C'était le 3 juillet 2018 à Nantes. Dans le quartier du Breil, un jeune homme de 22 ans, Aboubacar Fofana, était tué d'une balle dans le cou par un CRS lors d'un contrôle auquel il avait tenté de se soustraire. Le policier a été entendu par le juge d'instruction... près de deux ans après les faits.
Le drame avait embrasé plusieurs quartiers de Nantes. Dans la soirée du 3 juillet 2018, lors d'un contrôle effectué par une équipe de CRS dans le quartier du Breil à Nantes, le jeune Aboubacar Fofana qui, avait-on dit à l'époque, était sous le coup d'un mandat d'arrêt dans une affaire de vol, tente une marche arrière. Un coup de feu éclate, le jeune homme est gravement atteint d'une balle dans le cou. Il décédera quelques instants plus tard.
Suivront plusieurs nuits d'émeutes dans des quartiers comme Le Breil où avaient eu lieu les faits mais aussi Malakoff.Depuis, l'affaire semble enlisée.
Lors de sa garde à vue, le CRS auteur du tir mortel, avait expliqué une première fois qu'il avait tiré en état de légitime défense. On avait cité d'ailleurs devant les médias la version d'un autre CRS qui avait soi-disant été heurté par le véhicule d'Aboubacar Fofana alors qu'il tentait de fuir le contrôle. Aux urgences de Nantes, aucune trace d'une telle admission pour une telle blessure.
Et puis, le policier a changé de version. Plus question de légitime défense mais d'un tir accidentel. Entendu après sa garde à vue par le juge d'instruction, le CRS a usé de son droit de garder le silence.
Et puis... plus rien. Le CRS a été affecté ailleurs, à un autre poste, à des tâches administratives.
Deux ans plus tard. Ce mardi 23 juin 2020, il est revenu à Nantes, convoqué par le juge Laurent, en charge de ce dossier. Pendant plus de quatre heures, le déroulé de cette nuit du 3 juillet 2018 a été évoqué, en présence de son avocat bien sûr mais aussi de Pierre Sennès, procureur de Nantes et de Maître Boëzec, avocat de la partie civile qui avait demandé à assister à l'entretien.
Le détail de ces quatre heures de questions/réponses est couvert par le secret de l'instruction. Tout ce que l'on sait, c'est que le policier maintient sa version du tir accidentel.
"Pour nous, c'est un homicide, pas des violences ayant entraîné la mort !" L'enquête avait en effet été ouverte sur le motif de "violences volontaires par personne dépositaire de l'ordre public ayant entraîné la mort sans intention de la donner" ce qui n'est pas le même degré de gravité qu'un homicide pour lequel le policier serait passible de la Cour d'Assises.
"On est sur des dépositions diamétralement opposées" insiste Franck Boëzec.
On sait également que plusieurs témoins ont été entendus et aussi les collègues de ce policier. Mais la longueur de cette procédure est-elle compatible avec l'émergence de la vérité ? Non, estime l'avocat de la partie civile qui dit ronger son frein en attendant l'audition suivante.
Mais le frère de la victime, comme tous dans ce quartier, ne comprend pas ces lenteurs.
"Après deux ans, il (le policier) ne comprend toujours pas pourquoi il a dégainé son arme et enlevé la vie de mon petit frère. Ce serait pourtant le bon moment pour se repentir, dire la vérité et soulager une famille qui a perdu quelqu’un qui apportait de bonnes choses autour de lui."
Un jeune qui habite le quartier témoigne qu'il y a un grand sentiment d’injustice : "une incompréhension totale, que ce soit pour la famille ou pour les habitants dit-il. On comprend pas d’une part l’extrême lenteur et le fait que le policier soit toujours en fonction, c’est très surprenant."
Un pique-nique à la mémoire d'Aboubacar
Ce dimanche 5 juin, un pique-nique sera organisé à la mémoire d'Aboubacar Fofana dans le quartier du Breil, dans le calme, comme l'a toujours voulu la famille."C’est important de ne pas oublier, dit un jeune du quartier. Qu’on se rappelle qu’un jeune de 22 ans a été abattu comme ça . C’est inacceptable. C’est important de commémorer."