La gendarmerie de Nantes a mis fin à une organisation extrêmement bien rodée de livraison de téléphones et de drogue dans différents établissements pénitentiaires de l'ouest. Des livraisons qui se faisaient par drone.
C'est au mois de mai 2023 que cette affaire a débuté avec le signalement auprès du parquet de Nantes de livraisons illicites par drone sur le site de la maison d'arrêt de Caquefou, près de Nantes. Des livraisons de téléphones mobiles et de résine de cannabis confirmées rapidement par des fouilles effectuées dans les cellules.
"Les quantités ne sont pas négligeables" fait remarquer Renaud Gaudeul, le procureur de la République. En effet, on parle là de 36 téléphones portables et d'environ 1,6 kilo de drogue, principalement du cannabis.
"Ce sont, dans l'immense majorité, des iPhones, plutôt du haut de gamme qui peuvent valoir extrêmement cher dans un centre pénitentiaire", précise Renaud Gaudeul.
Une procédure bien rodée
Saisie par le parquet, la brigade de recherche de la compagnie de gendarmerie de Nantes a mené l'enquête qui l'a orientée sur une équipe basée à La Baule et un local logistique à Pornichet.
La procédure était simple et bien rodée. Des détenus passaient commande auprès de leurs proches et, contact était pris auprès des "livreurs" via un compte SnapChat baptisé "Air Colis" sur lequel le client faisait savoir le jour et l'heure de la livraison.
Concernant la maison d'arrêt de Carquefou, c'est au niveau du parking du restaurant McDonald's de La Beaujoire que le contact extérieur du détenu devait livrer la marchandise aux malfaiteurs en charge du transport par drone et payer la prestation.
400 € les 500 grammes livrés
Les choses étant faites très sérieusement, la marchandise était photographiée, pesée et ces informations étaient communiquées au détenu qui avait passé commande pour qu'il confirme. À ce moment-là seulement, la transaction pouvait se faire "à hauteur de 400 € les 500 grammes livrés, Quelle que soit la marchandise livrée" précise le parquet.
Les enquêteurs ont appris qu'il y a pu y avoir, au niveau de la maison d'arrêt de Carquefou, jusqu'à une dizaine de livraisons en une seule soirée.
"Ça pouvait être relativement lucratif" constate Renaud Gaudeul.
Plusieurs prisons concernées dans l'ouest
Les gendarmes ont élargi leur champ de recherche pour établir que de telles livraisons avaient lieu sur d'autres établissements de l'ouest, Lorient, le Havre et Poitiers. Sur le centre pénitentiaire de Lorient, une vingtaine de livraisons ont ainsi été comptabilisées. Elles avaient lieu très régulièrement, dans la nuit du lundi au mardi entre 1h et 4h du matin.
Après un long travail de surveillance, il est décidé d'une intervention que les gendarmes effectueront le 26 septembre à Carquefou.
Ce mardi-là, à 4h du matin, les gendarmes laissent passer une première livraison, "afin de matérialiser l'infraction" précise le procureur Renaud Gaudeul. L'interpellation a lieu ensuite.
Trois frères impliqués
"Une belle opération" salue le procureur, qui a permis l'interpellation de trois individus présents. Un quatrième, identifié comme "ayant une part très active dans cette opération" a été interpelé peu après à son domicile, à La Baule.
Les trois hommes pris en flagrant délit ce matin-là, sont trois frères, âgés de 21, 23 et 26 ans, "tous connus de la justice" ajoute Renaud Gaudeul. Des Toulousains établis depuis peu à La Baule. Le quatrième, a 23 ans.
Au domicile de La Baule puis "au centre logistique" de l'équipe, à Pornichet, neuf drones ont été saisis, mais aussi un peu plus de 500 grammes de cocaïne, près d'un kilo de résine de cannabis et 900 € en liquide.
Le droniste guidé par téléphone
Outre les drones rendus invisibles par le retrait des systèmes d'éclairage, du matériel technique a été trouvé comme des brouilleurs d'ondes et des jumelles thermiques. Également tout ce qu'il fallait pour réaliser le colis : du fil de pêche pour suspendre une chaussette dans laquelle se trouvait la marchandise.
C'est un détenu, à l'intérieur de la prison, qui, par téléphone, indiquait au droniste le bon chemin pour la livraison. Le drone s'approchait de la fenêtre de la cellule, le détenu tendait une perche vers le fil et le fil était sectionné, libérant son colis. Une livraison à domicile, pourrait-on dire.
"L'équipe, particulièrement ingénieuse, reconnait la commandante Agez, commandant la compagnie de gendarmerie départementale de Nantes, avait détourné le système électrique (qui normalement alimente les leds signalant le drone) pour créer un système de préhension avec une pince qui permettait de saisir la chaussette dans laquelle était emballé le matériel puis de la lâcher." Un drone de secours et des batteries de secours faisaient partie de l'équipement lors de ces nuits de livraison.
Force est de constater que la procédure était bien pensée.
Présentés au juge d'instruction
Les quatre personnes interpelées ont été présentées à un juge d'instruction ce vendredi 29 septembre. Ils sont accusés de plusieurs choses : survol de zone interdite, introduction irrégulière d'objet à détenu, acquisition, détention, transport et/ou cession de produits stupéfiants.
Deux d'entre eux étant en état de récidive pour les faits liés aux stupéfiants, ils encourent une peine de 20 ans de prison, 10 ans pour les deux autres.
L'instruction qui débute devra permettre, entre autres, de préciser les sommes en jeu et leur parcours, ce qu'on appelle "les flux financiers".
C'est une opération qui a nécessité quelques moyens côté gendarmerie."Une trentaine de militaires de la gendarmerie de Nantes", précise la commandante Cécilia Agez,
Des membres de la brigade de recherche "appuyés par des techniciens du domaine des drones, ajoute Cécilia Agez, qui ont permis de les détecter et de le suivre. Des militaires formés au pilotage, à la détection et à la neutralisation des drones."
Leurs collègues de la gendarmerie des transports aériens basés à Brest et à Nantes ont également été sollicités. Pour ce qui est des interpellations, elles ont eu lieu avec le renfort de gendarmes spécialisés dans "l'approche discrète auprès des malfaiteurs". Ce sont eux qui ont permis de constater le ballet des drones au-dessus de la maison d'arrêt de Carquefou.
Utilisation d'un aéroscope
Pour cela, les gendarmes ont utilisé un aéroscope, une petite valise dotée d'antennes qui détectent les fréquences des moteurs de drones. En l'occurrence, il s'agissait de drone que l'on peut trouver facilement dans le commerce pour environ 500 €. Ils étaient donc rapidement rentabilisés.
"La gendarmerie a mis les moyens humains et techniques pour mettre fin à ce type de trafic, conclut la commandante Agez, et nous continuerons de mettre les moyens pour lutter contre ce type de délinquance parce qu'en face, la délinquance ne recule devant aucun moyen technologique pour le business."
La crainte de livraison d'armes
Un message, au passage, que le procureur de Nantes souhaite faire passer aux malfaiteurs : "Les services d'enquête se sont mis à niveau et avec une volonté ferme d'être extrêmement présent sur ce type d'infraction."
Le parquet, s'il a évoqué une affaire de livraison de stupéfiants ou de téléphones, est bien conscient qu'une livraison d'armes est également possible par drone.
"Nous avons les moyens technologiques pour dissuader de commettre de pareilles infractions" conclut Renaud Gandeul.
Le phénomène de livraison de colis par drone dans les centres pénitentiaires a été détecté il y a un peu plus d'un an sur le territoire français.
Olivier Quentin avec Clara Bulting.