Durant l'automne et l'hiver derniers, la pluie est tombée en grande quantité sur la forêt du Gâvre. Plat et argileux, le massif forestier est longtemps resté impraticable, freinant la sortie du bois abattu. A tel point qu'il a fallu adopter une technique de débardage d'habitude utilisée en montagne.
L'Office National des Forêts s'est trouvé au printemps dernier devant un réel dilemne. Du bois a été vendu, puis abattu, mais pas livré. Les acheteurs, les scieries ont attendu des grumes qui ne sont pas arrivées. Entendez par grumes le tronc des grands arbres abattus et dépourvus de leurs têtes et leurs branches secondaires.
De l'eau partout dans le sol, et du bois à sortir
Les techniciens forestiers connaissent bien cette forêt du Gâvre dont il ont en charge la gestion et l'exploitation. 4 500 hectares de feuillus et résineux, hêtres, chênes, pins sylvestres, maritimes, etc. Et un sol argileux qui met du temps à absorber l'eau, mais surtout qui ensuite la conserve, faute de pente et donc d'écoulement.Pour les forestiers, cette masse d'eau est la garantie d'une année de croissance sans problème des végétaux, ce qui n'a pas forcément été le cas les saisons précédentes. Mais c'est aussi un souci car pour débarder, sortir le bois de forêt, l'utilisation d'engins lourds de débardage condamne le sol au creusement d'ornières très profondes et donc à une dégradation de l'environnement.
Devant ce risque, l'ONF a décidé d'adopter une autre technique, jamais encore utilisée ici, en forêt du Gâvre, et pour cause : elle est utilisée en montagne. Là-bas, à l'extrême inverse, les fortes pentes rendent l'utilisation d'engins de débardage impossible.
Aussi, la voie des airs est privilégiée pour évacuer les grands troncs d'arbres abattus.
Comment ça marche ?
Le principe est de tendre un câble de 20 millimètres de diamètre entre un point A et un point B, en ancrant ce câble sur des arbres encore debout et suffisamment solides pour résister à des tractions de plusieurs dizaines de tonnes. Le tout à une hauteur choisie par les techniciens, en fonction de nombreux paramètres du site, et portée par un mât-poulie immobile et réglé au millimètre près.A l'aide d'une télécommande, le technicien déclenche ensuite le rembobinement de ce câble latéral qui va revenir dans l'axe du câble principal puis partir à l'équerre, sous la potence et dans les airs vers le point A.
Des arbres de 100 ans et plus dans les airs
Une fois à destination, le second technicien prend la main sur l'opération avec sa propre télécommande et dépose le ou les troncs transportés vers une aire de stockage.Si cette aire est proche de la route, le stock est préparé pour le camion, ou grumier. Si la route est loin, un engin forestier prendra le relais et acheminera les troncs en empruntant une allée forestière au sol rempierré et renforcé.
Ainsi, une fois l'ensemble de câbles, points d'ancrage et potence mis en place (l'opération peut s'avérer longue pour trouver les bons arbres au bon endroit, faire venir un bûcheron pour abattre un arbre situé sur le parcours, etc), l'opération peut commencer.
Des arbres de 100 ans et plus évoluent dans les airs à deux ou trois mètres de haut et traversent la parcelle où ils ont grandi. Un dernier voyage aérien préférable au parcours terrestre qui les aurait attendus à l'arrière d'un gros engin forestier.
Mais le gain principal se situe au sol : au lieu d'être labouré par les énormes roues des débardeurs, le terrain gorgé d'eau voit simplement passer l'extrémité des arbres et frotter le sol en surface. Quelques touffes d'herbes écrasées mais rien de comparable. Quelques semaines plus tard, il n'y paraitra plus. Et l'environnement de la forêt y aura gagné.
Une première
Cette opération était une première en forêt du Gâvre. Personne ne sait dire si les deux techniciens venus de la Loire reviendront. Tout dépendra de la météo et de la nature.L'on pourrait penser que cette technique représente une étape de plus vers la mécanisation des activités forestières. Mais l'ONF s'en défend. Nicolas Jannault nous explique que le gain est réel quant à la qualité préservée des sols mais qu'en plus, la profession de bûcheron est moins prisée qu'avant, car dangereuse. Et le métier vient à manquer de bras, ou à faire appel à une main d'oeuvre étrangère, pas forcément sensibilisée aux mesures de sécurité.
La facture sera plus élevée si l'on prend en compte uniquement le chiffre en bas de la feuille. Mais si l'on intègre des critères environnementaux, le bilan s'équilibre beaucoup plus.
Le chantier 2020 servira de matière expérimentale et alimentera les réflexions à l'ONF et dans les métiers du bois, pour les années à venir.