Guerre en Ukraine : comment en est-on arrivé là ? 5 questions à Martine Mespoulet, spécialiste de la Russie à l'Université de Nantes

Invasion de l'Ukraine à coups de blindés russes, tirs de missiles sur Kiev, discours télévisé de Vladimir Poutine... En une nuit, la Russie a déclaré la guerre à son voisin européen. Moins de 24 heures plus tard, le conflit compte déjà plusieurs dizaines de morts. Comment ce scénario catastrophe a-t-il pu devenir réalité ? Eléments de réponse, avec Martine Mespoulet, professeure émérite à l'Université de Nantes

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La situation déjà préoccupante de l'Ukraine a pris une toute autre tournure ces derniers jours, jusqu'à faire réagir le monde entier ce jeudi 24 février 2022. Vladimir Poutine a ordonné la nuit dernière une opération militaire d'envergure en Ukraine. Au programme : frappes aériennes et entrée des troupes russes sur le territoire. On compte déjà les morts par dizaines et l'exode a commencé.

"Ne permettons pas que commence en Europe ce qui pourrait être la pire guerre depuis le début du siècle", a demandé Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, dont le conseil s'est réuni en urgence.  

Pour tenter de comprendre et remettre en contexte ces derniers événements, nous avons interrogé Martine Mespoulet, professeure émérite de sociologie historique de la Russie et de l'Europe de l'Est à l'université de Nantes.

Pourquoi la Russie a-t-elle attaqué cette semaine l’Ukraine, après avoir placé des milliers de soldats à ses frontières, aux portes de l’Europe, pendant deux mois ? 

M.M. : Vladimir Poutine poursuit sa stratégie de constituer des zones "tampon" entre la fédération de Russie et les pays de l’OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique nord). Il n’en veut pas derrière ses frontières. Cela fait des années qu’il le dit, mais il le réitère depuis quelques mois et le montre par la force depuis quelques jours. 

Or, l’Ukraine veut entrer dans l’OTAN, ce qu’a toujours refusé l’OTAN, connaissant justement le risque vis-à-vis de la Russie. Pour Poutine, l’OTAN est un bloc militaire qui porte les traces de la Guerre Froide. C’est un bloc hostile. Le symbole du bloc de l’Ouest. Il ne veut pas que la Russie soit encerclée.

Depuis la révolution de Maïdan en 2014, il y a également une forte aspiration des Ukrainiens à entrer dans l’Union européenne (UE). L’arrivée de Volodymyr Zelensky à la présidence de l’Ukraine en 2019 a renforcé cette demande d’adhésion. 

Avec la décomposition du monde communiste en Europe, les Pays baltes, la Pologne ont déjà rejoint l’UE et l'OTAN. De l’ancien espace d’influence soviétique en Europe, il ne reste presque plus rien. Et ça, pour Poutine, c’est insupportable. L’Ukraine n'est ni dans l’UE ni dans l’OTAN et a une frontière avec la Russie. Elle reste un enjeu. Il veut la démilitariser, la réduire à un Etat incapable de se défendre. 

Il veut aussi que soit reconnue l’indépendance des deux républiques autoproclamées que sont Donetsk et Lougansk, des territoires où il y a des séparatistes pro-russes depuis 2014. 

Qu’ont de particulier les territoires des Républiques autoproclamées de Donetsk et du Lougansk ? 

M.M. : Les « Républiques populaires » de Donetsk (RPD) et de Lougansk (RPL), ont été autoproclamées en 2014. Elles sont situées dans l'est de l'Ukraine et constituent un peu moins de la moitié du territoire du Donbass, mais ce ne sont pas de petites zones. Près de 4 millions de personnes y vivent. 

Lorsqu’elles sont interrogées, la majorité de ces personnes se dit favorable à l’arrivée des Russes. 600 000 ont déjà un passeport russe. Les habitants sont russophones et estiment être plus proches de la Russie que de l’Ukraine, ce sentiment est très fort. 

Aussi, les combats n’ont pas cessé depuis 2014. Ils ont déjà fait 14 000 morts. Les habitants sont usés et espèrent que la Russie leur apportera la paix. 

Mais l’Ukraine ne veut pas perdre ces territoires peuplés et importants pour le pays. On y trouve des industries, des mines, de la métallurgie et de l’agriculture. 

Dans quelle position se trouve aujourd’hui l’Ukraine face à la Russie ?

M.M. : Un déséquilibre entre les deux armées persiste mais aujourd'hui, l’armée ukrainienne est plus forte qu’en 2014. Notamment grâce à l’aide de pays européens. Les effectifs sont mieux formés, mieux équipés pour résister. 

L’Ukraine est soutenue diplomatiquement par de nombreux pays : l’Europe, les Etats-Unis. Il y aura également sans aucun doute des soutiens économiques et humanitaires.

Mais d’après les dernières déclarations, personne n’ira jusqu’à se battre en Ukraine. Personne ne veut faire la guerre… à part Poutine. L'OTAN vient d’affirmer ne pas avoir de troupes en Ukraine et n'avoir aucun plan et aucune intention de déployer des troupes dans ce pays.

L’Ukraine est très seule sur le volet militaire, ce qui explique une telle mobilisation de la population. Les jeunes sont prêts à aller se battre. 

Quelles peuvent être les conséquences pour le reste de l’Europe ?

M.M. : C’est difficile à dire aujourd’hui, quand on voit la tournure des événements... On sait que les Etats voisins s’inquiètent pour leur propre sécurité. La République Tchèque, la Roumanie, la Lituanie, la Pologne, la Hongrie… Il ne faut pas oublier qu’ils étaient dans l’empire soviétique, qu’ils ont déjà été envahis. Ils ont le droit d’être inquiets. Ça rappelle des mauvais souvenirs.  

Les conséquences pour la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, seront surtout économiques. Pour nous, cela va se traduire par des complications d’approvisionnement et d’inflation. Est-ce que Poutine réduira le robinet du gaz ? En France, notre dépendance énergétique à l'égard de la Russie est de 24%. Il y aura donc forcément une flambée du  prix.  

Quels sont les leviers d’action de l’Europe pour aider l’Ukraine ?

M.M. : Ils sont ceux que l’on a envie de se donner. Les Etats démocratiques croient trop en la démocratie face à quelqu’un comme Vladimir Poutine, qui y est opposé. On voit bien que la diplomatie a ses limites avec lui. 

Il y a certes les sanctions économiques, commerciales. L’Allemagne a annoncé qu’elle suspendait l'autorisation du gazoduc Nord Stream 2 qui la reliait à la Russie. Mais c’est une suspension, pas un arrêt.

Du côté de la France, Emmanuel Macron va annoncer de nouvelles sanctions plus sévères, “à la hauteur de l'agression dont se rend coupable” la Russie, a-t-il dit.

Mais la Russie s’est préparée aux sanctions. Elles dérangeront le peuple, c’est évident, mais pas Poutine. 

Et dans quel état l’Ukraine va-t-elle se retrouver ? L’ONU estime que ce conflit pourrait créer jusqu’à 5 millions de réfugiés

Est-ce que la diplomatie va pouvoir reprendre la main ? En tout cas, la Russie n’en a pas envie. 

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