Il est le petit-fils d’une des figures les plus connues de l’histoire du Tour de France. Il s’appelle Mazan, comme son aïeul. Mais ce dernier avait pris pour surnom "Petit-Breton". Jean-François est peut-être le plus grand admirateur de cette légende de la grande boucle.
Dans la grande maison du bord de mer, les objets et photographies évoquant la vie de "Petit-Breton" ne manquent pas. Si le regard du visiteur est d’abord attiré par l’immense baie vitrée qui donne sur le littoral (on est à Pornichet), on remarque ensuite un portrait peint d’un homme en position de coureur penché sur son guidon et dont les moustaches fines évoquent la période 1900.
Nous sommes chez Jean-François Mazan, petit-fils de Lucien Mazan, plus connu sous le nom de "Petit-Breton", légende du cyclisme en tant que vainqueur des Tours de France 1907 et 1908.
Croiser Jean-François Mazan et évoquer Petit-Breton, c’est prendre le risque de rater tous les autres rendez-vous de la journée. L'homme ne s'arrête jamais de parler et il faut régulièrement le recadrer pour revenir au sujet qui a motivé notre rencontre.
Pour les moins de cent ans qui n’ont pas connu les débuts du XXᵉ siècle, un rappel de l’histoire de "Petit-Breton" sera bénéfique. Car, même si le nom accroche l’oreille de bien des Français plus d’un siècle après ses exploits, beaucoup ne savent plus vraiment pourquoi ils connaissent ce patronyme. Qui était en fait un pseudonyme !
Lucien Mazan est né le 18 octobre 1882 à Plessé, une petite commune de la Loire-Atlantique. Son père, Clément Mazan, horloger, eut la sotte idée de s’investir dans la politique, mais un revers électoral l’incita à partir voir ailleurs. Le couple, émigré en Argentine, fait venir ses enfants, Lucien Mazan a alors quatre ans.
C’est donc à Buenos Aires que notre légende du cyclisme fera ses premiers tours de pédalier, grâce à un vélo gagné dans une loterie. Le garçon est talentueux et gagne ses premières courses, jusqu’à devenir champion d’Argentine en 1898.
Un ami, Joseph Cazalis, le convint d’aller tenter sa chance en France, et voilà notre cycliste franco-argentin de retour dans son pays natal.
Clément Mazan, qui n’a pas réussi à faire fortune en Amérique du Sud, voit d’un mauvais œil que l’un de ses fils ambitionne de devenir cycliste professionnel. "Pas de deuxième échec dans la famille" disait-il.
Un premier Tour de France gagné en 1907
C’est pourquoi, Lucien s’inscrit dans les courses sous le pseudonyme de "Breton", en référence à ses origines. Problème : à son retour en France, il y a déjà un dénommé Breton dans la course où il s’inscrit. Il choisit alors de s’inscrire sous le nom de "Petit-Breton".
Les courses s’enchaînent, Petit-Breton brille, jusqu’à dominer, en 1906, la catégorie "Poinçonnés" dans le Tour de France. Une catégorie qui n’existe plus aujourd’hui, car elle met en valeur les coureurs qui auront changé le moins de pièces sur la course, chaque pièce étant "poinçonnée" en début d’épreuve pour garantir qu’elle n’a pas été remplacée.
Petit-Breton atteindra les sommets l’année suivante en remportant son 1er Tour de France. Il doublera la mise en 1908, devenant le premier coureur ayant remporté deux fois l’épreuve phare.
Ce sera aussi sa dernière victoire sur le Tour.
L’athlète, passionné de photographie, arrondit ses fins de mois en pigeant pour l’agence Reuters et pour le journal "La vie au grand air", un hebdomadaire illustré sportif.
Chauffeur de personnalités pendant la guerre
Mais la guerre arrive et Lucien Mazan, dit Petit-Breton, est mobilisé. Son statut de sportif de haut niveau le protège et, bien que titulaire du brevet de pilote d’avion (il était aussi passionné d’aviation), il est affecté à un poste de chauffeur de personnalités.
Il remontera cependant sur un vélo comme agent de liaison, pour transmettre des courriers d’un lieu à l’autre, ceux que l’on ne souhaitait pas transmettre par pigeon voyageur ou télégraphe.
C’est ainsi qu’en 1914, il transmettra l’ordre du Général Galliéni, réquisitionnant les taxis parisiens pour transporter les troupes vers le front de la Marne.
