Le quartier de Malakoff, à Nantes, abrite un réseau de "mangathèques". Une initiative, notamment portée par Sandra Aupetit, pour permettre aux jeunes adolescents de se retrouver pour lire des mangas dans des espaces gratuits.
Emmitouflée dans sa doudoune noire, Sandra Aupetit se promène dans les rayons d'une librairie, à la gare de Nantes. Elle s'arrête net. Elle vient de tomber nez à nez avec l'étagère à manga.
"Celui-là, on l'a, celui-ci aussi... Ah, non, ça, on n'a pas. On va se le faire dire par les ados", marmonne-t-elle, en scrutant les ouvrages exposés.
Il faut dire que ces bandes dessinées japonaises n'ont plus tellement de secret pour Sandra Aupetit. Déjà parce qu'en tant que maman de deux adolescents férus de manga, elle a dû se mettre à la page pour partager cette passion avec eux.
Puis, surtout, parce qu'elle consacre une partie de son temps libre au développement d'un réseau de mangathèques, dans le quartier Malakoff. Il s'agit d'espaces où les enfants et les adolescents de 8 à 15 ans peuvent venir consulter leurs mangas préférés.
Une initiative opérationnelle depuis plus d'un an, mais dont l'origine remonte à 2022. Cette année-là, c'est la remarque d'un élève lors d'un conseil de classe de l'école de ses enfants, auquel elle assiste en tant que parent, qui lui donne l'idée.
"Ils nous ont dit vouloir plus de mangas dans la bibliothèque scolaire et ils nous ont fait comprendre que la plupart des livres proposés n'étaient plus adaptés à leurs besoins et à leurs envies", relate-t-elle.
Ce souhait, Sandra Aupetit s'est dit qu'elle pouvait en faire quelque chose de plus grand. D'autant plus quand elle s'aperçoit du temps d'attente nécessaire pour avoir un manga dans les bibliothèques traditionnelles de la ville.
Des mangathèques existent à Paris. Mes enfants ont adoré, alors je me suis dit pourquoi pas essayer à Nantes.
Sandra AupetitMère à l'initiative des mangathèques à Nantes
Elle détaille : "Ces livres peuvent se dévorer en à peine vingt minutes. Alors, avec d'autres personnes motivées, on a imaginé des lieux où les jeunes peuvent emprunter les mangas et les lire sur place. C'est aussi un moyen pour les ados de se retrouver à un endroit et de discuter."
Ce concept existe déjà à Paris. La capitale compte effectivement au moins trois. Toutefois, elles sont privées et elles nécessitent un abonnement. "On s'en est inspiré, mais on ne voulait pas faire payer quoi que ce soit. L'idée est d'être accessible à tous", souligne la Nantaise.
Faire participer les adolescents
C'est donc après une bonne année à sonder les jeunes adolescents et les librairies sur les mangas les plus en vogue, que le projet s'est concrétisé à l'été de 2023.
Et comme l'idée n'est pas portée par une association, elle s'est lancée sans budget. Une aide financière du conseil citoyen de Malakoff, à hauteur de 1 200 euros, a tout de même permis l'achat de 250 premiers livres. Une famille a également donné toute une série de mangas, soit une cinquantaine de bandes dessinées.
Pour mener à bien ce projet, Sandra Aupetit a aussi puisé dans ses fonds personnels. "J'ai acheté des meubles d'occasions pour pouvoir ranger les livres", admet-elle.
Puis, avant de laisser les mangas en libre-service, des jeunes du centre socioculturel l'Accoord les ont couverts un à un. Cela lors d'un atelier supervisé par Sandrine, experte en couverture de livres et responsable de la bibliothèque associative "Espace Lecture".
Depuis le lancement en 2023, cinq lieux abritent une mangathèque : le collège Sophie Germain, l'école Jean Moulin, l'Espace Accoord, les locaux de l'association Ambition Jeunesse et le centre de loisirs Ange Guépin.
Et bien que le projet soit porté par des adultes, Sandra Aupetit assure que les jeunes ont aussi leur mot à dire. "À terme, si on arrive à obtenir un budget participatif de la mairie, l'objectif est de les faire contribuer aux prises de décision. Notamment, en ce qui concerne l'achat des nouveaux mangas", espère-t-elle.
Un tel budget permettrait aussi de créer une mangathèque permanente, qui ne soit pas dépendante du calendrier scolaire comme les collèges et les écoles par exemple. "Mais bon pour ça, il faut convaincre la mairie. Pour le moment, on est surtout en demande de dons", souligne Sandra Aupetit, toujours à la recherche de nouveaux ouvrages pour alimenter le réseau.
L'hégémonie One Piece
Ainsi, tout un tas de mangas différents sont proposés dans les mangathèques. Mais, une star demeure : One Piece. Plus que d'être le manga le plus vendu au monde, il s'agit de la série dessinée par un seul auteur la plus vendue au monde.
En août 2022, le tirage total des tomes s'élevait à 516,5 millions d'exemplaires. "Les jeunes se l'arrachent", assure Sandra Aupetit. Elle-même, sous les conseils de son fils de 12 ans, s'est attachée à lire les 108 livres qui composent la série.
"Ça m'a pris trois mois", précise-t-elle. La Nantaise confie toutefois ne pas avoir trop accroché à l'histoire : "Les mangas, de façon générale, ce n'est pas trop mon truc. Mais je comprends que ça plaise aux ados... C'est petit, pratique à transporter, amusant puisque ça se lit à l'envers et que les histoires nous vont voyager."
Et même s'il est dur de faire sortir les adolescents de leur livre préféré, Sandra Aupetit maintient que cela peut être une entrée dans la lecture. "Avant de commencer les mangas, mon fils ne lisait pas. Maintenant, il lit et il commence à lire aussi d'autres choses", raconte-t-elle.
Montrer une autre image de Malakoff
Puis en donnant accès aux adolescents à ces endroits, conçus seulement pour eux, Sandra Aupetit espère donner à voir une image plus positive de son quartier. "Les gens sont pleins d'a priori sur Malkoff, ce n’est pas forcément l'endroit où les gens ont envie de venir vivre à Nantes", déplore-t-elle.
Avec ces près de 3 500 habitants, ce quartier est l'un des plus pauvres de la capitale des Pays de la Loire. Et il fait souvent la une des journaux, décrit comme le théâtre de nombreuses interpellations policières.
"Oui, il y a des problèmes à Malkoff, mais tout ne se résume pas à l'insécurité. Ils s'y déroulent régulièrement des moments conviviaux", fixe Sandra Aupetit qui y vit depuis une dizaine d'années.
Elle compte ainsi sur le développement des mégathèques pour montrer que dans son quartier aussi, il fait bon vivre. "Je me dis que les jeunes vont peut-être se dire que c'est 'the place to be'", lance-t-elle avec un peu de second degré, mais surtout, de l'espoir.
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