À Versailles, des paniers repas ont été distribués par des agriculteurs pour aider les grévistes. Pour tenir dans la durée contre la réforme des retraites, la solidarité s'organise.
Deux tonnes de nourriture ont fait le voyage entre le sud de la France et les Yvelines. Ce matin sur le parvis de la gare de Versailles-Chantiers, des caisses de fruits et de légumes, mais aussi de la viande et des yaourts ont été livrés aux cheminots grévistes par la Confédération paysanne et le Modef, deux syndicats minoritaires de l'agriculture.
"Tous ces produits vont être distribués aux camarades, qui, aujourd’hui perdent des journées de salaire pour se battre contre cette réforme des retraites", explique Sébastien, agriculteur et membre de la confédération paysanne du Gers. "En solidarité avec les grévistes, nous les agriculteurs nous avons décidé d’apporter à manger". "Notre métier, c’est nourrir, alors on alimente la lutte", estime Sébastien.
Présent au rassemblement organisé devant la gare de Versailles-chantiers, Maxime est en grève depuis huit jours et apprécie l'initiative du panier de produits frais. "Ça fait du bien de recevoir une aide alimentaire, faire grève ça nous coûte clairement de l’argent", constate-t-il. "Cette aide, elle nous permet un peu de remplir le frigo mais surtout c’est un geste fort de solidarité qui nous aide à tenir et qui nous fait chaud au cœur", reconnaît le jeune homme.
Même éclat dans les yeux de Matthieu Bolle-Reddat, le secrétaire général CGT cheminots de Versailles. "Ce qui se passe aujourd’hui est énorme", explique-t-il. "Il y a des paysans qui ont fait 800 km depuis le Gers, depuis le Lot, depuis la Corrèze, le Limousin, l'Ardèche pour venir nous apporter deux tonnes de nourriture". "Un volume énorme", poursuit Mathieu "que l'on va partager avec 12 assemblées générales de grévistes cheminots, électriciens et gaziers de tout le sud de l’Île-de-France". "Ils nourrissent la planète, et aujourd’hui, ils nourrissent les grévistes, c’est un symbole extrêmement fort !", s'enthousiasme le leader CGT cheminots de Versailles.
Raymond Girardi, agriculteur dans le Lot-et-Garonne et vice-président du Modef se réjouit, lui aussi, de cette initiative menée conjointement avec la Confédération paysanne. Par cette distribution de produits de saison, le vice-président du mouvement paysan s'associe au refus des cheminots de voir le gouvernement repousser l'âge de la retraite. "Nous les paysans petits et moyens, nous savons ce que c'est d’avoir une retraite misérable. C’est un sujet qu’on connaît bien et on est ravi d’être là aujourd’hui."
Solidarité et finances, pour faire perdurer un mouvement de grève
Distribution de produits frais, caisses de grèves, cagnottes,... La question financière a toujours été une problématique majeure : pouvoir tenir dans un conflit social est quelque chose " qui évidemment, dans un rapport de force, peut être déterminant", dit l'historien Stéphane Sirot.
Le principe des aides sous diverses formes (dons alimentaires, quêtes, spectacles de solidarité...) est "à peu près aussi vieux que la grève elle-même", souligne M. Sirot. Mais le phénomène "a pris de l'importance à la fin du XIXe" car jusqu'aux années 1870-1880, la France comptait "beaucoup d'ouvriers-paysans" qui cultivaient leur lopin de terre et pouvaient tenir "en utilisant leur propre production".
Premières caisses de grève en 1831 à Lyon
Le sociologue, Gabriel Rosenman, prépare une thèse sur l'histoire des caisses de grève. Il relève que les premières traces de telles caisses "remontent à 1831 et à la révolte des Canuts lyonnais qu'on considère souvent comme l'acte de naissance politique du mouvement ouvrier en France", soit "avant même la légalisation de la grève qui a eu lieu en 1864".
Cela s'est ensuite répandu, avec notamment les "sociétés de secours mutuel" qui visaient à couvrir les risques de décès, maladie, accidents, mais aussi la grève, poursuit cet ex-cheminot. Cela permet de "donner du courage pour tenir et de limiter l'addition" dit-il, mais "aucune caisse de grève ne prétend remplacer l'intégralité du salaire".
Pour Gabriel Rosenman, les cagnottes en ligne ont permis de "reconfigurer les solidarités ouvrières". Après "un certain creux", il note "un renforcement de la pratique des caisses de grève" à partir des années 2010 et "encore plus ces derniers mois".
Parce que "la pression financière sur les salariés est plus importante", dit-il, mais aussi du fait que certains employeurs en jouent en n'étalant plus les retenues sur salaire. "Les pouvoirs publics jouent beaucoup sur le poids que représentent ces pertes de salaire", abonde M. Sirot. "Ça fait partie du rapport de force".