REPORTAGE. Plan baignade : la reconquête de la qualité des eaux de la Marne se livre aussi dans les sous-sols

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À quelques mois des J.O, plus de 20 000 branchements privés rejetteraient directement les eaux usées dans la Seine et dans la Marne. Dans le Val-de-Marne, des spécialistes de l'assainissement mènent depuis trois ans un long travail d'enquête pour persuader les propriétaires particuliers d'effectuer des travaux pour rendre à terme la Marne et la Seine baignables.

La bataille pour rendre baignable l'eau de la Marne se livre en partie sur terre ou plutôt dans les souterrains des communes du département du Val-de-Marne. À 15 km à l'est de Paris, des habitants sont incités à faire des travaux de conformité de leurs réseaux de canalisation. Des travaux devenus obligatoires si l'on vend son bien.

Rendre baignable l'eau de la Marne interdite à ce loisir depuis 1970, c'est améliorer sa qualité bactériologique, abaisser notamment, selon une directive européenne, les taux d’Escherichia coli et entérocoques intestinaux, des bactéries fécales.

Cette campagne lancée à l'adresse des particuliers est l'une des très nombreuses opérations publiques et privées d'assainissement menées en Ile-de France depuis le lancement du plan Qualité de l'eau et Baignade en 2016. Un plan qui permettra d'organiser les épreuves de natations dans la Seine pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024. Mais surtout au-delà, dès l'été 2025 de rendre la baignade possible dans la Marne et dans la Seine sur 23 sites sélectionnés.

"Maison par maison"

"Est-ce qu'on peut tirer la chasse d'eau ? À la demande d'un ouvrier de chantier, Huguette Gaspard s'exécute et interrompt son activité domestique pour se rendre dans ses toilettes. Ce matin, cette retraitée, propriétaire d'une maison de 1935, située dans une des plus vieux quartiers de Villers-sur-Marne en Val-de-Marne, reçoit la visite d'une entreprise d'assainissement.

"Il y a 4 ou 5 ans, il a fallu, que dans la cave, j'effectue une séparation entre les eaux usées et les eaux pluviales, ça m'a coûté quand même assez cher, mais je l'ai fait et je pensais être tranquille. Et il y a à peu près un an, tout le voisinage a été contacté justement pour faire des travaux extérieurs". Tout comme Huguette, des centaines de résidents de cette commune à 15km de Paris, ont reçu un courrier posté par Paris Est Marne&Bois, : une demande de diagnostic du réseau du raccordement de leur maison au réseau public.

S'il existe dans la rue, deux tuyaux pour collecter respectivement les eaux usées et les eaux pluviales, les deux sont normalement parfaitement séparés et les branchements privés doivent se raccorder correctement, respecter ce réseau séparatif.

Pour traquer ces mauvais branchements, des techniciens de la division assainissement et eau de cet établissement public territorial situé à Joinville-le-Pont enquêtent depuis des mois. Ces spécialistes de l'assainissement traquent dans les sous-sols des parcelles des maisons particulières, dans les rues des quartiers, les mauvais raccordements, les canalisations séparatives manquantes, déterrent même des fosses septiques qui n’ont plus lieu d'être.

"On y va maison par maison, rue par rue", raconte Ferdinand Guichard, un des techniciens qui suit ces chantiers. "Normalement, les gens sont censés se raccorder aux réseaux existants. Dès lors qu'il y a le réseau d'eau usée qui est posé, le riverain est dans l'obligation de se brancher mais il y a beaucoup de gens qui ne le savent pas, qui ne s'y connaissent pas du tout."

Colorants jaune et bleu 

Au menu du chantier ce matin dans la propriété d'Huguette, la création d'un regard de collecte, un dispositif qui va éviter aux eaux pluviales de se mélanger aux eaux usées. "Une intervention classique ", entend-on dire sur le chantier, mais multiplié par dix, par cent à l'échelle d'un quartier et d'une ville, cette opération technique s'avère stratégique pour la qualité de l'eau de la rivière.

"Ça pose problème quand les eaux pluviales vont se verser dans les eaux usées, elles vont saturer le réseau. Ces eaux mélangées vont aller dans les stations d'épuration qui, elles, n'ont pas d'autre choix quand elles sont saturées que de reverser dans la Marne", explique Diop Amadou, technicien en assainissement.

Pour vérifier que les eaux usées et les eaux pluviales ne se mélangent pas et s'écoulent dans des canalisations séparées, Diop Amadou jette du colorant jaune et bleu dans les puits de collecte de la maison, puis file voir le résultat dans le sous-sol de la rue. Constat : les eaux se mélangent mais "ce n'est vraisemblablement qu'une fissure à réparer dans le dispositif ", rassure un technicien.

