ENQUÊTE. Les dérives sectaires de la Fraternité Saint-Pie X, "Après les études, soit vous serez mère de famille, soit religieuse"

Ils se disent catholiques traditionalistes, la Fraternité Saint-Pie X compterait au moins 35 000 fidèles en France, entre 2 à 5 000 dans le Grand Ouest. Depuis le Covid, ils remplissent les églises, et ont une présence de jeunes considérable. Pourtant, depuis 2017, l'organisme gouvernemental Miviludes les considère comme un phénomène sectaire.

Dimanche 18 février, plus de 500 fidèles de la Fraternité Saint-Pie X ont pris possession de l'espace public. Pour un chemin de croix, une première à Nantes depuis les années 1990.

"Je ne pense pas que la crucifixion de Jésus a été privée. Elle a été dans la rue, donc nous sommes dans la rue. Et voilà, nous suivons le Christ, c'est tout", explique une fidèle.

Je suis persuadé d'avoir découvert la religion par excellence. Un Dieu qui meurt pour nous, c'est unique

Un fidèle

Quelques heures plus tôt, une partie des fidèles se rassemblait pour la messe dans l'église Saint-Émilien de Nantes. Un édifice construit en moins de 3 ans, bâti uniquement grâce aux dons, trois millions d'euros.

Chaque dimanche, ils remplissent les trois églises de Loire-Atlantique, 1 200 fidèles dans le département, une fréquentation qui aurait doublé depuis le Covid, selon l'abbé France, responsable du prieuré de Nantes.

Le Christ nous donne la vérité, ça veut dire qu'elle est ici et pas ailleurs

Abbé Bruno France

Responsable du prieuré de Nantes

LIRE AUSSI. Qu'est-ce que la Fraternité Saint-Pie-X, communauté religieuse du prêtre intégriste jugé devant les assises de Vendée ?

"La religion catholique est la seule vraie religion"

La Fraternité Saint Pie X a été créée par Monseigneur Lefebvre en novembre 1970. Ces catholiques reconnaissent le pape, mais réfutent la réforme du concile Vatican II des années 60, jugée trop progressiste, notamment avec un dialogue interreligieux.

"On dit que toutes les religions ne sont pas du tout égales. La religion catholique est la seule vraie. Ça, c'est clair", soutient l'abbé Benoît de Jorna, supérieur du District de France de la Fraternité Saint-Pie X en 2019.

Rites en latin, abbés en soutane, un clergé ultra-autoritaire, ils se disent anti-modernistes.

"On est là pour dire attention, dans la doctrine, il faut avoir les idées claires. On considère qu'à l'heure actuelle, il y a des choses qui sont déviantes", explique l'abbé France, responsable du prieuré de Nantes.

Ces idées, la Fraternité Saint-Pie X les a aussi exprimées en politique, notamment avec le mouvement d'extrême droite Civitas aujourd'hui, dissous.

En juillet dernier, à Pontmain, en Mayenne, lors de son université d'été, l'abbé Xavier Beauvais, membre de Civitas et de la Fraternité Saint-Pie X, appelait à la haine.

"Il faut partir en guerre. Si j'avais les armes qu'il fallait, sous la main, eh bien, nous partirions déjà maintenant en guerre, dans le but de combattre par tous les moyens justes et légaux, bon encore que..."

Scolarisée de force en Normandie

Un univers qu'a fréquenté Anna. Pour préserver son anonymat, nous avons changé son prénom. Née dans les années 1990, fille unique, ses parents entrent dans la fraternité alors qu'elle n'a que huit ans.

"On a complètement changé de mode de vie. Déjà, on allait à la messe tous les dimanches, on ne fréquentait plus que les gens de la Fraternité Saint-Pie X. Notre maison s'est retrouvée complètement chargée de livres, de livres politiques notamment, d'extrême droite, de livres sur la liturgie, sur les théories du complot aussi".

À 12 ans, elle est scolarisée de force en Normandie, dans une des 59 écoles privées hors contrat gérées par la fraternité.

"Jupe obligatoire, pas de pantalon. Et pour le haut, l'obligation de porter sous le chemisier un tricot de peau, c'est-à-dire quelque chose qui aussi empêche de révéler nos formes. 

On ne peut pas être heureuse en étant enfoui sous ces couches d'habits

Anna

Ancienne fidèle

Des fidèles issus de la haute aristocratie ou de la bourgeoisie

Chaque année, la fraternité construit de nouveaux établissements.

