Les grandes cheminées de l'ancienne centrale EDF de Vitry-sur-Seine sont au cœur d'un contentieux. D'un côté, l'entreprise de production d'électricité veut les détruire pour créer de nouveaux projets industriels, de l'autre, la commune du Val-de-Marne souhaite les conserver au nom du patrimoine.
À Vitry-sur-Seine, le célèbre chapiteau de l'association Kilowatt est menacé. En juin dernier, il a été soufflé par des rafales de vent atteignant les 115 km/h. Mais désormais, c'est un déménagement forcé qui pourrait le faire tomber.
"EDF a choisi de ne pas renouveler la convention avec la commune. Donc on se retrouve dans une position d'occupation illégale du site, même si on est toujours conventionné avec la ville. C'est un peu tarabiscoté, mais on espère régler la situation à l'amiable", indique Aurélien Rozo, directeur du Kilowatt.
En 2015, la centrale thermique ferme ses portes. Trois ans plus tard, l'entreprise de production d'électricité permet à l'association, via une convention d'occupation temporaire, d'occuper une partie des 27 hectares de terrain qu'occupe la centrale. Le succès est au rendez-vous, le Kilowatt accueille 50 000 spectateurs par saison et de grands noms viennent s'y produire.
La mairie classe les cheminées "Patrimoine remarquable communal"
Cinq ans plus tard, EDF choisit de ne pas renouveler la fameuse convention car l'entreprise veut réhabiliter le site et détruire les deux immenses cheminées qui datent de l'ancien édifice. "Pour que cela se passe en toute sécurité, il faut commencer par déconstruire la cheminée puis ce qu'on appelle le bloc usine, donc l'ensemble des autres installations. Si on ne fait pas cela, 75% de la réserve foncière ne serait pas utilisable pour d'autres projets industriels", explique Olivier Lamarre, directeur de la Division Thermique et Expertise Appui-Métiers (DTEAM) à EDF.
Ce dernier avance que chaque centrale arrêtée doit être déconstruite : "c'est une obligation réglementaire, comme pour toutes les autres centrales que l'on a arrêtées en France depuis des années".
La mairie de Vitry-sur-Seine ne l'entend pas de cette oreille. Elle a d'ores et déjà classé les cheminées comme "Patrimoine remarquable communal". Pour la municipalité, "ces cheminées sont un témoignage de l'histoire de notre ville, c'est un témoignage qui est monumental de l'histoire ouvrière. C'est le témoignage de gens qui sont morts pour produire de l'énergie pour notre pays. Effacer cette histoire, c'est effacer ce que nous sommes. Ce sont les tours Eiffel de Vitry", proteste Pierre Bell-Lloch, maire (PCF) de Vitry-sur-Seine.
L'édile se dit d'ailleurs prêt à trouver des financements et à chercher des solutions pour que cela ne coûte rien à EDF. Selon lui, le problème réside dans le fait que ces cheminées se trouvent au milieu du terrain et qu'elles empêchent le développement de projets. "EDF affirme que les cheminées sont dangereuses et qu'il faudrait les démolir. Sauf que techniquement, jusqu'à maintenant, ce n'est pas vrai. Mais le temps passant, vu qu'ils ne les entretiennent pas, elles peuvent le devenir", poursuit-il.
La préfecture valide la démolition, la justice l'interdit
Olivier Lamarre, directeur de la DTEAM à EDF, réfute tout projet caché. "On propose des projets d'énergie décarbonée très concrets qu'on a déjà soumis à l'Ademe (l'Agence de la transition écologique, ndlr) : une centrale de production de chaleur à partir de biomasse, une usine de production d'hydrogène à partir d'énergie propre. Et, un peu plus tard, mais pour ça, il faut déconstruire l'usine et ses cheminées, d'autres outils de production d'électricité thermique décarbonée."
Actuellement, la situation est bloquée. Si la préfecture du Val-de-Marne a autorisé la destruction des cheminées, la mairie a déposé un recours auprès du tribunal administratif de Melun pour dénoncer le permis de démolir. La justice administrative a donné raison à la commune en avril 2022. EDF a fait appel de la décision.
"On souhaite travailler avec les riverains. Nous avons proposé il y a plus d'un an la mise en place d'un collectif de riverains pour travailler ensemble sur le devenir du site et pour pouvoir garder, en effet, la mémoire industrielle du site, tout en imaginant des projets innovants, propres, c'est-à-dire décarbonés et créateur d'emplois", souligne ce haut dirigeant d'EDF.
Il affirme avoir proposé au maire de Vitry-sur-Seine la création d'un musée de l'histoire industrielle, notamment de la production d'électricité, ainsi que la possibilité pour la future usine de production de chaleur de faire référence aux cheminées "en faisant appel à des artistes et des architectes".
Le Kilowatt demande du temps pour déménager
La centrale biomasse doit, elle, permettre à tout un quartier de se raccorder au chauffage urbain. "Nous demandons de la transparence avec un document qui fait la démonstration que l'installation d'une chaufferie de Bois B ne serait pas néfaste pour les populations. Pour l'instant, je n'ai eu d'écrits, de garanties", regrette Pierre Bell-Lloch.
Le maire de cette commune du Val-de-Marne résume les enjeux simplement : "ils sont pressés, nous avons le temps".
Du côté de l'association Kilowatt, l'incertitude plane. De potentiels nouveaux terrains ont été trouvés pour l'accueillir dans la commune, mais la question de la temporalité est aussi cruciale. Selon Aurélien Rozo, directeur du lieu associatif, "nous avons besoin d'au moins deux ans pour déplacer le lieu. On espère que EDF va l'entendre".