Dans la cadre de la semaine de lutte contre les violences sexistes et sexuelles à Nantes, jusqu'au 14 novembre, plusieurs femmes accueillies par la structure Citad'elles, qui ont subi ou subissent des violences, exposent leurs oeuvres réalisées en atelier d'art-thérapie. Un exutoire salvateur. Elles témoignent.
L'exposition s'intitule « Traces d’elles ». Elle se situe en plein cœur du centre commercial Beaulieu, sur l'île de Nantes, et se compose des productions réalisées par des femmes accueillies à Citad’elles.
Des oeuvres visibles ainsi par le plus grand nombre. Car l'objectif de cette exposition est à la fois de célébrer le parcours de ces femmes, les cinq ans de la structure et, surtout, de sensibiliser le grand public.
Fêter les 5 ans de Citad'elles
Citad'elles est l'une des structures uniques en France créée et ouverte le 25 novembre 2019 à Nantes en collaboration avec différents acteurs du territoire pour accueillir, mettre en sécurité et accompagner les femmes victimes de violence et leurs enfants dans un parcours de reconstruction.
Depuis cinq ans, Citad'elles permet une prise en charge globale, psychologique, médicale, juridique, sociale sur un lieu unique, par une équipe pluridisciplinaire. Un cocon de survie pour certaines, qui ne désemplit pas depuis sa création. Un triste constat, prouvant toutefois qu'un tel lieu était essentiel.
"Trois nouvelles femmes sont accueillies chaque jour à Citad'elles. Et c'est sans compter toutes les femmes qui reviennent dans le cadre de leur parcours de soins", précise Mahaut Bertu, adjointe à la maire de Nantes en charge de l'égalité, de la ville non-sexiste, et de la lutte contre les discriminations.
Valoriser les bienfaits de l’art-thérapie
Parmi les ateliers proposés au sein de la structure : l'art-thérapie.
"L'art-thérapie, c'est une méthode de soin où on utilise le processus créatif pour s'exprimer autrement que par la parole", détaille Emilie Dorbane qui intervient à Citad'elles via l'association Question Confiance.
Au sein de la structure, c'est un temps en collectif, guidé par Emilie, avec bienveillance et humilité. "Je fais une proposition, on va dire un thème, et les femmes vont s'en saisir comme elles le veulent. Elles sont libres de faire, même si elles ne font pas", raconte la thérapeute.
Elle poursuit : "Je souhaite leur apporter de la douceur, de la bienveillance, un espace où elles ont le droit d'être, d'exister, et de ne pas se résumer à 'je suis une victime'. L'objectif c'est qu'elles se disent 'ok, un jour, j'ai été victime, j'ai vécu ça. Je ne l'oublierai jamais, plus jamais. Mais aujourd'hui, je suis une femme désirante, je suis brillante, je suis courageuse, je suis forte, je suis résiliente, je suis aimante, je suis une bonne maman, je suis tout simplement.'"
D'ailleurs, Emilie Dorbane le reconnaît, à travers l'exposition et les œuvres, c'est souvent une quête d'elles-mêmes que les femmes font : " l'enjeu avec les violences, c'est d'arriver à amener les femmes à cheminer sur elles-mêmes et à leur dire vous êtes une victime de violences dont vous n'êtes pas responsables. Parce qu'elles viennent avec toute leur culpabilité qui est très lourde et très pesante".
L'un des enjeux de cet art thérapie est de dire :' OK, vous êtes passées par le stade de victime, mais vous n'êtes pas une victime, vous êtes une femme, un individu singulier avec des envies, des désirs, des choix...
Emilie DorbaneArt thérapeute à Citad'elles
Plusieurs d'entre elles ont accepté de témoigner, parfois anonymement, des bienfaits de ces instants créatifs, synonymes pour beaucoup d'entre elles, de lâcher prise et de liberté retrouvée.
Sororité
Céline est en lien avec Citad'elles depuis le mois de mars 2023. "Quasiment à la date du 8 mars, la journée internationale des droits des femmes, tout un symbole", relève la jeune femme, sourire dans la voix.
Ce jour-là, Céline porte plainte, pour des violences sexuelles, psychologiques et morales vécues depuis son enfance. "J'ai vécu de l'inceste. J'ai une mémoire traumatique, parce qu'il y a plein d'effets ou de moments dont je ne me souviens plus. Mais ça a commencé très petite, à l'âge qu'ont aujourd'hui mes enfants, qui ont 6 ans et 4 ans. C'est ressorti à l'âge de 20 ans. J'en ai 42 aujourd'hui."
Mon grand frère a abusé de moi durant des années. Sous caution de silence. Il me faisait du chantage à la télécommande, comme il disait : 'Si tu veux la télécommande, tu fais ce que je te demande'.
CélineParticipante de l'exposition "Traces d'elles"
Pour Céline, l'art-thérapie n'a pas été une évidence de prime abord. "Dans l'art-thérapie, il y a le mot 'art'. Moi, je ne suis pas du tout artiste, et je n'ai pas du tout de connaissances de technicité. Donc c'est vrai que ça a été une découverte. J'y suis allée un peu à reculons parce que je me suis dit que je ne savais pas dessiner etc..."