Pour l'agrandissement de l’école privée de la fraternité, située au château de Ternay de Fontenay-le-Fleury (Yvelines), plus de 2,7 millions d'euros ont été récoltés en deux mois. Seulement 217 participants, soit une moyenne de 12 000 euros le don. La majorité des fidèles de la fraternité seraient issus de la haute aristocratie ou de la bourgeoisie.

"C'est un couvent. D'abord, quand on se lève, il y a la prière du matin. Après, il y a la messe et un cours de doctrine chrétienne. L'après-midi, il y a le chapelet et le soir, encore, les prières. Donc c'est un rythme vraiment calqué sur, une vie de moniale ou de religieuse, je pense".

"Et les punitions... On était parqués dans un coin de la cuisine ou du réfectoire. On se levait à six heures, on était levé plus tôt que les autres. À six heures du matin, on nous balançait un saladier d'oignons à éplucher pendant trois quarts d'heure".

Ce genre d'école, le Comité national d'action laïque l'a étudié de près. Comme à Puybelliard, un village de 250 habitants en Vendée. Ici se trouve une école primaire d'une quarantaine d'élèves.

"Là, on voit bien que c'est fermé, que c'est une petite route dans un petit village caché", nous montre Marie-Laure Tirelle, secrétaire générale du CNAL, le Comité National d'Action Laïque.

Le maréchal Pétain glorifié

La fraternité a refusé toutes nos demandes de tournage. Les comptes rendus d'inspection de ces écoles sont alarmants.

"Donc là, il y a le non-respect des horaires d'enseignement des programmes scolaires. L'EPS est très peu pratiqué, et les supports d'apprentissage particulièrement datés. Là, on a un manuel de 1964, donc c'est assez révélateur en fait", explique Marie-Laure Tirelle.

Nous nous sommes procurés l'un de ces manuels. Dans ce livre d'histoire, par exemple, le mot Shoah n'est jamais mentionné. Le fléau du 20ᵉ siècle, c'est, selon eux, les socialistes radicaux. En revanche, le maréchal Pétain est lui glorifié.

"Là, c'est un manuel d'Histoire, on avait des manuels de science qui étaient très anciens. Et donc dans ces manuels, il y avait des pages découpées, c'était au chapitre qui traitait de la sexualité, explique Anna, il y avait une censure très claire de ce sujet. Quand on sort à 18 ans de ces écoles, on ne sait absolument rien".

Des livres scientifiques qu'Anna a très peu parcourus. Seules les filières littéraires sont acceptées pour les jeunes filles.

"Les mères nous disaient, ça ne sert à rien de penser aux études. Après les études, soit vous serez mère de famille, soit religieuse".

Anna

Ancienne fidèle

Obéissance et soumission

Dans la Fraternité Saint-Pie X, les femmes doivent obéissance et soumission aux hommes.

"La femme n'est pas mise de côté, elle est mise à l’honneur. Mais comme elle est mise à l'honneur, elle est mise à une place un peu différente, estime l'abbé France. Parce que, selon la foi, ce que dit l'Église catholique, il y a une complémentarité entre homme et femme que l'on respecte. On n'a pas cette mentalité d'égalitarisme".

"On a tous le péché originel en nous. Ce qui est important, c'est Dieu" dit une fidèle. "Donc la femme se voile parce qu'elle sait qu'elle est jolie et qu'elle est attractive. Et elle se voile devant notre Seigneur Jésus-Christ pour que tout le monde puisse être concentré".

Selon la mission interministérielle Miviludes, depuis 2016, la Fraternité Saint-Pie X est considérée comme pouvant entraîner des dérives sectaires.

"Vous savez, quand les enfants sont grands, ils choisissent, estiment l'abbé France. Donc, ils se retrouvent dans les mêmes facultés, etc. Et donc c'est là qu'on voit qu'on a toujours des jeunes qui vont à droite à gauche. On a beaucoup de jeunes qui restent parce qu'ils ont compris tout ce qu'ils ont reçu comme étant un patrimoine familial, patrimoine religieux, patrimoine qui est le leur", explique l'abbé France.

"Oui, on peut en sortir quand on veut, explique Anna, mais l'empreinte, cette notion de péché, de mal, elle reste toujours là. Si par exemple, je regarde un garçon, c'est impur. Eh bien cette petite phrase, elle reste toujours en nous, comme une emprise. C’est très grave en fait".

Anna s'exprime pour la première fois, à 35 ans. Elle a quitté la fraternité il y a 10 ans et n'a plus aucun contact avec les membres.

Si elle témoigne, c'est aussi pour alerter sur la condition des enfants, à qui on demande dès le plus jeune âge d'être des missionnaires.

Retrouvez-nous sur nos réseaux sociaux et sur france.tv 

L'actualité "Société" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Pays de la Loire
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité