Le 5 mars 1973, deux avions de ligne se percutent en plein ciel au-dessus de la commune de La Planche, à une vingtaine de kilomètres au sud de Nantes. L'accident cause la mort de 68 passagers et marque les habitants, et une partie de l'histoire de l'aviation civile française.
Lundi 5 mars 1973. Les aiguilleurs du ciel sont en grève. Ils sont remplacés par des contrôleurs de l'armée de l'air depuis le 24 février.
Ce jour-là, deux avions des compagnies espagnoles Iberia et Spantax décollent de Palma de Majorque pour l'une, et de Madrid pour l'autre, en direction de Londres.
À 13h50 heure française, l'impensable se produit. Les deux oiseaux de fer se percutent en plein vol à 9 000 mètres d'altitude. La collision a lieu au-dessus de la commune de La Planche, à 25 km au sud de Nantes.
L'accident provoque l'explosion de l'avion DC-9 d'Iberia, et la mort des 68 personnes voyageant à son bord, dont 61 passagers et sept membres de l'équipage.
L'avion de Spantax, un Convair Coronado 990, parvient à atterrir en urgence à Cognac (Charente), malgré une aile arrachée. Les 99 passagers et les huit membres de l'équipage sont sains et saufs, mais six d'entre eux, traumatisés, refusent de monter dans l'avion qui leur est proposé pour rejoindre Londres.
Un drame humain, un choc pour les témoins
À La Planche, le dénouement est plus dramatique. Les Planchots sont témoins d'une scène horrifiante : les corps des victimes et les pièces de l'appareil tombent en flamme dans plusieurs champs de la commune.
Jean-Paul Richard avait 25 ans, et il y était. Il s'apprêtait à repartir d'un déjeuner chez ses parents pour se rendre à un rendez-vous professionnel.
"Il y a eu un bang supersonique, mais c'était courant à l'époque. Ce qui m'a fait lever les yeux, c'est le bruit d'une forte accélération, confie-t-il, c'était le deuxième avion qui essayait de s'en sortir".
J'ai vu un homme qui tournoyait en l'air à 200 mètres de moi. Je lui ai dit "ouvre ton parachute", mais ça ne servait à rien.
Jean-Paul RichardHabitant de La Planche témoin de l'accident
"On est fixé par ce qu'on voit. Il y avait le cockpit qui fumait, l'aile qui tournait sur elle-même au-dessus du bourg, et plein de points noirs disséminés dans l'air, des corps...C'est la seule fois de ma vie où j'ai senti mon échine se crisper", poursuit Jean-Paul Richard.
Des tracteurs réquisitionnés pour récupérer les corps
Les débris et les dépouilles sont retrouvés dans un rayon d'au moins deux kilomètres. Pompiers, gendarmes et même agriculteurs se mobilisent pour rechercher les corps et les identifier.
Narcisse Dugast, Maurice Leroy et Daniel Jugieau étaient pompiers réservistes à la caserne de La Planche. Ils avaient 40, 27 et 21 ans. Eux aussi allaient travailler lorsque la sirène a retenti.
"C'était ma première intervention", précise Daniel. Ils ont tous les trois participé à la recherche et au rassemblement des corps.
Il fallait rechercher les corps, marquer les emplacements, et les récupérer pour les mettre dans des bâches en plastique.
Maurice LeroyAncien pompier réserviste à La Planche
"Une personne était restée attachée à son siège. On l'a retrouvée dans un arbre", raconte Narcisse Dugast.
Appeler les ambulances ne sert plus à rien. Deux tracteurs et leurs remorques sont réquisitionnés pour rassembler les corps. Les victimes sont mises en bière sur place, avant d'être transférées à l'hôpital militaire Broussais à Nantes.
"Il y a eu un vrai pèlerinage à La Planche pendant huit jours, avec les préfets, les ambassadeurs,..." Daniel se remémore aussi les nuits qui ont suivi : "Ça nous a travaillé, on en parlait entre nous".
Comme lui, Narcisse et Maurice ont conservé des objets tombés du ciel, des bouts de tuyaux ou de ferraille, et un gilet de sauvetage.
