Alors que la préfecture du Val-de-Marne a demandé aux villes du département une stricte application des 1607 heures de travail annuelles pour les agents municipaux, des élus de gauche dénoncent une injonction "hypocrite".
"Au nom de quoi devrions-nous accepter de toujours aligner par le bas les droits des travailleurs ?" Dans une tribune publiée vendredi 26 février, l’association des élus communistes et républicains du Val-de-Marne (Adecr 94) annonce que ses membres n’obéiront pas aux demandes de l’Etat. Une réaction qui fait suite à un courrier envoyé par la préfecture du département, rappelant aux villes l’obligation de faire exécuter 1607 heures annuelles aux agents municipaux.
"Pendant les congés de fin d’année, les maires du département ont reçu une bien étrange missive de M. le Préfet, dans laquelle il leur demande de délibérer avant le 22 mars pour appliquer les dispositions de la loi de Transformation de la fonction publique d’août 2019 sur le temps de travail des agents", explique la tribune.
Les 1607 heures annuelles en question correspondent à 35 heures de travail par semaine moins les congés payés, de quoi exclure les autorisations de congés exceptionnelles selon les élus : "La loi annule tous les accords plus favorables au temps de travail légal des fonctionnaires territoriaux, qui avaient été négociés dans les collectivités au fil des ans. Il s’agit bien souvent de jours de congés supplémentaires, d’applications plus favorables des autorisations d’absence pour décès, mariage ou enfant malade, de congés exceptionnels au moment du départ en retraite pour les agents ayant travaillé plusieurs décennies dans la collectivité…"
J’ai été cadre dans le privé, j’avais plus de congés que ce que les fonctionnaires ont aujourd’hui... Ce n’est pas normal que tout retombe toujours sur eux, de les pointer du doigt.
Parmi les signataires, on trouve Christian Favier, président du Conseil départemental, Denis Öztorun, maire de Bonneuil-sur-Marne, Stéphanie Daumin, maire de Chevilly-Larue, Patricia Tordjman, maire de Gentilly, Philippe Bouyssou, maire d’Ivry-sur-Seine, Pierre Garzon, maire de Villejuif, Pierre Bell-Lloch, maire de Vitry-sur-Seine, Michel Leprêtre, président de l’établissement public territorial (EPT) "Grand-Orly Seine Bièvre", mais aussi maire de Fontenay-sous-Bois : Jean-Philippe Gautrais.
Ce dernier confirme à France 3 Paris IDF qu’il s’oppose aux demandes de la préfecture : "Ce n’est pas normal de remettre en cause ces congés, qui ont été négociés, dans un cadre légal, entre l’employeur et les représentants du personnel. Ça pose la question de la libre administration des communes."
"D’un côté, le gouvernement salue le travail des fonctionnaires face à la pandémie, et de l’autre il les fait passer pour des privilégiés"
Jean-Philippe Gautrais (Front de Gauche) évoque aussi une inégalité de traitement entre le public et le privé : "J’ai 1 500 fonctionnaires dans ma commune, 80 % d’entre eux sont près du Smic. Et les salaires, qu’on ne maîtrise pas à notre niveau, n’augmentent pas. J’ai été cadre dans le privé, j’avais plus de congés que ce que les fonctionnaires ont aujourd’hui, les conventions collectives sont souvent plus favorables que dans le public. Ce n’est pas normal que tout retombe toujours sur eux, de les pointer du doigt."
La tribune rappelle d’ailleurs qu’en 2018, "le salaire moyen des fonctionnaires territoriaux (gelé depuis plus de dix ans) était inférieur de 400 euros nets par mois par rapport aux salariés du secteur privé", "une différence qui s’élève à 550 euros pour les agents de catégorie C, qui représentent 75 % des effectifs".
Jean-Philippe Gautrais dénonce aussi l’"hypocrisie" de l’injonction, dans le contexte de crise sanitaire : "D’un côté, le gouvernement salue le travail des fonctionnaires qui sont sur tous les fronts face à la pandémie, et de l’autre il les fait passer pour des privilégiés, et s’attaque à leurs droits".
D’après la maire de Fontenay-sous-Bois, "les réformes ne changent pas, malgré les formules sur le "quoi qu'il en coûte"" : "Il y a toujours une volonté de diminuer la dépense publique, et donc le service public. Alors même qu'on voit bien que sans le service public de proximité qui existe dans notre pays, la crise profonde qu’on traverse serait moins bien amortie."
"Le dogme qui prétend qu’un travail réalisé par des fonctionnaires coûte plus cher, ce n’est pas vrai"
Crèche, cimetière, restauration collective, aides à domicile, animateurs, voirie, propreté, espaces verts… Dans sa commune, l’élu indique que 150 métiers au total sont représentés : "On fait beaucoup de choses en régie, c’est vrai mais il y a un savoir-faire en interne. Et c’est aussi une question de choix politiques, qu’on assume. L’enjeu de fond, c’est défendre la fonction publique territoriale, qui demande du personnel, et que les gouvernements successifs tentent de casser."
"La volonté du gouvernement est dogmatique : on essaie en permanence de faire passer la gestion de nos communes comme laxiste, alors même que c’est faux. Tout ça pour appauvrir le service public. Et le dogme qui prétend qu’un travail réalisé par des fonctionnaires coûte plus cher, ce n’est pas vrai", ajoute l’édile. Jean-Philippe Gautrais, qui indique avoir demandé des consultations juridiques sur la question de "l’inégalité de traitement entre les différents salariés", affirme "respecter la loi".
En l’absence de nouvelle délibération relative au temps de travail, la durée réglementaire de travail leur sera applicable de plein droit
Contactée, la préfecture explique à France 3 Paris IDF qu’"une circulaire préfectorale a été adressée le 21 décembre 2020 aux collectivités locales du Val-de-Marne en vue de leur rappeler les dispositions de la loi du 6 août 2019 et notamment l’échéance qui leur été fixée" : "A compter de cette date, les délibérations instaurant les régimes dérogatoires seront dépourvues de base légale et frappées de caducité. En l’absence de nouvelle délibération relative au temps de travail, la durée réglementaire de travail leur sera applicable de plein droit."
La préfecture précise qu’"à ce stade", "deux communes ont sollicité un délai supplémentaire pour atteindre cet objectif" : Charenton-le-Pont pour le 24 mars prochain, qui a reçu une réponse favorable ; et Nogent-sur-Marne pour le 8 juin "au plus tard", la réponse étant toujours en cours.