Mystérieux, tabous et ignorés, les clubs de strip-tease existent partout en France. Derrière les murs de ses établissements "peu fréquentables", il y a des femmes. Deux danseuses nous racontent leurs métiers. Comment elles pensent leur profession, entre les stéréotypes, le rapport aux clients, la sororité et la passion pour la danse et l'érotisme.
Ambiance feutrée, lumières sombres, une scène au milieu de la pièce, des fauteuils de velours confortables. Le long d'une barre en métal, une femme danse, de moins en moins vêtue. À ses pieds, des hommes en costume tout droit sortis de Mad Men, un whisky à la main. Au bar, quelques mafiosos dignes de Scorsese, cigare au bec.
C'est l'imaginaire du club de strip-tease par excellence, basé souvent intégralement sur des représentations culturelles, films, séries et chansons. On les pense glauques ou burlesques, chic ou bon marché, lieux de déviance et pourquoi pas même de prostitution.
Pourtant, qu'en sait-on réellement ? Qui ose pousser les portes de ces lieux confidentiels et prendre la parole ? Dissimulée par les tabous propres au milieu de la nuit et de l'érotisme, la parole des danseuses est étouffée derrière des couches de méconnaissance. C'est l'heure de lever le voile et d'entendre ce que ce métier représente pour celles qui le pratiquent.
Dea Libentia et Astrid préfèrent garder leur nom de scène. Elles ont accepté de nous raconter leur profession, mais il est important de garder en tête que chaque danseuse possède son propre parcours et ses propres problématiques. Il n'est en aucun cas question ici de réduire l'expérience de chaque stripteaseuse à ces deux témoignages. Les milieux de l'érotisme et du sexe sont pluriels et recouvrent une multitude de réalités.
La naissance d'une passion
Il y a deux ans, Dea Libentia a commencé la pole dance. Une discipline sportive et artistique, qui mélange danse et acrobaties sur une barre verticale.
Très curieuse, ouverte d'esprit et passionnée par la danse, elle a commencé à travailler il y a quatre mois dans un club de strip-tease à Nantes.
La jeune femme de 23 ans vient d'une petite ville de la région, en campagne. "Là-bas, les mentalités sont moins tolérantes", souffle-t-elle. Pendant son BTS Agricole-aquaculture, elle part en Erasmus en Espagne pour étudier l'océanographie. Elle y découvre un autre rapport au corps, apprend à s'aimer aussi, "en Espagne le corps est plus banalisé, si tu as chaud, tu te couvres moins, c'est logique. On ne te regarde pas de travers pour ça. J'ai appris à aimer mon corps comme il est, à l'assumer", raconte Dea Libentia.
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Quand elle a commencé la pole, c'est d'abord par curiosité. Puis, au fil des mois, elle en tombe amoureuse. "C'est un sport très artistique, j'ai voulu en faire de plus en plus", détaille-t-elle. Toujours plus passionnée, elle prend du plaisir à danser et à créer des chorégraphies.
Un jour, elle réalise une performance pour ses amis. Impressionnés par son talent, ses proches lui demandent si elle n'aimerait pas se produire dans des clubs et devenir stripteaseuse. "Finalement, c'était un peu une suite logique", juge-t-elle avec du recul.
"Je me suis d'abord renseigné sur les clubs à Nantes. Des amis m'ont accompagné à une soirée. J'ai tout de suite accroché avec l'ambiance et la mentalité du club" explique la jeune danseuse."Les différents styles de danse, l'expression de sa personnalité, ils encouragent la diversité. On est valorisé pour ce qu'on est", souligne-t-elle. C'est ce qui va séduire Dea Libentia et la pousser à postuler.
Après un casting qui se déroule sans problème, la voilà stripteaseuse. Pour l'instant, Dea Libentia ne se produit que dans ce club, où elle se sent bien.
C'est chic et artistique. Ce n'est pas glauque du tout comme on peut se l'imaginer
Dea LibentiaStripteaseuse
Beaucoup de clients demandent à Dea Libentia pourquoi elle fait ce métier. C'est d'ailleurs une des premières questions qu'on pose aux stripteaseuses. "Pour moi, comme pour beaucoup d'autres, c'est l'amour de la danse. Le club, c'est un lieu artistique et festif, on peut danser tous les soirs devant des clients qui apprécient nos performances", décrit-elle.
Sécurité et législation
On dit souvent, pour n'importe quel commerce, "le client est roi". Dans un club de strip-tease, la règle ne s'applique pas. Pour un établissement qui propose ce genre de service, la légalité et la réputation sont essentielles. Un club ne peut pas laisser certaines pratiques advenir entre ses murs. "C'est un point extrêmement important, insiste Dea Libentia, quelle que soit la prestation, les limites sont celles de la danseuse". Plus largement, elles sont aussi celles de la loi.
Il n'y a aucune pratique sexuelle
Dea LibentiaStripteaseuse
"On a un très bon système de sécurité", assure la jeune femme. Elle ajoute, "c'est important que ça reste de la danse. Si une fille accepte certaines pratiques qui vont au-delà, elle met toutes les autres en danger. Les clubs sont très stricts là-dessus".
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En tant qu'autoentrepreneuses, les danseuses peuvent choisir où est-ce qu'elles se produisent et jusqu'où leurs performances peuvent aller, toujours dans la limite de la légalité.
Les clubs n'ont pas tous les mêmes politiques et vont parfois pousser les stripteaseuses à avoir plus de contact avec les clients pendant les shows privés.
Les filles décident aussi des lieux où elles travaillent au regard de ce type d'information. Un club qui fait fuir de bonnes danseuses risque de perdre sa clientèle.
Les subtilités de l'érotisme
Si Dea Libentia insiste sur le fait qu'elle est une danseuse, Astrid assume être une travailleuse du sexe.
"Quand je dis travailleuse du sexe, explique-t-elle, c'est parce que c'est un travail de l'érotisme. Il n'y a pas de "rapport sexuel", mais on vend du fantasme, on vend de la frustration comme d'autres professions de l'érotisme : show de domination, show fétiche ou escorte. Les frontières peuvent être floues d'ailleurs, parce que ça dépend aussi de la définition qu'on a d'un acte sexuel. Est-ce qu'une danse lascive ou des caresses, ce n'est pas déjà un peu du sexe ?".
Le monde de l'érotisme est très vaste et très complexe
AstridStripteaseuse
"La plupart de gens pensent que le strip est défavorable à la femme, que c'est dégradant. C'est surtout parce qu'on ne considère pas que les danseuses peuvent aimer ça. On pense toujours que c'est un métier subit" dénonce la jeune femme de 23 ans.
Elle rappelle aussi, "il y a des filles qui font ce métier pour des raisons économiques ou qui doivent être dans des situations compliquées. Mais la plupart des personnes dans ce milieu aiment ce qu'elles font et le font par choix".
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Astrid est stripteaseuse depuis quatre ans. Née à Paris, elle travaille pendant longtemps dans la restauration où elle devient barmaid. Un milieu compliqué avec des conditions de travail pas toujours idéal. Un jour, alors qu'elle vit à Toulouse, elle postule pour un poste dans un club. On lui dit qu'ils ne cherchent pas de barmaid, mais que, en revanche, ils recrutent des danseuses.
"Au début, je ne me sentais pas du tout capable, avoue-t-elle, le sourire aux lèvres, je ne pensais pas pouvoir danser assez bien. Mais l'idée m'intéressait. Finalement, j'ai appris sur le tas".
Dans un premier temps, Astrid ne pense pas pouvoir plaire, mais rapidement, la jeune femme prend confiance et se rend compte que tous les corps sont beaux. Elle performe dans différentes villes, Toulouse, Paris, Aix, Lyon, et même en Guadeloupe.
Depuis trois mois, elle danse à Nantes, dans le même club que Dea Libentia.
Indépendance et pouvoir
"Déjà petite, je m'identifiais plus aux représentations féminines, fortes et indépendantes. Les personnages de prostitués ou de stripteaseuses incarnaient souvent ce truc badass", évoque Astrid. Elle ajoute "J'ai toujours été attiré par le burlesque et l'érotisme. Mais ce n'est pas un métier qui est fait pour tout le monde".
Avec ce qu'elle appelle son "sale caractère", elle a réussi à s'épanouir dans ce métier. "Il faut se mettre dedans et aussi arriver à se détacher parfois. Ce sont des choses que j'ai apprises avec le temps, mais ce n'est vraiment pas pour tout le monde", répète la jeune femme.