Hommage aux victimes le 8 mars 1973
Le 8 mars 1973, trois jours après l'accident, une cérémonie est rendue en hommage aux 68 passagers dans la cour du quartier militaire Richemont, dans l'actuel quartier nantais Malakoff-Saint-Donatien.
Certaines familles sont présentes. André Bettencourt, secrétaire général aux Affaires étrangères, représente le gouvernement. Il présente les condoléances de l'État français pour le décès des victimes, principalement originaires d'Espagne et du Royaume-Uni, mais aussi d'Allemagne, d'Australie, de Belgique, du Japon et des États-Unis.
La responsabilité rejetée par l'État
Comment les deux appareils ont-ils pu entrer en collision ? La question a longtemps fait débat.
Au moment du drame, le gouvernement français met hors de cause les contrôleurs militaires, pourtant peu formés aux procédures civiles. Une commission d'enquête est lancée dans la foulée de l'accident.
Reconnaître leur manque d'expérience reviendrait à jeter l'opprobre sur le plan Clément-Marot, qui prévoit que les militaires assurent un trafic aérien réduit en cas de défaillance des contrôleurs civils, comme lors du contexte de grève du début de l'année 1973. Le dispositif est déjà décrié par les pilotes de ligne.
Le ministre des Transports de l'époque, Robert Galley, privilégie le scénario d'une erreur humaine de navigation. Il pointe du doigt le pilote survivant de l'avion Spantax, Antonio Arenas, qui ne se serait pas conformé à l'ordre de ralentir sa progression, préférant engager une manœuvre non autorisée.
L'intéressé a toujours contesté cette accusation en bloc.
Recours en justice
Le point de vue du gouvernement impliquant le pilote est relayé par Le Monde lors de la publication du rapport de la commission d'enquête au début de mois de mars 1975.
La commission évoque bien des retards "imputables à l'équipage", mais aussi au contrôle aérien. Surtout, elle met en cause l'attribution d'une même altitude de vol aux deux avions, alors qu'ils devaient arriver au-dessus de Nantes à la même heure.
Le commandant Arenas ne se prive pas de souligner ce détail majeur dans une lettre adressée au Monde.
Pourquoi parler pour l'essentiel, dans vos deux articles, du Coronado et ne pas poser la question primordiale qui est de savoir pourquoi le contrôle a imposé la même altitude aux deux avions alors que d'autres niveaux de vol étaient à la fois disponibles et autorisés ?
Commandant Antonio ArenasLettre publiée par le Monde le 15 mars 1975
Estimant que l'État français est seul responsable, les compagnies aériennes et leurs assurances saisissent le tribunal administratif de Nantes d'une demande de réparations.
Le tribunal juge l'État français responsable de la collision à 85%, et le pilote de la compagnie Spantax responsable à 15% le 1er juillet 1980. Le gouvernement continue de nier sa responsabilité et fait appel de la décision devant le Conseil d'État.
Le 22 juillet 1982, le Conseil d'État déclare la responsabilité totale de l'État. Il considère que trois "fautes lourdes" ont été commises par les contrôleurs militaires :
- l'attribution d'un même niveau de vol aux deux avions "qui suivaient des itinéraires convergents vers la même balise"
- la transmission d'instructions qui n'étaient pas exécutables en l'état au commandant de l'un des appareils
- le retard de la demande au commandant de l'un des appareils de passer à la fréquence du secteur de Brest, "rendant de ce fait aléatoires les communications avec le sol"
C'est la première fois que l'État français est reconnu totalement responsable d'un accident aérien.
Réparation et mémoire
Le déni sans relâche de toute responsabilité du gouvernement dans les années qui ont suivi l'accident est allé de pair avec une absence de compensation et de soutien aux familles de victimes.
La décision du Conseil d'État leur a permis de réclamer des réparations pour leur préjudice.
Cinquante ans plus tard, seuls restent les souvenirs de ceux qui étaient là, et une stèle érigée le 6 juillet 1973 au sud de La Planche, à la mémoire des 68 victimes.
Elle se dresse à l'endroit où ont été rassemblés leurs corps.
Une cérémonie de commémoration y aura lieu dimanche 5 mars 2023.
Le dépôt de gerbes de fleurs à 10h45 sera suivi d'une exposition de photographies à la salle communale "La Passerelle" pour marquer le cinquantenaire de l'accident.