"Un Everest "

Chaque maison, chaque parcelle, chaque rue présente un cas particulier pour ses techniciens et ce chantier de mise en conformité sur ce territoire, est considérable.

Un "Everest au début de nos opérations" en 2020 se rappelle aujourd'hui Claire Costel. Au sein de la division Eau de l'assainissement des espaces publics de Paris Est Marne&Bois, Claire Costel conduit les opérations stratégiques d'assainissement sur son territoire.

Un réseau de 900 km sur 13 communes, de Saint-Mandé à Villiers-sur-Marne, de Maison-Alfort à Charenton le Pont. Au total, 520 000 habitants, 34 0000 parcelles branchées aux réseaux de l'établissement public, Sans compter les habitants qui sont raccordés sur les réseaux départementaux qui traversent aussi son territoire.

Sur les 34 000 branchements recensés, la moitié "ne se déverse pas forcément bien et c'est plus ou moins grave selon le type de réseau", analyse Claire Costel qui parle seulement d'une estimation. "Là ou c'est mal raccordé, c'est direct dans la Marne", affirme-t-elle en précisant que selon une évaluation, "3.400 branchements ont été identifiés comme prioritaires, à vérifier absolument et à corriger absolument". En clair, en raison de ces mauvais branchements, les eaux usées et leurs lots de germes fécaux rejoignent alors directement les rivières sans traitement sans passer par les stations d'épuration.

Mais comment expliquer cette situation ? Par exemple, à Joinville-le-Pont, "un nouveau réseau a été créé pour récolter les eaux usées et on a gardé l'ancien pour soi-disant ne garder que les eaux pluviales, et quand ces travaux-là ont été fait dans la rue, le message a été passé à tous les riverains de se débrouiller pour se raccorder correctement au bon réseau et basta ! On s'en est allé", raconte Claire Costel. Globalement, "il y a des millions de deniers publics qui ont été dépensés sur le domaine public et on ne vérifiait pas systématiquement que les raccordements se faisaient pour les maisons. La loi impose que ce soit fait dans les deux ans, mais en fait la puissance publique n'a pas la force d'aller imposer aux gens de faire des travaux chez eux, ce n’est pas très populaire", ajoute-t-elle. 

Des opérations clefs en main

Pour alléger leurs factures de mise en conformité, les particuliers peuvent toucher des subventions dispensées par l'Agence de l'eau Seine Normandie. Selon les cas, la prise en charge peut aller jusqu'à 90 % de la facture. Il y a 3 ans, l'Etablissement territorial a conçu une convention pour inciter les habitants à engager les travaux. Lors de chaque opération, l'établissement paye l'entreprise de travaux qui intervient chez le particulier et se fait ensuite rembourser par l'Agence de l'eau en touchant les subventions.

Pour un branchement à 7000 euros, une subvention à 6000, le riverain déboursera 1000 euros. "Le fait qu'on amène aussi une entreprise renommée choisie sur appel d'offres ( ..) de suivre les travaux, c'est une grande aide", assure Claire Costel.  Un millier d'opérations de mise en conformité a été mené de cette façon depuis 2020. 497 autres adresses sont programmés d’ici la fin de 2023 sur ce territoire.

L'effet J.O

Un peu plus nord-est de Paris, sur un autre territoire, des étudiants font depuis quelques semaines du porte à porte pour sensibiliser les habitants et les inciter à effectuer des travaux. Un travail de terrain et de prise en contact missionné par un autre établissement territorial à l'est de Paris, Grand Paris Grand Est. "Quand on va chez eux, les habitants associent la demande de mise en conformité aux Jeux Olympiques ( .. ) Ça dépend des riverains (.. ). On sort aussi forcément l'argument écologique et une grande partie ce la population y est sensible", raconte Lucille Loblot, membre d'une junior entreprise de l'école, étudiante en 2eme année à l'Ecole des Ponts Paris Tech à Champs-sur-Marne. 

De son côté, Claire Costel de Paris Est Marne&Bois apprécie l'effet que l'organisation des JO de Paris a pu produire dans le milieu de l'assainissement. "Jusqu'à cet élan des Jeux Olympiques, l'assainissement, personne n'avait envie d'en parler, personne n'avait envie que ça se voit. Les gens qui travaillaient dans l'assainissement travaillaient dans l'ombre. Et créer ce service (pour la conformité des réseaux, Ndlr) - a été une formidable occasion de faire émerger ça", se félicite-t-elle. "On est allé au contact de la population plutôt que d'attendre qu'elle vienne nous accuser des pires mots de la Terre" ajoute-t-elle. 

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