Leur métier est méconnu du grand public, pourtant, leurs enquêtes sont des pièces à part entière de la procédure judiciaire. Les enquêtrices de personnalité, ce sont souvent des femmes, interrogent le mis en cause et son entourage pour dresser un portrait social de la personne qui sera ensuite exposé lors du procès.
Au premier jour de ce procès, devant la Cour d'assises de Nantes, Marion avance dans l'allée centrale. Elle passe à côté de la famille et des proches de la victime, puis devant les avocats des parties civiles et s'arrête devant la barre. À sa droite, à quelques mètres d'elle, l'accusé, dans son box vitré.
La présidente demande à Marion de se présenter, nom, âge, qualité. Puis elle lui demande :
"Connaissez-vous personnellement l'accusé ou la victime ?"
"Non", répond Marion.
"Jurez-vous de parler sans haine et sans crainte, levez la main droite et dîtes : je le jure."
Marion obtempère et commence la lecture de son rapport d'enquête.
Mandatée par la Justice
D'une voix sans émotion, elle lit les notes qu'elle avait auparavant communiquées au juge d'instruction qui avait sollicité ses services. Pour cette enquête, Marion a rencontré l'accusé et plusieurs membres de son entourage, sa famille, ses employeurs, des personnes plus ou moins proches, mais qu'elle a estimé pertinent d'interroger pour établir la personnalité du mis en cause.
Marion est enquêtrice de personnalité pour l'ADAES, une structure socio-judiciaire qui est mandatée par la Justice lors des procès d'assises ou de correctionnelle.
L'ADAES est une des plus grosses structures du genre en France. Elle est amenée très régulièrement à travailler pour les tribunaux de Nantes, Saint-Nazaire et Rennes.
Cette mission auprès des tribunaux est prévue par l'article 81 du code de procédure pénale :
"Le juge d'instruction procède ou fait procéder, soit par des officiers de police judiciaire, conformément à l'alinéa 4, soit par toute personne habilitée dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, à une enquête sur la personnalité des personnes mises en examen, ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale. Toutefois, en matière de délit, cette enquête est facultative."
Intervenante socio-judiciaire
Adeline Guedon est assistante sociale de formation. Sa collègue, Aurélie Brun, est juriste, spécialisée dans le Droit pénal et les sciences criminelles. Deux profils différents pour un même poste : "intervenante socio-judiciaire, enquêtrice de personnalité."
Leur employeur, l'ADAES 44 (Association départementale d’accompagnement éducatif et social de Loire-Atlantique), leur a fait suivre une formation.
"On a une trame commune pour mener les entretiens, précise Adeline Guedon, et on échange beaucoup entre nous."
"On a aussi des formations sur le travail d'écrit d'enquêtes de personnalité et de présentation orale", ajoute Aurélie Brun.
Une trentaine d'heures d'entretiens avec une dizaine de personnes
Lorsqu'elles sont sollicitées par un juge d'instruction, ces enquêtrices commencent par rencontrer la personne mise en cause. Soit en détention, soit dans une salle de leur service. On l'a compris, au fil des questions, il s'agit d'aller chercher des informations sur la vraie personnalité de l'accusé, qui, à ce stade de l'affaire, est présumé innocent.
L'enquêtrice va ensuite rencontrer, soit en face à face, soit au téléphone ou en visio, des proches, des voisins, des employeurs, des enseignants... en général une dizaine de personnes qui évoqueront ce qu'elles savent de l'accusé, de sa façon d'être, de faire, de son histoire, de la relation qu'elles ont eue avec lui.
Tous nos rapports d'enquête sont validés par nos chefs d'équipe.
Aurélie BrunEnquêtrice de personnalité
Souvent, c'est le mis en cause qui a fourni le nom des personnes à contacter, mais l'enquêtrice a toute liberté pour, au fil des entretiens, cibler tel ou tel contact à prendre.
En moyenne, les enquêtes nécessitent une trentaine d'heures d'entretien.
"C'est de leur intérêt de montrer qui ils sont en tant que personne, déclare Aurélie Brun. Il s'agit de savoir comment ils se sont construits depuis leur enfance."
Apporter de l'humanité
Pour ces deux femmes, leur travail consiste à amener de l'humanité là où la procédure se concentre sur les faits.
"On est entendus comme des témoins, on n'est pas des experts. On ne formule par d'hypothèse, pas de point de vue", précise Aurélie.
Les enquêteurs de personnalité n'ont pas systématiquement accès au dossier d'instruction, mais ils peuvent demander à le consulter pour y trouver des pistes d'entretiens.
"La seule limite, complète Adeline Guedon, c'est qu'on ne contacte pas des personnes qui sont dans le même dossier, co-auteurs ou victimes."
"On n'aborde pas les faits qui sont reprochés", ajoute Aurélie.
On voit des situations pas très jolies. On est là pour être dans la rencontre avec ce qu'ils sont en tant que personne.
Aurélie BrunEnquêtrice de personnalité
Il peut arriver que des personnes contactées par le service socio-judiciaire, ne sachent pas pour quelles raisons on souhaite les interroger à propos de telle ou telle personne.
"On est soumis au secret de l'instruction, rappelle Aurélie Brun, on ne peut rien évoquer."
"Ils sont quand même très humains"
Avec le mis en cause, l'entretien se passe très souvent dans le calme. On est, à ce stade de la procédure, longtemps après les faits et loin encore du procès. Ce qui aide les enquêteurs à prendre de la distance avec le crime commis.
"Ce sont plutôt des personnes assez calmes, qui vont coopérer", remarque Adeline. "Les choses sont moins à vif", confirme Aurélie.
La bienveillance et le non-jugement.
Adeline GuedonEnquêtrice de personnalité
"Ils sont quand même très humains, témoigne Adeline qui a, derrière elle, sept années de pratique. Avec des parcours de vie qui peuvent toucher. On peut être facilement dans l'empathie."
"De l'empathie, oui, reconnait sa collègue, mais je n'irai pas jusqu'à de la sympathie !"
Des enquêtes sur les victimes aussi
L'ADAES peut aussi être missionnée pour établir une enquête de personnalité sur une victime, afin d'établir les répercussions d'une agression sur elle, ou sur sa famille.
"Lorsque la victime est décédée, on lui donne une place dans le procès. (Procès) qui, parfois, occulte un peu la place de la victime", estime Adeline.
Entrer dans l'intime, ou presque, de personnes accusées de faits violents ou de victimes peut secouer. Pas simple d'en sortir indemne. Mais ces deux enquêtrices disent parvenir à se protéger, grâce à des débriefings réguliers au sein de leur équipe et au fait de ne s'intéresser qu'aux personnes et pas aux faits.
Il peut arriver que le président de la Cour d'Assises ne mentionne que quelques éléments de l'enquête de personnalité, sans citer à comparaître l'enquêteur. Une décision qui lui appartient à lui seul. Mais qui n'est pas anodine pour l'accusé.
"Il a commis un acte violent, mais ça ne le définit pas en tant qu'être humain", conclut Adeline Guedon.
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