Ils devraient vivre leurs dernièrnes années d'insouciance. La crise sanitaire a mis leur vie entre parenthèses. Finies ou presque les fêtes entre potes, cours à distance, bac en continu ou pas ? Les ados tombent le masque. Sans filtre...
"Quand Emmanuel Macron a annoncé le troisième confinement, j'avoue j'ai pleuré. J'étais infiniment triste. Je suis sensible, c'est vrai. Je me suis dit ça recommence". Lili a 16 ans et commence a en avoir gros sur le coeur.
Difficile pour elle de garder le moral. Un an...dans une vie ce n'est rien ou presque mais pour elle, comme pour beaucoup, le temps est long et semble définitivement perdu. Ce temps qui ne s'attrape guère, ne se rattrape plus...
"Heureusement, je vois mes amis"
Ce qui aide cet ado, d'ordinaire tout sourire et débordante de joie de vivre, c'est de continuer à voir sa bande. Sa tribu, celle avec laquelle elle a grandi depuis des années.
Ça a changé depuis longtemps. On sait que pas mal de choses nous sont interdites. On ne peut plus se retrouver dans les parcs, à moins d'être six au maximum. On est toujours en train de se compter et si on est trop nombreux, on est méfiant, sur le qui-vive. On fait gaffe. Et puis le soir on n'a plus notre rituel : aller manger chez Basile.
"Les gestes barrière, je ne les fais plus"
Ne pas pouvoir embrasser ses potes, ne pas les serrer dans ses bras. Impossible. "A notre âge, c'est hyper dur de se priver de ces contacts. Même le masque. De ne pas pouvoir voir le visage des gens, ça c'est un truc qui me perturbe encore."
"On ne peut plus faire nos soirées tranquilles et renter après à cause du couvre-feu. Et puis avec les 10 kilomètres on est obligé de vérifier que les les endroits où on se retrouve, ça le fait pour tout le monde. Il y a plein de paramètres à prendre en compte. Et tout cela ça ne semble pas normal", raconte Lili.
Il y a un an, elle était encore au collège. Pendant le premier confinement, elle avait tenu bon et réussi à décrocher son brevet avec une mention Bien. Après des mois d'enseignements bouleversés, elle lâche un peu l'affaire, malgré elle.
En seconde, pas d'examen, mais il y a le travail attendu par les enseignants : "je commence à laisser les cours de côté. Sans le vouloir. Quand il y a des visios qui ne marchent pas, même si je sais que ce n'est pas la faute des profs, ça n'encourage pas à suivre. C'est un peu chiant"
On n'est pas surveillé. Le travail, qu'on le fasse ou pas, c'est notre problème. Ça ne change rien. Et puis, quand on n'a pas quelqu'un derrière et une ambiance de classe qui nous motive, c'est compliqué de se dire qu'on va se mettre au boulot. Moi là, je n'y arrive pas trop. Je commence un peu à décrocher
"Je n'ai pas l'impression d'apprendre"
Les cours en Visio, Amalia en a tous les jours, quand ça ne bugue pas. "Je ne loupe aucun cours parce que c'est quand même super important mais le fait de devoir élaborer un cours toute seul, moi je n'y arrive pas. Le prof nous donne le minimum, avec des exercices à faire. Sauf que construire un cours, sans explications, sans méthode et sans conseils, je trouve ça très compliqué. Je n'ai pas l'impression d'apprendre, simplement d'écouter sans avoir le temps de poser de questions".
Quand on est dans sa chambre, sur son lit ou sur son bureau, il n'y a aucune motivation, aucune concentration.T'as pas envie de sortir toutes tes feuilles, de sortir tous tes stylos et de tout noter. Il n'y a pas de concentration. Je passe le bac français alors que je n'aurais eu qu'une moitié d'année scolaire, la moitié d'un programme. Moi j'appelle ça un examen au rabais !
En revanche, la lycénne ne souffre pas de ne pas voir ses amis. "Je les vois autant que je peux. Si le couvre-feu c'est 19 heures je prends le bus à 19 heures, pas avant. Alors oui je ne rentre jamais à l'heure. J'en profite un maximum. L'amende ? Des policiers j'en croise beaucoup tous les jours et depuis un an, ils ne m'ont jamais arrêtée pour me demander mes papiers ou mon attestation"
Garder ce lien avec les siens, pour Amalia, c'est essentiel, presque vital. c'est ce qui l'aide à ne pas flancher.
On vit enfermé dans une bulle estampillée covid ! Si je ne vois plus mes amis le week-end ou en semaine, moi je fais une dépression !
Au fil de temps, les bons réflexes ont pris cher :"Je mets le masque, mais le gel hydroalcoolique dans les transports ou entre deux salles de classe quand on était encore au lycée, ça fait longtemps que je n'y pense plus". Quant aux soirées, parce que oui, il y en a encore : "pas de masque, on s'organise comme on peut". A six ? "Non pas toujours. Il n'y a aucune protection mais au bout d'un moment on ne va pas non plus arrêter de vivre", conclut la jeune fille, élève de première.
