La finale du concours du Meilleur sommelier du monde se tient ce dimanche à Nanterre. La compétition réunit 68 concurrents et la française Pascaline Lepeltier fait figure de candidate très sérieuse pour le titre. Déjà meilleure sommelière et ouvrière de France, la rochelaise d'origine et angevine de coeur détonne dans le monde de la cuisine. Deux de ses mentors reviennent sur le parcours d'une femme hors du commun, passée de la philosophie de Bergson au monde de la restauration.
Il est parfois des entretiens difficiles à décrocher mais pour évoquer la trajectoire de Pascaline Lepeltier, toutes les portes s'ouvrent pour décrocher un rendez-vous. Installée à New-York, la sommelière est aujourd'hui une des femmes les plus respectées et médiatisées dans le monde du vin. Le breton Eric Beaumard, le directeur du prestigieux restaurant le Cinq du palace Georges V ne l'a eu sous ses ordres que quelques mois, mais suffisamment pour garder des souvenirs précis de son passage.
Eric Beaumard, vice-champion du monde du concours du Meilleur sommelier du Monde 1992 et chef sommelier du Cinq.
"C'est une copine, une fille très attachante qui a du caractère et de la pudeur. On ne s'est jamais lâché de vue. On n'aurait jamais imaginé qu'elle en arrive-là. A son arrivée, c'était un petit oiseau, c'est comme si un stagiaire arrivait travailler au Real de Madrid, on avait une grosse brigade, on ne se voyait pas beaucoup mais on s'est lié d'amitié. Elle avait un discours basé sur la nature et assez déterminée sur ce que devrait être la viticulture. Elle était à contre-courant. Elle était de cette trempe de sommelière capable de défendre des produits même s'ils n'étaient pas académiquement bons. Elle avait des convictions mais je n'ai pas croisé le fer avec elle sur ces sujets en dégustation. Elle est sincère et j'espère qu'elle gagnera parce qu'elle défend une idée du vin que j'aime beaucoup. Elle ne défend pas que le fric. Je lui ai remis la médaille du travail à Savennières (Maine-et-Loire) au domaine de la Roche aux moines et puis elle est passée nous voir au restaurant, mais toujours rapidement car elle travaille beaucoup.
"C'est quelqu'un qui peut faire avancer la viticulture et réconcilier deux mondes entre le conventionnel et le bio""
Eric Beaumard, directeur et chef sommelier du restaurant le Cinq
. Ce qui est important, c'est ce qu'on inspire à nos jeunes sommeliers, les valeurs qu'on véhicule, les solutions qu'on peut trouver pour ne pas massacrer l'environnement. Je serai à Nanterre pour la défendre. Pas besoin de lui parler, un regard suffit. J'espère qu'elle va gagner."
Jacques Thorel, ancien chef de l'Auberge bretonne
Désormais retraité, Jacques Thorel ne tarit pas d'éloges non plus pour celle à qui il a ouvert les portes de son restaurant de la Roche-Bernard (Morbihan) pendant un an le temps de son apprentissage, à une époque où les femmes avaient plus de mal pour se faire une place dans le monde du vin et de la gastronomie.
" C'est une grande rencontre dans ma vie, on se téléphone souvent. Il y a comme une fierté de voir sa réussite. J'ai transmis qu'il faut être sincère, et qu'il faut. C'est pas que goûter du vin et l'acheter. Il faut trouver le vin qu'on aime pour pouvoir le défendre à table parfois devant des clients qui n'ont pas le même goût que vous. C'est une osmose entre vous et la clientèle. J'ai appris plein de choses auprès d'elle: ses études de philosophie amenaient un esprit qui manquait à l'époque. Les gens parlaient du vin avec des termes parfois comiques ou des expressions poétiques un peu toutes faites! Quand quelqu'un vous dit que le vin sent "le cuir de Russie" ou "la peau de lièvre"... ils n'avaient pas dû en sentir souvent sinon ils n'auraient pas dit ça! Pascaline en revanche aborde le vin avec des termes bien précis, sans emphase. Si j'ai un souvenir de dégustation avec elle? A New-York elle m'a fait goûter des palourdes. Chez nous en Bretagne on les manges souvent farcies avec du beurre d'escargot, c'est appétissant mais ça n'a pas beaucoup d'intérêt. Là elle a fait un pain toasté avec du beurre d'escargot bien parfumé et elle a ouvert les palourdes dessus à la minute. C'était délicieux et elle nous a servi un blanc de la baie de New-York, c'était super bon. A l'époque on faisait une volaille rôtie avec du foie gras et on servait un Tokay d'Alsace avec. On jouait bien avec les nuances du plat et les notes pomme et tilleul du Tokay, c'était sympa! J'attends la finale avec impatience. Elle a une capacité exceptionnelle a emmagasiner des données, une mémoire phénoménale et je suis de tout coeur avec elle."
La finale du concours du Meilleur sommelier du Monde se tiendra à l'Arena de Nanterre ce dimanche 12 février. Trois concurrents devront être départagés par le jury au terme d'épreuves mêlant dégustation, conseils d'accords mets et vins et service à table pour apprécier la connaissance du vin et des boissons en général des candidats ainsi que leur maîtrise de l'art du service. Après les éliminatoires, ils sont encore 17 sommeliers dont Pascaline Lepeltier à pouvoir espérer disputer la finale. Leurs noms ne seront connus que quelques minutes avant le début de la phase finale. Aucune femme n'a pour l'instant remporté le prestigieux concours.