Ce mercredi 5 juillet est un jour de manifestation pour les kinésithérapeutes exerçant dans plusieurs départements de l'ouest. Ils se sont rassemblés devant la CPAM, Caisse primaire d'assurance maladie de Nantes afin de militer pour une augmentation de la rémunération de leurs soins. Les praticiens dénoncent les horaires à rallonge qu'ils assurent pour maintenir un niveau de vie décent face à l'inflation.
"Combien coûte une séance de kiné selon vous monsieur ?". "Autour de 45 € ?", répond le passant interrogé par une kinésithérapeute en manifestation. Faux. La rémunération de leurs séances n'a pas évolué depuis 2012 et plafonne à 16,13 € dans un contexte de forte inflation et d'augmentation des charges dans les cabinets.
Les kinésithérapeutes sont à bout de souffle, et d'heures à ajouter à leur semaine pour boucler le mois. "On a l'impression de s'investir énormément, d'être engagés et d'avoir à cœur d'aider les gens, mais d'être méprisés", regrette Elsa Mazet, venue de Rennes pour participer à la manifestation de la profession organisée ce mercredi matin devant la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Nantes par le collectif "Négociations Kinés : Tous concernés".
Elsa doit verser 25% des 16,13 € qui rémunèrent sa séance aux propriétaires du cabinet dans lequel elle exerce en tant que collaboratrice. La situation n'est pas beaucoup mieux pour les kinés qui ont investi, souvent à plusieurs, dans un cabinet.
Kinésithérapeute près d'Ancenis, Clémentine Cotton est l'une des organisatrices de la manifestation. "Aujourd'hui, je n'aurais pas pu ouvrir de cabinet, je n'aurais pas pu investir comme je l'ai fait en 2018", affirme-t-elle. Avec les "charges balaises" qu'il faut supporter, ses semaines de 45 heures ne lui rapportent qu'environ 2 100 € par mois.
20 euros la séance
Les praticiens estiment qu'il faudrait passer de 16,13 € à 20 € la séance pour améliorer leurs conditions de travail et de vie. Mais les propositions de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) tournent plutôt autour de 40 centimes d'augmentation du prix d'une séance pour 2024, et d'un peu moins de 2 € étalés entre 2025 et 2027.
Il faut que je fasse 54 heures pour gagner le même salaire que je gagnais en 40 heures il y a 10 ans.
Clémentine CottonKinésithérapeute à Ancenis et organisatrice de la manifestation
Une revalorisation risible pour les kinés, qui soulignent le coût des équipements qu'ils doivent acheter pour assurer leurs soins. "On nous demande d'avoir des plateaux techniques qui coûtent très cher. Il faut aussi réparer les tables. On est six kinés, donc il y a six tables", détaille Régis Blanchard, associé dans un cabinet nantais et kinésithérapeute depuis 23 ans.
"J'ai connu la tarification de la séance en franc. Quand on a changé pour l'euro, elle est passée au centime près", déclare-t-il. Pour se dégager un salaire plus important, ses associés et lui ont décidé de mettre en place des cours de pilate et de yoga, plus rémunérateurs.
Reconversion et sélection de patients
Parmi la soixantaine de masseurs kinésithérapeutes présents à la manifestation, beaucoup témoignent de cette nécessité de diversifier son activité. Parfois au détriment de la patientèle.
"Ma copine est aussi kiné. Elle est spécialisée dans les soins de périnatalité. Elle pensait peut-être proposer un accompagnement pour les femmes enceintes, mais ça signifie moins de temps pour d'autres patients", explique Maxime Prevel, kinésithérapeute à Vertou. Collaborateur dans un cabinet, il touche entre 1 800 et 2 000 € par mois, pour des semaines de 45 heures, en comptant "le travail de comptable, de secrétaire, et l'envoi des bilans aux médecins, qui ne sont pas valorisés".
On a beaucoup de demandes, mais on a du mal à toutes les assurer.
Régis BlanchardKinésithérapeute à Nantes
Une autre solution est d'augmenter le nombre de patients reçus. Les praticiens soignent déjà 70 personnes en moyenne par semaine, à raison d'un patient par demi-heure. "Il faudrait qu'on ait 3 patients dans l'heure, ça dégrade la qualité de soin", déplore Régis Blanchard.
Troisième option : privilégier des soins plus coûteux, voire non couverts par l'assurance maladie. C'est le cas des séances de "neuro", pour les patients atteints de maladies neurologiques. L'idée de faire un choix entre les pathologies et de pratiquer le dépassement d'honoraires n'est toutefois pas plébiscitée.
Des études et une formation continue peu valorisées
Le métier est avant tout tourné vers le soin, comme le prouvent les formations que les praticiens suivent au long de leur vie professionnelle. Ces montées en compétences ne leur paraissent pas rétribuées à leur juste valeur. "On n'a pas de valorisation de l'ancienneté", remarque Maxime Prevel. Diplômé en 2019, le jeune kiné rappelle aussi que les études durent 5 ans et sont souvent chères. "J'ai payé 5 600 euros pendant 3 ans", dévoile-t-il.
"Si on compare avec un ingénieur, qui a la même durée d'études, on commence tous les deux à 2 000 €, mais son salaire évoluera beaucoup plus que le mien au cours de sa carrière", analyse Maxime.
Elsa Mazet considère aussi avoir fait "des études dures, et difficiles d'accès" pendant 3 ans, pour 21 000 € au total. Elle reconnaît avoir eu la chance que ses parents puisse assurer ses frais de scolarité, ce qui n'est pas le cas de tous : "J'ai des amis qui doivent rembourser des prêts étudiants, ça ajoute un poids financier".
"Sentiment de travail à la chaîne", "manque de reconnaissance", "fatigue",...Les mots attrapés au vol en circulant parmi les manifestants traduisent l'impasse dans laquelle ils se trouvent. La profession est majoritairement libérale et se mobilise peu, pourtant, un autre rassemblement s'est déjà déroulé le mardi 20 juin devant la CPAM du Maine-et-Loire. Les résultats de la négociation entre les syndicats de la profession et la Caisse nationale d'assurance maladie devraient être connus à partir du lundi 10 juillet.