports en commun", complète-t-il. Si le retour sur site est fortement recommandé "les salariés sont encore aujourd’hui à une ou deux journées par semaine seulement [en présentiel]".
"Il va falloir que je retrouve un rythme que j’ai abandonné il y a plus d'un an"
"Avant, mon fils passait son temps en centre de loisirs, à la cantine, etc. En travaillant depuis la maison, j’ai pu m’en occuper, le chercher à l’heure du déjeuner, etc. Je me suis aussi rendu compte que c’était bien de passer du temps en famille. Et cet équilibre que j’ai trouvé, je vais devoir le ‘challenger’ dès septembre (…) On va nous offrir deux jours de télétravail par semaine, mais pas plus", nous confie Anne*, travaillant dans le domaine du digital, en télétravail depuis des mois. Bien que mettant en avant l’importance d’avoir une "cohésion d’équipe" et un contact professionnel avec les collègues, elle aimerait "avoir au moins trois jours de télétravail par semaine". Quid du retour sur site en septembre ? "Je ne veux pas y penser" répond-elle. "Il va falloir que je retrouve un rythme que j’ai abandonné il y a plus d'un an", résume-t-elle.
Syndrome de la "cabane", mais pas que
D’autres sont atteints du syndrome dit "de la cabane". Un terme récent, utilisé depuis le début de la crise sanitaire, servant à désigner les personnes qui ont peur de quitter leur lieu d’enfermement. Il a été utilisé en particulier pendant la période de confinement. Il est aujourd’hui associé à la peur de reprendre une vie normale.
Attention toutefois, "il faut différencier les personnes souffrant de ce syndrome de celles qui ont finalement apprécié le télétravail (sans de transport en commun pour aller au travail) ou de rester chez elles avec un revenu assuré", insiste Sylvie Droit-Volet, professeure des universités, et spécialiste en psychologie cognitive. "Parmi ceux qui ne veulent pas retourner au travail, il y a ceux qui ont un vrai syndrome ‘de la cabane’, et ceux pour qui c’est vraiment une problématique liée au travail lui-même et pas à la vie sociale en général", ajoute de son côté Marie-Estelle Dupont, psychologue clinicienne, psychothérapeute et auteur.
"Il y a un manque d’enthousiasme à retourner au travail comme avant"
"Retourner au travail avec tout ce que cela implique peut être difficile pour beaucoup (…) Certaines personnes se sont adaptées au confinement et ont changé leur rythme de vie. Maintenant on leur demande de nouveau de changer de vie. Chaque changement est difficile", précise Sylvie Droit-Volet, ajoutant que ce changement est compliqué chez les personnes "souffrant de dépression (…) L’isolement social lié au confinement a accentué les problèmes de dépression".
"Il y a un manque d’enthousiasme à retourner au travail comme avant", poursuit Marie-Estelle Dupont, rappelant au passage que "le syndrome de la cabane ne suffit pas à expliquer le fait que les gens ont envie d’une réorganisation différente du temps de travail".
*Par souci d’anonymat, les prénoms ont été modifiés