C'est une première depuis la mise en place de l'état d'urgence : le Conseil d'Etat vient d'annuler une assignation à résidence et a, en outre, condamné l'État à verser 1.500 euros à la personne concernée, un habitant de Vitry-sur-Seine.
Le Conseil d'État a suspendu vendredi pour la première fois une assignation à résidence, dans des termes sévères, et en plein débat sur la durée de l'état d'urgence : La plus haute juridiction administrative, régulièrement saisie au sujet d'assignations à résidence depuis la proclamation de l'état d'urgence après les attentats du 13 novembre, a aussi condamné l'État à verser 1.500 euros à la personne concernée. Le Conseil d'État a démonté les arguments du ministère de l'Intérieur, pour qui Halim A., assigné à résidence le 15 décembre à Vitry-sur-Seine, serait un islamiste radical et dangereux.
Pour la juridiction, "aucun élément suffisamment circonstancié produit par le ministre de l'Intérieur ne permet de justifier" cette accusation. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, que le Conseil d'État avait convoqué le 21 janvier, et qui s'est fait représenter, s'est donc rendu coupable d'une "atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir".
Les autorités affirmaient en particulier que Halim A. avait été signalé le 13 mai prenant des photos aux abords du domicile d'un journaliste de Charlie Hebdo. Le Conseil d'État, qui a, chose rare, consacré deux audiences au dossier, a établi que l'homme rendait visite à sa mère, habitant "à proximité immédiate". Par ailleurs l'intéressé avait utilisé son téléphone sur le mode haut-parleur, plus commode parce qu'il avait son casque de scooter sur la tête. Une position qui a donc été "confondue avec celle d'une personne prenant des photographies".
Autre accusation, sur la base de "notes blanches" des services de renseignement, ni datées ni signées : Halim A. aurait été mis en cause dans un trafic de voitures de luxe animé par des membres de la mouvance islamiste. Il avait en fait été "entendu comme témoin" en 2008 dans ce dossier dont rien ne prouve avec certitude qu'il est lié à l'islamisme radical, assènent les juges administratifs.
Débat sur la durée de l'état d'urgence
Cette suspension "a été obtenue au prix d'une mobilisation non-stop, pendant plusieurs jours, pour démonter l'arbitraire", ont raconté à l'AFP les avocats de l'intéressé, William Bourdon et Vincent Brengarth. Et de comparer les notes blanches à des "lettres de cachet", permettant de "criminaliser qui on veut, comme on veut, quand on veut". Pour eux, la décision, "très sévère", "illustre la pertinence des inquiétudes de celles et ceux, nombreux, qui tirent la sonnette d'alarme sur le brutal virage sécuritaire dans notre pays".Halim A. avait été assigné à résidence avec obligation de pointer trois fois par jour au commissariat, interdiction de quitter son domicile la nuit et de quitter la commune la journée sans un sauf-conduit du préfet de police. Gérant d'une société de dépannage de deux roues à Paris, il avait contesté cette mesure devant le tribunal administratif de Melun, en vain, et ensuite saisi le Conseil d'État.
La décision de vendredi fait d'autant plus de bruit que le Premier ministre vient de relancer le débat sur la durée de l'état d'urgence, en vigueur jusqu'à fin février, et que l'Élysée souhaite prolonger de trois mois, avant de l'inscrire dans la Constitution. Manuel Valls a déclaré à la BBC que la France "pouvait utiliser tous les moyens" face au terrorisme "jusqu'à ce qu'on puisse en finir" avec l'organisation jihadiste Etat islamique. Matignon a assuré à l'AFP que l'exécutif n'avait nullement l'intention de prolonger l'état d'urgence pendant des années.
Le Conseil d'État sera à nouveau mis à contribution le 26 janvier: il devra examiner une demande de la Ligue des droits de l'Homme visant à lever, en totalité ou partiellement, l'état d'urgence. "Le piège politique de l'état d'urgence se referme sur le gouvernement", a estimé auprès de l'AFP l'avocat de la LDH, Patrice Spinosi, parce qu'il "y aura toujours une bonne raison de conserver" ce régime. Ce qui serait "extrêmement grave" pour les libertés publiques.