Au Clos Toreau, quartier défavorisé de Nantes, en Loire-Atlantique, l'abstention a été majoritaire aux élections européennes. Malgré la précarité et la stigmatisation de ce quartier prioritaire, les habitants ne s'avouent pas vaincus et se mobilisent pour convaincre les abstentionnistes d'aller voter aux élections législatives anticipées.
Anne Gruand a grandi au Clos Toreau, à Nantes (Loire-Atlantique), avec ses parents, qui s'y sont installés tout juste un an après la construction du quartier. "Il y a une grande diversité ici, avec beaucoup d'entraide, mais on y voit aussi une paupérisation depuis des années, et beaucoup moins de mixité sociale", déplore celle qui est très impliquée dans la vie associative.
Dans ce quartier de près de 1 300 habitants, le revenu médian moyen est de 1090 € par mois (c'est-à-dire qu'il y a autant d'habitants qui gagnent plus que d'habitants qui gagnent moins), selon le rapport COMPAS 2018. De plus, en moyenne, 40,5 % des habitants y vivent sous le seuil de pauvreté (fixé en France à 1158 € par mois, soit à 60 % du niveau de vie médian de la population), contre 14,5% dans la population générale française (chiffres Insee 2018). Un moindre niveau de scolarisation des jeunes par rapport à la métropole y est également enregistré.
Tout un quartier stigmatisé
Sont notamment pointés les problèmes d'accès à l'emploi et aux services publics, ainsi que la stigmatisation. "Une de mes voisines, réfugiée politique nigériane et ex-avocate, a demandé une formation en français à Pôle emploi pour travailler à nouveau dans le juridique, mais on lui a proposé des postes de femme de ménage, se souvient Anne Gruand. Une autre vit en France depuis 30 ans, travaille et paye des impôts ici, mais n'arrive toujours pas à se faire naturaliser."
Dans cette famille, on en veut à la politique menée par le président Emmanuel Macron depuis 2017. "Moi, ce que je voudrais, c'est qu'on arrête cette politique libérale qui pointe les pauvres du doigt en compliquant par exemple l'accès à l'allocation chômage tout en supprimant parallèlement l'impôt sur la fortune."
Quand on vit dans un quartier stigmatisé et qu'on a peu de réseau, c'est compliqué de trouver du travail. Même les collégiens peinent à trouver des stages.
Anne Gruand, habitante engagée
Marie-Christine Ramjanlly, amie d'Anne, acquiesce. Après avoir travaillé près de 42 ans dans un hôtel en Savoie, elle touche à peine 1 300 euros par mois depuis qu'elle a pris sa retraite, il y a 13 ans. "Macron avait promis d'augmenter les petites retraites, mais comme c'est une histoire de pourcentages, ce sont les plus gros qui se gavent, tandis que nous, on a le droit à des miettes de pain", estime celle dont le pouvoir d'achat est la principale préoccupation. "L'inflation a largement plus progressé que ma retraite..."
Également retraité, Gilles Cousseau se sent avant tout préoccupé par l'offre de santé. "La dernière docteure du quartier a pris sa retraite, c'est devenu un désert médical. Il y avait une rumeur disant qu'elle est partie à cause de l'insécurité, mais c'est faux. Pour son pot de départ, tout le monde était présent à vouloir lui offrir des cadeaux, le Clos Toreau est une grande famille." Ici, on regrette que les médias se focalisent davantage sur les faits divers que sur la solidarité entre habitants.
Avant, on avait une police de proximité avec qui échanger. Aujourd'hui, on a des CRS qui prennent le quartier d'assaut, évidemment que les enfants ont peur...
Géraldine Ligeron, mère seule de quatre enfants
"Je suis arrivée en France en 1989 et je constate de plus en plus que la haine augmente, surtout lorsqu'on allume la télévision", s'inquiète Mokhtar Amairi, Tunisien et restaurateur à Nantes. Il n'a jamais pu se faire naturaliser, malgré le fait que ses enfants soient français. Il aurait aimé pouvoir faire barrage au Rassemblement National (RN), donné vainqueur par les sondages aux élections législatives anticipées du 30 juin prochain, mais il n'a pas le droit de vote.
Des législatives plus synonymes d'inquiétude que d'espoir
Dans ce quartier défavorisé de Nantes, le grand vainqueur des élections européennes a été l'abstention, qui s'établit autour de 57%. Face à des problèmes persistant au fil des élections, "beaucoup de gens s'abstiennent parce qu'ils n'y croient plus, mais d'autres se mobilisent par peur du Rassemblement National aujourd'hui", observe Anne Gruand.
Très engagées, elles voient un véritable espoir social dans le Nouveau Front Populaire. Toutes deux ont participé aux manifestations contre la montée de l'extrême droite.
"J'irai voter, mais disons que j'ai perdu mes illusions", confie malgré tout son amie. "Les sondages ne sont pas géniaux pour la gauche et ce n'est pas en trois semaines que les intentions de vote vont changer par rapport aux européennes", où le RN est arrivé en tête avec 31,3% des suffrages exprimés en France. A l'échelle de leur quartier, elles tentent de convaincre les abstentionnistes.
J'aimerais que soit surtout pris en considération la question du travail des jeunes. On dit souvent qu'ils doivent quitter le nid familial, mais sans rien en poche, c'est compliqué.
Nicky Bosuku Masala, Franco-Congolaise naturalisée
À rebours de cette tendance nationale, ce sont les principales listes de gauche qui ont raflé les trois premières places du podium le 9 juin dernier dans ce quartier, avec en première place la liste LFI de Manon Aubry (21,3% des suffrages exprimés), suivie par la liste du socialiste Raphaël Glucksmann (20,1%) et celle de l'écologiste Marie Toussaint (18%). La liste d'extrême droite du Rassemblement national y arrive quant à elle en quatrième place, 16,2% des voix, loin devant la liste Renaissance du parti présidentiel (10,4%).