Un nouveau volet dans les débats de la cour d'assises, celui de la chaîne de protection de l'enfance maltraitée.
Après les premières suspicions de mauvais traitements, évoquées hier dans les témoignages des enseignants, c'est au tour des médecins et des enquêteurs d'expliquer à la barre leurs conclusions après le premier signalement concernant Marina, le 10 juillet 2008.
"Ce ne sont pas des blessures courantes pour un enfant de cet âge-là…" C'est ainsi que le médecin-légiste qui a examiné Marina, à la suite du signalement effectué par l'école de Saint-Denis d'Orques, conclut son expertise.
Pourtant, les explications fournies par Éric Sabatier sur ces blessures concordent avec de trop nombreux, mais possibles, accidents courants dans la vie d'un enfant turbulent. Rien de concluant donc, d'un point de vue légal, pour le praticien. La convocation de Marina reste sans suite. Sans suite aussi l'entretien des gendarmes avec la petite fille, âgée alors de 7 ans.
La cour d'assises a projeté ce matin l'audition effectuée le 23 juillet 2008 par les agents saisis de l'enquête pour suspicion de maltraitance. Un moment solennel et intense qui marque un tournant dans l'évolution des débats.
La vidéo de Marina
"Si tu avais un grand secret, tu le dirais ?"
"Non."
"Même si c'est un secret qui fait mal ?"
"Oui."
"Il y a des gens qui te font du mal ?"
"Non, c'est que mes frères qui me tapent. Et puis, des fois, c'est parce que je tombe dehors. Même dans la cour de l'école."
Les quelques vingt minutes de l'audition glaçent le sang. Là où les parents de Marina la décrive comme mutique, ne bougeant pas, c'est une toute autre fillette qui répond aux questions des gendarmes. Souriante, vive, agitée, elle ne correspond absolument pas au portrait quasi-autistique qu'en font ses parents. L'assistance écoute religieusement la parole de l'enfant.
Dans le box, les accusés sont figés devant cette image du passé. Lui est pâle et stoïque, les mains jointes devant sa bouche. Elle, sanglotante et prostrée. Pourtant, à la fin de l'audition, quand les questions fusent, les deux parents esquivent… La vue de leur fille, vivante, n'ouvre pas la brèche attendue par les parties civiles.
"J'aurais préféré quelle parle" !
Le témoignage de Marina prouve pourtant une chose : l'amour qu'elle porte à ses parents qu'elle protègera tout au long de cet interrogatoire. A chaque question sur ses cicatrices, Marina a une explication. Chute, bagarre avec ses frères et soeur… Rien ne transparaîtra du calvaire quotidien qu'Éric Sabatier et Virginie Darras lui faisait subir.
"Papa, maman, je dirais rien" avait-elle dit à son père. Ce dernier, secoué de tremblement dans le box, répond en bégayant :"J'aurais préféré qu'elle parle. Je m'attendais à me faire arrêter par les gendarmes. Ça aurait été la fin du cauchemar pour elle".
Un gendarme sur la scellette
L'enquête de gendarmerie avait été lancée après un signalement au parquet du Mans de la directrice de l'école de Saint-Denis d'Orques où la fillette terminait sa scolarité en juin 2008.
Le gendarme chargé de l'enquête est mis à mal par les questions du président. Il reconnaît n'avoir entendu ni les enseignants de sa première école à Parennes (Sarthe), qui ont consigné les signes de mauvais traitements, ni ceux de Saint-Denis d'Orques qui ont alerté le parquet. "On n'avait pas d'éléments probants", se défend-il.
"Les plaies étaient horribles"
Il transmet son mince dossier au parquet du Mans, avec notamment les conclusions du médecin légiste qui a vu Marina le 15 juillet et constaté sur le corps de la fillette 19 lésions anciennes "très suspectes par leur nombre".
Le signalement sera classé sans suite par le parquet à l'automne. Scolarisée depuis septembre 2008 à Coulans-sur-Gée (Sarthe), la fillette avoue pour la première fois à son instituteur, en avril 2009, que "Maman m'a tapée ce matin". Mais aucune trace suspecte n'est découverte.
Le 27 avril 2009, au retour des vacances, le directeur et le médecin scolaire de l'école font hospitaliser Marina qui présente aux pieds "des blessures profondes, surinfectées", rappelle le président, Denis Roucou. Le directeur alerte aussi les services sociaux du conseil général.
"Les plaies étaient horribles", a témoigné jeudi la praticienne, "il y avait un risque vital". A la barre, les parents affirment qu'elle a "marché pendant plusieurs heures sur un carrelage rugueux avec son cartable dans le dos".
Le 19 mai, la praticienne téléphone au pédiatre de l'hôpital et apprend qu'il y a "de fortes présomptions de Silverman", un syndrome des enfants battus.
Pourtant, à sa sortie de l'hôpital, le 28 mai, la fillette est ramenée chez ses parents. Elle décèdera quelques semaines plus tard sous leurs coups.
Eric Sabatier et Virginie Darras, accusés d'actes de tortures et de barbarie sur mineure de moins de 15 ans ayant entraîné la mort, encourent la réclusion à perpétuité.
Le procès reprendra lundi matin aux assises de la Sarthe.