Passer l'agrégation de français pour une professeure mal voyante s'est révélé impossible tant les conditions du concours étaient éloignées de son handicap. Aline Langevin mène un combat déterminé pour faire valoir son droit de mal voyante à réussir un concours de l'Éducation Nationale.
Caractères trop petits, "secrétaires" incompétents pour une prise de dictée dactylographiée, Aline Langevin, quand elle s'est inscrite au concours de l'Agrégation de Lettres Modernes sur le conseil de son inspectrice d'académie, n'imaginait pas qu'elle allait consacrer 10 mois de sa vie à préparer un concours, perdu d'avance !
Perdu d'avance, assurément. Pas en raison de ses capacités personnelles et professionnelles, si l'inspectrice d'académie lui recommande de s'y confronter, c'est bien pour valider ses compétences. Mais ni l'une ni l'autre n'avaient imaginé que l'Éducation Nationale montrerait autant de mauvaise volonté pour adapter les conditions du concours, prévues par ailleurs au handicap visuel.
Un concours d'obstacles
"Je souffre d’une maladie dégénérative congénitale et orpheline, il me reste 1,5 avec les corrections. J’ai entrepris une démarche auprès du rectorat de Nantes pour un aménagement de tiers temps de la composition et d’agrandissement de textes. Je me suis présentée à un médecin agréé par l’Éducation Nationale, j’ai subi 3 heures d’examens approfondis pour déterminer avec précision quelle taille de police, quelles conditions en termes de lumière, étaient adaptées. Ce sont quand même deux épreuves de 7 heures, c’est assez fatigant".
Et débute alors un parcours du combattant dont la candidate à "l'agreg" se serait volontiers passée. Le début d'une série d'humiliations. Le médecin a refusé de lui donner le tableau d’aménagement, "là c’était une histoire d’arrangement financier avec le rectorat, il voulait une demande de devis pour une expertise alors même que je venais de faire trois heures d’examens". Le rectorat ne comprend pas la démarche et renvoie vers le médecin, "ça a duré 3 semaines où j’étais en stress puisque je me retrouvais hors délai pour l’inscription au concours".
Aline a donc vu un second médecin agréé pour qu’il remplisse le même tableau, "il n’a pas compris l’attitude de son confrère, enfin j’ai eu le droit d’aménagement des épreuves que j‘ai transmis au rectorat, qui a transmis à l’Éducation Nationale à Paris".
Débutent alors les conditions d'un concours serein ? Non ! Les ouvrages a étudier ne sont pas dans un format adapté aux mal voyants. Aline doit les découper et les agrandir page par page sur la photocopieuse du lycée...
Dix mois de préparation et des conditions de composition impossibles
Aline travaille dix mois entre son domicile et Angers pour préparer ce concours. Mettant sa vie familiale de côté. Et le jour de l'examen, rien ne va !
"Le jour de l’épreuve, qui se déroulait au rectorat de Nantes dans une salle aménagée, j’ai découvert au moment de l’ouverture de l’enveloppe cachetée que les documents n’étaient pas conformes aux recommandations du médecin agréé. Je me suis retrouvée avec deux épreuves de 9 heures (7 heures pour un candidat valide), confrontée à des textes que je ne pouvais pas lire".
La première épreuve d’étude de texte a été très pénible à vivre, "j’avais la feuille collée sous les yeux, j’essayais avec mon agrandisseur, avec une loupe à main. J’étais en position de stress intense".
Le rectorat lui avait alloué deux secrétaires, pour la rédaction de son travail, qui ne maitrisaient pas la dactylographie, et qui ont découvert à ce moment précis, ce que c’était qu’assister une personne en situation de handicap ! "J’ai forcément été ralentie, l’un des deux secrétaires présents m'a dit à la fin de l’épreuve que c’étaient des conditions inhumaines pour composer".
Aline Langevin ressort de cette épreuve, dans tous les sens du terme, "dépitée, affligée, déprimée". Mais dès le lendemain elle se reprend, et interpelle la présidente du jury. "J’ai mis ma vie de famille entre parenthèses, j’ai travaillé 10 mois de ma vie pour un concours que je n’avais aucune chance de réussir". Il fallait que cela se sache ! "Je me suis fait rappeler à l’ordre, parce que je n’avais pas le droit d’entrer en contact avec la présidente du jury".
Pas assez méritante
C'était il y a un peu plus d'un an. Depuis les humiliations s'accumulent. La direction des ressources humaines assure avoir adapté les conditions telles que demandées. On m’a répondu, "et bien vous repasserez le concours l’année prochaine, on essayera d’agrandir plus les textes !"
Elle remue alors ciel et terre, le recteur est contacté, sans réponse, le ministre de l'Éducation Nationale, pas mieux. Seule madame Macron va lui répondre, en soulignant l'injustice qui lui est faite. "Je lui ai demandé une audience pour faire entendre ma voix, puisque je sais que Mme Macron est sensible aux discriminations, au handicap, que c’est une personne humaine".
"La médiation est entrée en contact avec le rectorat et Mr le Recteur lui a dit que je pourrais être promue sur liste d’aptitude". L'un des deux chemins pour l'agrégation, avec le concours, "soit vous êtes un excellent professeur et vous pouvez prétendre à être élu sur une liste d’aptitude. J’ai fait les démarches nécessaires. Dans un premier temps Mr le recteur s’est montré favorable, et, il y a trois semaines, j’ai reçu finalement un refus, sans motivation".
Aline Langevin s'adresse à nouveau au recteur pour avoir un rendez-vous. "On m’a expliqué que ma candidature n’avait pas été retenue car il y avait des enseignants plus méritants que moi ! J’ai indiqué que je mettais au défi ces enseignants de faire tout ce qu’ils font avec 1,5 dixième". Et toujours pas un mot d'excuse ou le moindre début de compassion.
L'échec de "l'école"
Pour autant, Aline Langevin ne baisse pas les bras, c'est sa vue qui s'altère. Le handicap s'accentue, et rend de plus en plus difficile la perspective d'une seconde tentative. Elle a pris contact avec un avocat pour défendre sa cause et celle des personnes handicapées dans le monde de l'éducation.
"Si j’avais su ce qui m’attendait, jamais je ne me serais lancée dans cette épreuve, au propre comme au figuré, je veux ouvrir les portes pour les personnes qui vont suivre, aucun déficient visuel ne peut concourir, il faut lire beaucoup, tout faire soi-même, agrandissements, enregistrements audios, et le jour J, on vous donne un texte que vous ne pouvez pas lire..."
Décidément à l'École de la République, l'égalité des chances reste à inventer, pour les élèves on le savait, l'échec de "l'école" touche également ses propres professeurs.