Pour Lucien Mazan, l’histoire s’arrêtera tragiquement, non pas sur un champ de bataille, mais sur une route où sa voiture sera percutée par un charretier.
Venue lui rendre visite à Troyes, son épouse, Marie-Madeleine, apprendra à son arrivée, l’hospitalisation de son mari et son décès.
Petit-Breton meurt le 20 décembre 1917. Il est enterré dans un cimetière de Pénestin, dans le Morbihan.
Un vélodrome Petit-Breton à Nantes
À Nantes, sa mémoire a été notamment honorée dans le nord-ouest de la ville où un vélodrome Petit- Breton, construit en 1920, existe toujours. Une stèle y est présente où son nom s’est effacé, au fil des années. Mais on reconnait, sur un médaillon, les fines moustaches du champion franco-argentin.
À Pornichet, son petit-fils, Jean-François Mazan, a conservé de multiples souvenirs de cet illustre aïeul.
"Ça m’a peut-être donné un complexe, reconnaît le descendant de Petit-Breton. J’ai fait du vélo. J’ai essayé de faire des performances, mais arriver à ce niveau-là, c’est impossible !"
L’histoire du célèbre double vainqueur du Tour de France, a aussi été transmise par son fils, Yves, père de Jean-François. Passionné, lui aussi, de mécanique, il avait ouvert à Saint-Nazaire un magasin de réparation et de vente de deux roues et de petits bateaux qui s’appelait "Yves Petit-Breton".
Puis, il y eut, avec Jean-François, "Petit-Breton Nautique" à Pornichet, devenu plus tard "La Baule Nautique".
"Je suis zéro en vélo !"
S’il n’a pas eu la carrière sportive de son grand-père, Jean-François aime à préciser qu’il a réussi dans les affaires.
"J’ai été le premier concessionnaire Bénéteau de France, sur le plus petit territoire !", s’enorgueillit-il en souriant.
Pour le cyclisme, il avoue n’avoir pas bénéficié des mollets de son aïeul.
"J’ai fait une compétition Guérande-Pénestin organisée par mon père, raconte-t-il, j’ai triché ! Je me suis fait semer et pour arriver dans les premiers, j’ai pris un raccourci. Je suis zéro à vélo !"
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Il faut dire aussi que Lucien Petit-Breton avait sa recette. "Pas de dopage, souligne Jean-François, que du naturel ! Il prenait le matin deux litres de Maté, (un café énergisant argentin). Après, il buvait de l’absinthe avec de l’avoine fraîche et, trois quarts d’heure avant l’arrivée, il demandait à un ami de l’attendre sur le parcours et de lui donner un quart de champagne glacé."
"Quelle chance j’ai d’être un descendant d’un être exceptionnel !"
Le Tour de France a bien changé. Et Jean-François tient à préciser que les 5 000 km avalés par son grand-père ne sont plus le lot des coureurs de ce XXIe siècle, environ 3 400 km aujourd’hui.
"Et il n’y avait pas d’équipe technique à l’époque, ajoute Jean-François Mazan. Et pas de soigneurs non plus !"
Enfant, Jean-François n’avait pas conscience de cette ascendance de légende. Mais, au fil des discussions qu’il entendait dans le cercle familial, il en a perçu toute la dimension.
"Quand on est jeune, on est égoïste. Je ne pensais pas aux exploits de mon grand-père. Dès que j’ai pu m’informer, je me suis dit : quelle chance j’ai d’être un descendant d’un être exceptionnel ! Son élégance, sa puissance, sa générosité vis-à-vis de sa famille et de ses amis."
L’enseignement qu’il dit en avoir tiré tient en quelques mots :
"Quand vous êtes jeune et en bonne santé, tout est permis, mais il faut aimer la compétition".
A l’âge de 7, 8 ans, j’ai entendu mes parents parler de lui, il y avait des photos partout. Je croisais le médecin qui l’avait soigné qui venait discuter avec mes parents.
Jean-François MazanPetit-fils de Lucien "Petit-Breton"
En cet été 2024, qui Jean-François "Petit-Breton" voit-il gagner le Tour de France ?
"Aucune idée !", répond-il spontanément.
À côté de lui, dans la maison de Pornichet, Séverine, son épouse, qui suit chaque année la grande boucle, le reprend.
"Il n’y en a pas 36 ! corrige-t-elle. Le petit-fils de Poulidor, Mathieu van der Poel !"
Nul doute que le samedi 29 juin, chez les "Petit-Breton", on sera devant la télévision pour le départ de la première étape Florence-Rimini.
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