Près de deux mois de grève et peut-être enfin une lueur d’espoir grâce à une nouvelle médiation pour trouver une issue face à un conflit social qui paralyse le réseau de bus de Cergy-Pontoise (95) et celui de Conflans-Sainte-Honorine (78). Rafik est conducteur de bus et gréviste. Il nous parle de son quotidien, de cette lutte sociale et de ses espoirs.
C’est un conflit social qui va laisser des traces. Depuis maintenant plus de deux mois, de nombreux salariés, du réseau de bus de Cergy-Pontoise dans le Val-d’Oise et celui de Conflans-Sainte-Honorine dans les Yvelines, se mobilisent. Ils manifestent pour dénoncer des conditions de travail qu’ils jugent dégradés, mais aussi contre des salaires trop bas.
Parmi le personnel qui s’est mobilisé dès les premiers jours du conflit se trouve Rafik. Chauffeur de bus depuis 2018, il est ce qu’on appelle un "voltigeur", dans le jargon transport en commun. C’est-à-dire qu’il n’a pas une ligne définie. Chaque jour, il s’adapte à un nouveau trajet, selon les besoins de sa société. Pour des raisons personnelles, il a souhaité garder l’anonymat. Son prénom a donc été modifié. Il nous raconte son quotidien depuis le début du conflit. Voici son témoignage.
Pourquoi avoir choisi ce métier de conducteur de bus ? Qu’est-ce qui vous a attiré vers celui-ci ?
Rafik : A la base, j’ai une licence de comptabilité. Puis j’ai décidé de me lancer comme conducteur de bus. Ce métier me plaît parce qu’on ne fait pas les mêmes choses tous les jours. On conduit un bus, mais aussi des personnes. On en transporte des nouvelles tous les jours. Il n’y a pas de routine. C’est ça que j’aime particulièrement. Et aussi le fait de conduire des bus. Quand j’étais plus jeune, je trouvais qu’être chauffeur de bus avait une certaine prestance.
Aujourd’hui, les métiers du transport, ce sont des kilomètres… Le plus de kilomètres possibles pour gagner de l’argent.
Rafik, conducteur de bus et gréviste
Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que ce n’est plus le même métier. Je trouve que celui-ci s’est dégradé. Aujourd’hui, les métiers du transport, ce sont des kilomètres… Le plus de kilomètres possibles pour gagner de l’argent. J’ai l’impression qu’on ne transporte plus des humains, mais des animaux. Excusez-moi du terme, mais c’est parce que même si le bus n’est pas en état, on sort quand même le bus et il roule quand même.
Résultat : aujourd’hui, je me remets totalement en question. Sur nos feuilles de service, ils nous ont rajouté 2,8 % d’heures de travail pour être payé quasiment pareil. Les temps de pause ont été supprimés. Pour eux, c’est roule, roule et ne t’arrête pas…
Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre ce mouvement de grève ?
Rafik : J’ai rejoint le mouvement de grève depuis le 7 novembre. C’est suite au discours d’un élu syndical. Étant jeune et voir les anciens se battre pour nous les jeunes, cela m’a motivé à rentrer dans ce combat social avec eux.
Au départ, c’était par rapport à nos conditions de travail. Celles-ci ont changé. Depuis septembre, on a de nouvelles feuilles de service de moins de 6 heures. Elles ne nous conviennent pas. Quand vous faites un service de moins de 6 heures, on n’est pas obligé de vous payer des pauses, comme la pause de 20 minutes normalement obligatoire.
Donc résultat, avec ces nouvelles feuilles de service, quand vous sortez le matin, vous charbonnez comme pas possible et quand vous rentrez, vous êtes lessivés. C’est comme si vous aviez fait un service de 8 heures 30, alors qu’il est de 6 heures. Et en plus comme on finit avant midi, il ne nous paye plus les paniers repas, puisqu’on rentre chez nous.
Avec ces nouvelles feuilles de service, quand vous sortez le matin, vous charbonnez comme pas possible et quand vous rentrez, vous êtes lessivés
Rafik
Les conditions de travail qui se sont dégradées. D’une certaine manière, on retourne aux années 2000. L’inflation actuellement a pris 7 % et nous, on va retourner sur un salaire de base des années 2000. Ce n’est pas possible. C’est travailler plus et gagner moins.
Comment s’organisent vos journées ?
Rafik : Tous les jours je vais sur le piquet de grève. Le soir, quand je suis à la maison, je pense déjà au lendemain et qu’il faut que j’aille aider mes collègues. Il y en a qui sont présents le matin, d’autres l’après-midi, et d’autres le soir. Et donc du coup, on fait une sorte de roulement. Résultat, constamment, on pense aux collègues qui sont sur place. S’ils n’ont pas trop froid, s’ils ne manquent de rien… On pense tout le temps à ceux qui sont là-bas.
Depuis 2 mois, je pense plus à ce qui se passe là-bas que chez moi. J’ai l’impression d’oublier mon rôle de papa.
Rafik
Quelquefois fois, je suis là-bas dès le matin, je suis au piquet pour montrer qu’on est encore là et qu’on est solidaire. Souvent je fais à manger pour les collègues à midi. On va aux réunions.
Mes proches le vivent mal. Que ce soit ma mère ou ma fille en bas âge. Depuis 2 mois, je pense plus à ce qui se passe là-bas que chez moi. J’ai l’impression d’oublier mon rôle de papa. La grève a pris énormément de place dans ma vie personnelle. Une grève de plus de 60 jours, je pense que ça n’a jamais été fait nulle part. Physiquement et psychologiquement à vivre, c’est très compliqué.
Et financièrement ? Comment faites-vous ?
Financièrement on a zéro. Pour l’instant, je gère grâce à l’argent que j’ai pu mettre de côté. Je n’ai pas le choix, j’utilise cet argent-là. Il y a aussi une cagnotte qui a été mise en place pour soutenir les grévistes. Mais vu le nombre de grévistes qu’on est, par gréviste cela revient à près de 5 euros par jour. On est à peu près 150 grévistes.
Cette médiation annoncée est-elle une lueur d’espoir ?
Rafik : Je ne vais pas vous mentir, c’est notre dernier espoir. En tout cas moi de mon côté, c'est mon dernier espoir, la médiation. Je comptais ne plus faire grève à cause du côté financier. Car c’est vraiment très compliqué. Mais le fait qu’on nous dise qu’il y a une médiation qui a été mise en place, cela nous redonne espoir. Aujourd’hui, j’ai décidé de me donner à 100 %. J'espère que cela va jouer en notre faveur.
On attend tous la même chose : la fin du conflit, la fin de la grève et reprendre enfin chacun notre travail.