Deux crèches des Yvelines proposent depuis trois ans aux femmes victimes de violences conjugales des places temporaires pour leurs enfants. Un dispositif qui permet de préserver ces derniers lors des démarches auprès de la justice, de la police ou des travailleurs sociaux.
"Quand je déposais mon fils le matin j'étais très inquiète. J'avais peur que son père vienne le récupérer à la crèche. Je répétais bien aux assistantes maternelles qu'elles ne devaient le confier à personne d'autre que moi. Les larmes aux yeux, Nadège* raconte son enfer conjugal. J'avais toujours peur qu'il soit là, qu'il me suive…"
Pendant des années, la jeune maman subie. Le dénigrement, les insultes, les coups. Après des mois de silence et alors que son bébé n'a que seize mois, le frère de Nadège décide d'appeler la police. "Je voulais quitter mon domicile, mais j'avais toujours peur du lendemain, je me demandais comment j'allais me débrouiller avec mon fils, confie-t-elle. J'ai attendu jusqu'au bout pour partir, pourtant j'aurais pu perdre ma vie sous les coups. Mon fils aurait pu me voir pour la dernière fois."
Un accueil temporaire
Accueillie dans un centre d'hébergement de la Croix Rouge, Nadège n'a pas le droit au répit : son ex-conjoint l'assigne en justice. Commence alors une bataille judiciaire et, avec elle, se pose la question de la garde de son petit Théo*. "Je ne pouvais pas le remettre dans la crèche où il allait jusque-là, car elle était à cinq minutes de mon ancien domicile", explique la jeune femme. Accompagnée par les associations locales, elle est orientée vers la micro-crèche A nos anges à Plaisir (Yvelines).
Dans cette structure, qui accueille toute l'année douze enfants âgés de deux mois à quatre ans, un treizième berceau est spécialement dédié aux enfants co-victimes de violences conjugales. Un dispositif inclusif mis en place en 2021 à Plaisir et à Rambouillet l'année suivante, à l'initiative de Géraldine Chamouard, la fondatrice de ces crèches. "Avec notre dispositif de berceau inclusif, nous faisons uniquement de l'accueil occasionnel, explique la gérante, diplômée d'un DU de Violences faites aux femmes. Ce berceau, uniquement dédié aux enfants co-victimes de violences conjugales, est gelé toute l'année pour permettre un accueil d'urgence.
Retrouver sa place
Dans cette micro-crèche colorée, où les fermes miniatures côtoient les maisons de poupées, les femmes victimes de violences peuvent déposer leur enfant pour la journée. "Ce temps libre leur permet de faire leurs démarches administratives ou judiciaires, dans le cas d'un parcours de sortie des violences intra-familiales. Pour d'autres, cela leur permet de préparer leur départ ou de prendre un peu de temps pour elle", explique Géraldine Chamouard.
En deux ans, ces micro-crèches yvelinoises ont ainsi accueilli 34 enfants co-victimes de violences intra-familiales. Soit autant de possibilités pour leurs mères d'entamer leur reconstruction personnelle. À titre d'exemple, 20% de ces femmes se sont servies du dispositif du berceau inclusif pour se rendre à des rendez-vous médicaux, et 10% d'entre elles à des rendez-vous d'insertion professionnelle.
Si ce lieu sécurisé et sécurisant est bénéfique aux mamans, il l'est d'abord et surtout aux enfants. "Il arrive que des mères n'aient pas d'autre choix que d'emmener leur enfant avec elle au commissariat, devant l'avocat ou les travailleurs sociaux. Ce n'est pas approprié pour eux, souligne Géraldine Chamouard. Lorsqu'ils sont ici, entourés de professionnels et d'autres enfants, ils reprennent leur place d'enfant."
Une place perdue et une innocence arrachée à ces enfants, impactés durablement par ce qu'ils ont vu, entendu et compris. "Les enfants co-victimes de violences intrafamiliales développent une hyper-adaptabilité", analyse Noémie Somma, la directrice des deux crèches, également diplômée d'un DU de Violences faites aux femmes. "Dans notre berceau inclusif, nous avons eu un bébé de quatre mois qui ne pleurait jamais. Il avait intégré l'idée qu'à la maison, s'il pleurait, cela pouvait déclencher des violences."
Une situation à laquelle les auxiliaires de puériculture et les animatrices petite enfance des micro-crèches A nos anges ont pu faire face grâce la formation qu'elles ont reçue sur les mécanismes de la violence et leurs conséquences sur l'enfant. "On se sert beaucoup des livres pour discuter avec eux, des livres qui parlent de la 'grosse colère'. Certains enfants utilisent également la maison de poupées pour rejouer des scènes. Ils sont dans le mimétisme, ce qui nous permet de voir des choses, de discuter avec eux", poursuit Noémie Somma.
Des échanges qui peuvent conduire l'équipe de professionnelles à émettre des signalements, sur la base de leur observation. "Si nous sentons qu'un enfant qui vit sous le même toit que le conjoint violent est en danger, nous pouvons faire remonter des informations préoccupantes", explique la directrice de la structure d'accueil. "Certaines crèches s'y refusent, par peur de prendre parti. Nous, nous estimons que c'est en ne faisant rien qu'on prend parti", se désole Géraldine Chamouard.
Un avenir incertain
Aujourd'hui, l'importance de leur mission n'est plus à prouver. En 2022, 244 000 victimes de violences conjugales ont été dénombrées à l'échelle nationale, en augmentation de 15% par rapport à l'année précédente, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.
Récompensées à plusieurs reprises pour leur engagement contre les inégalités, Géraldine Chamouard et Noémie Somma espèrent aujourd'hui que leur dispositif en inspirera d'autres.
Mais la pérennité de leurs micro-crèches est désormais incertaine. Le 3 avril dernier, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a voté une augmentation salariale de 150 euros nette mensuelle pour les professionnels de la petite enfance. Un "bonus attractivité" dont les micros-crèches PAJE (Prestation d’Accueil du Jeune Enfant) sont exclues. "Cette absence de financement est discriminatoire et met en danger la survie de nos micro-crèches", se désole Géraldine Chamouard. "Cette décision va conduire à la fermeture de nos établissements puisque nous ne pourrons pas financer seules le surcoût salarial", poursuit-elle. Incompréhensible pour celles qui assurent "une mission de service public".
*Les prénoms ont été modifiés.