"On ne sait pas comment, mais on vous protégera" : malgré la montée du RN, ce restaurant d'apprentissage pour réfugiés veut rester positif

Dans une campagne des législatives marquée par les propos racistes et les propositions xénophobes, ce restaurant associatif nantais offre une respiration salutaire en formant des personnes réfugiées aux métiers de bouche. Un projet d'ouverture qui constitue une véritable richesse, défendent ses deux cofondatrices.

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Une salle lumineuse dans laquelle les clients se mélangent sur de grandes tables en bois pour voyager dans les assiettes. Ce midi, le restaurant propose la mudjarra, un plat syrien à base de lentilles, boulghour, surmonté d'un oignon rôti agrémenté d'un condiment de concombres et tomates avec une sauce au yaourt. Il est présenté par Raya Alfaroo, réfugiée irakienne, qui rêve d'ouvrir un jour son propre restaurant.

Les cuisinières en formation proposent régulièrement des plats de leur pays d'origine. Ici, Raya pose avec un effiloché d'agneau confit, une spécialité irakienne. © Fair-e

Comme chaque semaine, Alice Thierry et Emmanuelle Poirier, les fondatrices du lieu, ont demandé à leurs cuisinières en formation de proposer au moins une spécialité dans le menu qui change tous les lundi. Depuis un an et demi, dans le quartier de l'île de Nantes, le restaurant associatif Fair-e forme des réfugiés aux métiers de la cuisine. 

Un restaurant d'apprentissage pour personnes réfugiées

"J'étais bénévole au Refugee Food Festival, qui permet à des réfugiés de cuisiner à quatre mains avec des chefs de restaurants gastronomiques", raconte Alice Thierry, qui a quitté son métier de journaliste pour lancer ce projet avec Emmanuelle Poirier, cuisinière et désormais formatrice. 

Après un an d'incubation au sein de l'association Singa à Nantes, le restaurant ouvre en avril 2023. Depuis, cinq cuisinières en formation, toutes réfugiées politiques, se sont succédées aux fourneaux. Le lieu a aussi vu passer une trentaine de stagiaires, également réfugiés pour la plupart. Pour plusieurs d'entre-eux, cette expérience a servi de déclic. Ainsi, Maryam a pu ouvrir d'abord un premier stand de cuisine afghane dans le foodhall Magmaa, et elle s'apprête à inaugurer bientôt un restaurant sur l'île de Nantes, où travailleront aussi plusieurs membres de sa famille.

On leur apprend des techniques de cuisine française, mais elles nous apportent aussi énormément.

Emmanuelle Poirier, cofondatrice de Fair-e

"On leur apprend des techniques de cuisine française, mais elles nous apportent aussi énormément. Leur énergie, mais aussi les recettes et les techniques de leurs pays d'origine, par exemple. C'est un échange", complète Emmanuelle Poirier.

Chez Fair-e, la plupart des stagiaires et toutes les cuisinières en formation ont le statut de réfugiés. © Fair-e

Dans leur quartier, situé sur la seule circonscription où un député sortant LFI a été réélu au premier tour, les deux co-fondatrices ont été accueillies chaleureusement par le voisinage. "On a la chance d'être à Nantes, avec une culture associative très forte. Les gens viennent et reviennent, et les clients remercient à chaque fois les cuisinières et les stagiaires", témoigne Alice Thierry qui depuis la salle où elle assure le service tous les midi, se trouve aux premières loges pour observer l'alchimie.

Le choc de la campagne des législatives

Alors, depuis le 9 juin, le résultat des élections européennes, la dissolution et la campagne des législatives marquée par le racisme et les propositions xénophobes du Rassemblement National, leur horizon s'est assombri.

"On est toutes les deux de nature plutôt positive, alors un gouvernement d'extrême-droite, on n'y croit pas trop", soupire Emmanuelle Poirier. Sa co-fondatrice complète : "Ce sont des députés que nous allons élire et pas un président. Ils n'auront pas non plus tous les pouvoirs, mais c'est assez désolant."

A l'issue du service, les deux femmes essaient de résumer la situation aux deux cuisinières en formation.

Si elle n'a pas encore compris toutes les subtilités des élections législatives et de la répartition des pouvoirs entre le président et les députés, Roya Alfaroo a bien saisi le risque que représente l'extrême-droite : "On a quitté notre pays à cause des guerres, mes enfants sont à l'école, je suis en formation, je travaille. Repartir à zéro? Jamais, jamais", souffle-t-elle sur un ton résolu et dans un français parfait, avant de résumer la situation politique en arabe à sa coéquipière, Mona, arrivée du Soudan en 2021.

"On va vous protéger. On ne sait pas comment, mais on vous protègera", garantit Alice Thierry. Les deux cofondatrices partagent bien plus qu'un restaurant avec leurs stagiaires et cuisinières en formation : "De temps en temps, elles partagent avec nous leurs récits de vie, qu'on reçoit de plein fouet. C'est dans ces moments là que l'on se félicite d'avoir monté ce lieu qui permet d'agir concrètement", résume Emmanuelle Poirier.

La diversité représente une richesse

Ouvert depuis 14 mois, le restaurant associatif semble en bonne voie pour trouver son équilibre financier. Cependant, les cuisinières en formation travaillent toutes avec des contrats d'insertion après une mise en relation par France Travail ou la mission locale. Si l'extrême-droite arrivait au pouvoir, le restaurant n'aurait peut-être plus la possibilité d'employer des étrangers via ces contrats aidés et il serait compliqué de conserver le même modèle économique avec des employés payés à 100% sur le chiffre d'affaires.

"Pourtant, constate Emmanuelle, c'est aussi le métissage qui façonne un pays. Sinon, on ne mangerait que du boeuf bourguignon et on s'ennuierait sacrément". Sa collègue complète et rappelle la tension qui existe pour tous les métiers de bouche : "Les petites mains, ceux qui coupent les légumes ou bien qui font la plonge derrière les chefs gastronomiques qu'on voit dans les médias sont souvent étrangers."

Au quotidien, les deux associées montrent en tout cas à quel point la diversité représente une richesse, que ce soit dans l'assiette ou bien dans les rapports humains.

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