"La pire année de ma vie"
"En fait on n'a pas de vie", constate Mathilde, en terminale pro ASSP au lycée Jean-Jacques Goussier de Rezé. "On ne peut plus se regrouper, aller au restaurant, au cinéma". Côté cours, ce n'est franchement pas la joie, mais plutôt le grand flou.
On ne sait pas où on en est. On est tous fatigué. La période est angoissante, je n'arrive plus à dormir. On ne sait toujours pas si le bac va être continu ou pas.
"Les profs n'ont aucune réponse. On vient de nous annoncer que l'on avançait des épreuves. Personne n'est préparé. Moi, du fait de la crise sanitaire, j'ai trouvé un stage sur le fil. Résultat, je n'ai eu que 6 jours au lieu de quatre semaines. Je devais faire une épreuve de soins qui compte pour le diplôme, je ne peux pas. J'ai hâte que cette année finisse, de savoir si je pourrai intégrer mon école d'infirmière".
Et puis il y a le permis de conduire, précieux sésame à cet âge là. "Les cours de code ont été annulés l'année dernière. Là je me suis inscrite, ça y est. Je me retrouve à tout faire en même temps. Je n'en peux plus", confie la lycéenne. Et son amie Aïssatou, en classe de Terminale au lycée Nelson Mandela de Nantes, n'est guère plus optimiste : "Ils auraient dû nous confiner en janvier. A l'époque, les chiffres étaient déjà mauvais et au moins il faisait froid. Le soleil est revenu, il commence à faire beau, alors non je ne vais pas me confiner."
Ça nous coupe l'herbe sous le pied. Il y a toujours de nouvelles mesures, des changements. Un coup on nous parle contrôle continu, un coup de présentiel. On nous ajoute toujours des trucs. Même les profs ne savent rien. La semaine prochaine ils vont faire une réunion. On aurait deux épreuves maintenues mais vu le contexte sanitaire, ils ne savent pas si elles vont avoir lieu.
"C'est catastrophique en terme de construction"
"C'est une catastrophe !", Bernard Valin, enseignant en collège, délégué syndical du FSU 44 n'y va pas par quatre chemin. "Il y a le court terme et le moyen terme. Le cours terme, c'est l'incapacité de se concentrer sur des affaires scolaires. Ne serait-ce que se mettre devant l'écran quand le prof le demande, ne pas se coucher à des heures indûes, se projeter sur son emploi du temps hebdomadaire".
"En présentiel, ces choses là sont évidentes. Plus maintenant, poursuit l'enseignant, le moyen terme, c'est que pour bon nombre d'adolescents, c'est la deuxième année. La deuxième année qu'on sacrifie leur jeunessse, leurs liens sociaux, la découverte de ce qu'est la vie parce que c'est un âge où on s'emancipe. Et puis on sacrifie leur scolarité. Et en sacrifiant leur scolarité, on sacrifie leur avenir,. Ils n'arrivent pas, garçons comme filles à se projeter sur une formation, une orientation, un métier", constate le professeur.
Pour l'enseignant, la situation est alarmante en terme de construction.
On est à un âge où normlalement on se construit. Là on les empêche de se construire.
"C'est là où c'est très grave. On sacrife délibérement une partie de la population. En l'occurence, les jeunesses. Sciemment le gouvernement n'a pas mis en place, à la rentrée dernière les moyens dans les collèges, les lycées et les universités pour que les élèves puissent continuer à travailler, continuer à apprendre. On les sacrifie doublement en maintenant les exigences, parce les programmes n'ont pas été revus. On les sacrifie triplement avec Parcoursup"
Si les ados sont désemparés, les enseignants le sont tout autant. Aux questions des élèves ils n'ont à ce jour, aucune réponse à apporter : "Si on veut des informations de notre ministère, il faut qu'on regarde la télé", explique Bernard Valin.
Tout ce qu'on propose pour faire face à la crise sanitaire en terme d'aménagement et d'amélioration, les demi-groupes, les purificateurs d'air, les recrutements supplémentaires au mois de septembre 2020, les réunions avec les collectivités territoriales pour disposer de lieux comme des gymnases, des salles des fêtes, tout a été balayé d'un revers de la main.
Face à la détresse des élèves, les professeurs aujourd'hui semblent n'avoir que leur colère: "ce gouvernement met en difficulté les équipes de direction des établissements scolaires dans des proportions inimaginables. Les principaux de collèges et proviseurs de lycées sont aujourd'hui dans des situations invraisemblables. Ils sont prévenus le jeudi pour le lundi". Ce sont des choses délirantes, conclut Bernard Valin.
"Ça a mis un terme à son rêve de devenir joueur professionnel"
Pour Eliott, lui aussi blasé par l'enseignement à distance, le plus dur à vivre c'est de ne plus pouvoir taper dans un ballon. Passionné de foot, il est licencié au club de Vertou. D'ordinaire, il a entraînement tous les jours et match le week-end. Depuis le 31 mars il ne se passe plus rien : "J'essaie de courir, de faire du vélo ou de la muscu, mais ce n'est pas pareil. J'ai envie de jouer, de me défouler, de retrouver le terrain et la compétition."