Mais la rencontre avec Emilie a été déterminante : "Le premier mot que j'ai entendu dans ce qu'elle a dit, c'est le mot 'liberté'. Vous êtes libre de faire ou de ne pas faire le dispositif. Et moi, je me suis dit 'Waouh !' Et aussi, l'une des choses qui m'a marquée, c'est qu'elle a dit : "Vous ne savez pas dessiner, vous ne savez pas faire ceci, vous ne savez pas faire là. Eh bien, c'est très bien, vous êtes au bon endroit."
Dans ses oeuvres, un mélange d'émotions.
Il y a toutes les émotions que j'ai vécues pendant un an. C'est-à-dire la colère, le dégoût, le désespoir, l'humiliation, la violence qu'on a vécue et qu'on est nous-mêmes en train d'avoir envers nous-mêmes. C'est un vrai moment de thérapie.
CélineParticipante à l'exposition "Traces d'elles"
Une évolution salvatrice pour Céline. "Grâce à ces ateliers, vous vous reconstruisez les unes avec les autres aussi, personnellement et grâce au collectif. De voir que ce qu'on vit, nous, n'est pas unique, et que malheureusement, c'est universel, a un côté rassurant. On se dit, je ne suis pas une extraterrestre. Ce que je vis, c'est bien la réalité."
L'exposition "Traces d'elles aura été un "tremplin" pour la jeune femme. "J’espère que d'autres femmes ou d'autres personnes vivront moins de violences que ce qu'elles ont pu vivre ou vivent actuellement. Et qu'il existe des institutions, des choses pour les aider, pour nous aider."
Céline a écrit un texte qui s'intitule "Poubelle". Un texte qui parle de tout ce que qu'elle a pu ressentir : "Cela parle de toutes ces émotions, tous ces déchets, que j'appelle, qu'on m'a mis sur moi, car on m'a mis dans une poubelle, qui était apparemment la mienne. Et je décris un petit peu ce mélange des émotions, de tout ce que j'ai pu ressentir pendant très longtemps et qui a explosé quand la poubelle a fait tomber son couvercle."
Un tremplin
Pour *Gabrielle (*le prénom a été modifié à la demande), ces ateliers furent un moyen d'expression thérapeutique riche et sécurisant. "Pendant les séances, on peut créer avec plein de matériel à disposition, dessiner, peindre, coller, assembler. C'est très libre tout en étant cadré, ça m'a beaucoup rassurée d'avoir ce lieu de sécurité et de liberté."
Ça me permet de me sentir moins seule face à ce que je traverse, de pouvoir partager sans ête jugée ou critiquée, être écoutée, crue.
GabrielleParticipante à l'exposition "Traces d'elles"
Elle décrit ses créations comme "souvent crues et sombres, à l'image des émotions que je ressens et que j'ai tant de mal à exprimer".
Gabrielle est sur la fin de son accompagnement. Citad'elles et l'art-thérapie auront été un véritable "tremplin". "Ça m'a permis de sortir la tête de l'eau. Je suis vraiment reconnaissante du travail qui est fait par toutes les professionnelles et intervenantes".
Retrouver la confiance en soi
Toutes les participantes à ces ateliers d'art-thérapie proviennent d'horizons, de milieux, de générations différentes : la violence est si insidieuse qu'elle peut frapper tout le monde.
Clémence a 29 ans, elle est célibataire et suit un parcours à Citad'elles depuis deux ans. Pendant deux ans, la jeune femme a subi les violences de son ex-compagnon qui l'a également harcelée.
"Ç'est à Citad'elles que j'ai pris conscience de plein de choses, de mes schémas familiaux notamment. Et que j'ai pu retracer aussi mon histoire, qui est finalement empreinte de violences depuis pas mal de temps", souligne-t-elle.
Clémence poursuit : "En art-thérapie, j'ai découvert que j'étais capable de m'exprimer à travers de l'art. Et en fait, je ne saurais pas comment décrire réellement ce que j'ai produit, si ce n'est que des choses sont venues assez naturellement."
La jeune femme a réalisé deux œuvres : '"J'ai rédigé un texte qui s'appelle 'Qui suis-je ?'. Il parle de la perte d'identité. L'autre s'appelle 'Mes petits pas'. Je sors de l'enfer pour aller vers quelque chose de plus lumineux."
J'ai mis des pas avec des cailloux et des plumes. Parce que parfois, mes pas sont plus lourds et parfois, ils sont un peu plus légers
ClémenceParticipante à l'exposition "Traces d'elles"
Pour Clémence, le principal effort a été de pouvoir s'autoriser à nouveau à prendre seule des initiatives : "On a été habituées à être dirigées, à ne pas prendre d'initiatives par nous-mêmes. Et en fait, on remarque que dans le groupe, on pose des questions pour tout. On a besoin de validation pour à peu près tout. Donc c'est plein de petites choses. Moi, ça m'a fait du bien de comprendre mon comportement. Et de voir ça, dans un effet miroir."