Elle ajoute, "avec mon tempérament, je ne suis pas du genre à rester dans un endroit si ça ne me convient pas. Personne ne me dit quoi faire. Si ça ne me plaît pas, je me casse".
Parce que tout n'est pas tout rose dans les clubs, comme dans beaucoup d'autres entreprises, des employeurs peuvent aussi avoir des réflexions déplacées, voire discriminantes. "
Dans certains clubs, il peut y avoir des retards de paiement, des organisations bancales ou un mauvais management, résume Astrid, il y a des endroits qui ne sont pas ergonomiques aussi. On fait un métier où on est en talons pendant six heures d'affilée. On fait des performances qui sont très sportives et qui peuvent être dangereuses pour nos corps".
Pour assurer la sécurité physique des danseuses, les clubs doivent s'équiper correctement et entretenir les structures sur lesquelles dansent les stripteaseuses.
Bien choisir son club
Pour éviter les mauvaises surprises, Astrid se renseigne toujours avant d'aller danser dans un club. "Je demande au moins à dix danseuses qui ont déjà travaillé dans le club s’il est correct. Je suis plutôt méfiante, je fais très attention au bouche à oreille. Mais c'est important de bien se renseigner", assure-t-elle.
Même si les clubs ont tout intérêt à respecter la loi, les stripteaseuses peuvent vite se retrouver dans des situations traumatisantes. "C'est pour ça aussi que je dis qu'il faut avoir un sale caractère, souligne-t-elle en riant, on apprend vite à se faire respecter, on est obligées".
Sur Instagram ou Facebook, des groupes de discussions se sont organisés pour échanger des conseils entre professionnelles, recommander des clubs ou au contraire mettre en garde contre certains établissements.
"Moi, je fais très attention aussi à ne pas aller dans des endroits qui peuvent avoir des politiques de discrimination. Si un club est grossophobe ou raciste, je n'y vais pas", déclare Astrid, très sûre d'elle.
Le rapport aux clients
Si pour Astrid se renseigner sur un club avant d'y travailler est important, c'est aussi parce que travailler dans de bonnes conditions est primordial pour elle.
"Déjà que ce n'est pas un métier facile, si en plus on doit se retrouver face à des responsables qui nous traitent mal, ce n’est pas possible", considère-t-elle. Elle ajoute, "c'est un milieu qui peut parfois être compliqué à vivre quand même. La plupart des danseuses sont là avec leur plein consentement, mais on est aussi confronté à des choses brutales parfois. Il peut y avoir des phrases très crues qui peuvent être violentes, en tant que femme, mais aussi simplement en tant qu'individu".
Les clients viennent extérioriser leur désir et leur frustration
AstridStripteaseuse
Il faut se représenter que les clients peuvent être aussi très alcoolisés, "parfois, on n’a pas envie d'être là, avec un type qu'on ne connaît pas qui est bourré", reconnaît Astrid.
Comme beaucoup de femmes, les stripteaseuses ne sont pas épargnées par les agressions et les violences sexuelles. Certaines, comme partout, ont déjà vécu des traumas. Des rencontres ou des comportements peuvent leur rappeler des moments douloureux de leur vie.
Et puis il y a les agressions qui peuvent arriver au sein des clubs. "C'est quand même propice, admet Astrid, lors des shows privés, on est presque nue, très proches des clients".
Paradoxalement, la jeune femme garantit que "dans les clubs le client n'est pas roi, au contraire, il est face à des reines. S'il y a en a beaucoup qui ont le syndrome Pretty Woman, qui pensent pouvoir "nous sauver", en réalité, c'est surtout nous qui avons le contrôle et c'est souvent ce qu'ils cherchent. Les hommes qui viennent dans les clubs, ont envie de se faire draguer. Parfois, ce sont aussi des personnes qui ne peuvent pas avoir de relation parce qu'ils ont un handicap physique ou mental, ou parce qu'ils ne savent pas faire avec les femmes".
Évidemment, les clients aussi ont des clichés sur les danseuses et s'étonnent souvent de pouvoir avoir une "vraie" conversation avec elles. "Il y en beaucoup aussi qui pensent être amoureux, alors qu'on leur vend juste du fantasme. Il y a une forme de manipulation dans ce métier, mais c'est aussi ce qui me plaît. C'est aussi une revanche sur les hommes, c'est nous qui avons le pouvoir", assume Astrid avec un sourire en coin.
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