Des ados en manque d'efforts et de sensations, Pauline, cette mère de trois enfants, y est confrontée tous les jours . Son fils rêvait il y a encore un an de devenir joueur de hand professionnel. Avec le covid, tout s'est effondré. "Tout s'est arrêté. Mon fils avait envie d'en faire son métier, de devenir sportif de haut niveau. Quand je dis tout, ce sont les entraînements, le championnat, et les gros tournois nationaux où il espérait se faire repérer par un centre de formation. C'est deux années de sacrifices, deux ans où il n'allait plus en soirée. Il revenait tout le temps de vacances, plus tôt que les autres. Il se dit aujourd'hui qu'il a fait tous ça pour pas grand chose au final. A tel point que l'adolescent ne voulait plus rien faire et a fini par adopter, un temps, ce nouveau rythme totalement oisif .
Ça a été compliqué à gérer. Il a fallu faire avec son caractère affirmé et colérique, il n'y avait plus le défouloir du sport. Il y avait beaucoup de tensions. Il n'est pas le seul à la maison. Avec une fratrie qui fait aussi beaucoup de sport et qui se retrouve sans activités physiques, ça fait une fratrie qui est frustrée. Le quotidien devient beaucoup plus difficile à gérer.
Au début Titouan s'est effondré. "Il s'est dit à quoi ça sert ? Pourquoi continuer ? Pourquoi autant d'éfforts pour rien. La chance qu'il a aujourd'hui, c'est que les entraînements en extérieur ont repris. Revoir les copains, revoir le groupe, revoir le coach, ça aide à revenir mais très honnêtement ça a mis un terme à son rêve de devenir joueur professionnel", regrette Pauline.
"Tous les jeunes ne sont pas armés pour supporter ça pendant des mois"
Pour les psys, le premier confinement a été dans l'ensemble bien vécu par les ados. Un an plus tard, c'est une autre histoire : "Les jeunes au printemps 2020, ont réussi à s'adapter, même si pour certains cela a été difficile de rester coincer à domicile dans des familles où le contexte n'est pas simple. A l'époque ils ont fait avec. Là ça dure dans le temps, les ados encaissent depuis plusieurs mois. Ça devient difficile notamment au niveau de l'école. Il y a des angoisses qui se répercutent et qui ont progressé sur six mois, un an", constate Benoît Maillet, psychiatre et coordinateur médical de la Maison des adolescents de Nantes.
Pour ce spécialiste, le plus dur à gérer à cet âge, c'est l'éloignement.
Avoir moins de liens avec ses camarades, moins sortir, ne pas pouvoir se retrouver, ça, ça joue sur leur moral. Et puis il y a cette notion d'avenir qui semble bloquée.
"Il y a peu de perspective d'évolution., poursuit Benoît Maillet, ça pour les adolescents s'est particulièrement complexe, dans une période où ils sont sensés se projeter vers demain. Les choses sont tellement floues que c'est extrêmement difficile".
"Cette crise les prive d'insouciance. On est un petit peu tous collés à l'actualité, à suivre l'évolution des choses. Il y a une sorte de gravité imposée", ajoute Benoît Maillet. "Et puis il y a le poids particulier de tous ces jeunes qui ont du mal à trouver des stages ou des apprentissages. On a aussi tous ceux qui passent leur première année de fac en grande souffrance et qui se retrouvent isolés à travailler dans leur chambre, sur leur ordinateur. c'est très triste et très décourageant. Tous les jeunes ne sont pas armés pour supporter ça pendant des mois et des mois."
Quant au non port du masque, ou du non respecte des gestes barrières : "le respect des normes et des régles est un peu plus compliqué à leur âge. C'est l'âge où on interroge les règles et où ne s'y plie pas forcémment facilement", rappelle le psychiatre.
Pour les plus fragiles la crise qui s'installe dans le temps pourrait avoir de graves conséquences. "Il y a un effet de saturation des dispositifs qui sont là pour les accueillir et les soutenir. Je suis en lien avec tous les Centres Médicos Psychologiques(CMP), les délais qui étaient déjà problématiques, augmentent encore plus que ce soit pour des consultations ou des hospitalisations", déplore Benoît Maillet.
Le temps semblent bien long à tous ces ados. Et cette crise qui n'en finit pas va laisser des traces. Mais ils essaient de tenir encore un peu.
Le président l'a presque promis : "mi-mai on y verra plus clair". Du haut de leur, 16, 17 ou 18 ans, ils voudraient bien y croire...croire en des jours meilleurs et des nuits blanches. Leurs rêves finissent même par se ressembler. Juste retrouver une vie normale, comme avant, les cours, les copains, les sorties. "Moi aujourd'hui j'ai envie de choses auxquelles je ne pensais jamais avant : aller me promener dans les champs, être libre, voyager...n'importe où", conclut Lili.