Puis la solidarité a pris le dessus sur les appréhensions initiales :"Ce qui me fait toujours beaucoup de bien, c'est d'avoir eu un contact avec des femmes qui sont dans les mêmes schémas de pensée. Et ça fait écho quand on rencontre des femmes qui ont vécu les mêmes choses, avec chacune des histoires complètement différentes, mais du coup on se retrouve. Et ça, c'est très fort."
Se reconstruire
À Citad'elles, chaque femme est suivie par une coordinatrice. C'est donc le cas aussi pour P. qui a préféré garder l'anonymat. Cette personne l'accompagne tout le long de son suivi. P. s'est vu proposer l'atelier "Estampes" pour travailler sur ses émotions. Elle est suivie à Citad'elles depuis plus d'un an.
Elle a vécu l'inceste, le viol, les violences conjugales.
"Cet atelier m’aide énormément dans mon parcours, à la fois de reconnaissance de mes émotions, et de reconstruction", précise-t-elle.
Quand je regarde mes œuvres, je vois l’évolution, mon évolution, positive même si le chemin est long et douloureux, car j’ai aussi compris que l’on ne se remet pas des violences facilement ni rapidement.
P.Participante à l'exposition "Traces d'elles"
"Le mot qui me vient par rapport aux ateliers estampes, c’est l’apaisement. Pourtant mes œuvres ne sont pas apaisées du tout. Mais les faire et mettre sur le papier ces émotions qui me transpercent, cela me soulage, cela les expulse de moi. Et cela m’aide", confie P.
Elle raconte : "Quand je suis arrivée dans cet atelier, j’ai fait énormément de déflagrations. Des objets qui explosent, qui s’explosent. Des émotions qui me font très mal et qui se déchirent en moi. Ces déflagrations, elles me constituent, et dans cet atelier, j’essaye de les apprivoiser, de les adoucir pour qu’elles me fassent moins mal. Maintenant, je les comprends mieux. Elles font toujours mal, mais dorénavant je dessine parfois des choses plus douces, plus colorées, plus apaisées."
Un dessin reflète parfois plus nos émotions que les mots
P.Participante à l'exposition "Traces d'elles"
P. conclut: "J’aimerais dire aux femmes, quel que soit leur âge : vous êtes légitimes aussi si vous avez vécu des violences, et même si vous vous dîtes 'ce n’est peut-être pas si grave', parlez-en et appelez Citad’elles, que ce soit pour des violences récentes ou passées ou dans l’enfance, vous êtes légitime !!"
Ecarter le danger
Parmi les oeuvres exposées, il y aussi celles d'Anj, dont la vie et celle de ses enfants a été transformée en cauchemar, par un homme. Son" bourreau" et celui de ses enfants. Un homme qui, malgré les procédures en cours, continue de vouloir les hanter.
De l'art-thérapie, Anj retient également la sororité, cette solidarité féminine qui les fait grandir et avancer ensemble. Toutefois, elle aimerait aussi que les hommes qui se sentent concernés par la cause de la lutte contre les violences faites aux femmes se manifestent plus.
Les femmes sont actives, la sororité existe, mais les hommes sont nombreux et on les entend peu.
AnjParticipante à l'exposition "Traces d'elles"
Anj nous a fait parvenir un écrit, qui aurait pu faire partie des textes et productions exposées au centre commercial. Il s'agit d'un cri d'alerte "afin qu'il y ait un réel impact et que les enfants soient réellement protégés, car c'est un crime contre l'humanité que d'abîmer des enfants", ajoute Anj.
"En danger, nous vivons cachés. Noyés dans une procédure où les expertises et auditions filmées se multiplient. Mes enfants grandissent et questionnent. L’avocate ne répond pas. Excédés, épuisés, effrayés, je pousse la porte de Citad’elles. Après 6 années d’errance.
J’y trouve les réponses juridiques, le soutien psychologique, la sécurité et enfin un temps pour moi qui m’est proposé par ma coordinatrice. Un temps de partage bienveillant, artistique, cathartique où j’entame mon parcours de résilience et y dépose mes empreintes.
AnjParticipante à l'exposition "Traces d'elles"
Elle poursuit ainsi : "Huit ans de procédure, le jugement retire le droit parental de l’agresseur. Il est libre et rôde près de mon domicile. La justice n’a pas sanctionné le diacre géniteur. Grâce au suivi de Citad’elles je bénéficie du Téléphone Grave Danger mais pour combien de temps encore serons nous protégés ?"
Écarter le danger, se reconstruire, libres. À travers cette exposition ces femmes vous ouvrent leur coeur. Elles parlent. Nous frissonons. À l'unisson.
L'exposition "Traces d'elles" est à découvrir du 4 au 12 novembre de 10h à 19h, au centre commercial Beaulieu à Nantes.
L'entrée est libre et gratuite, en face de l’entrée de l’hypermarché Carrefour. (Accès via le busway 4 arrêt Beaulieu ou île de Nantes, ou via le chronobus ligne C5 arrêt île de Nantes.)
Le 25 novembre sera la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Nantes Métropole organise, dans ce cadre, plusieurs autres événements. Voir le programme complet ICI
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