Alors que s’ouvre le procès Troadec au Palais de justice de Nantes, ce 22 juin 2021, un autre procès a lieu : celui de la Justice. Des dizaines de greffiers, magistrats et avocats se sont allongés ce matin dans la salle des pas perdus pour incarner la « mort lente » de la justice à Nantes.
À quelques pas de la salle d'audience où s'ouvre le procès Troadec, ce mardi 22 juin, manifestaient des agents de greffe, avocats et magistrats du Palais de Justice de Nantes. Ils dénoncaient l'état de dysfonctionnement systémique du tribunal judiciaire de Nantes.
Derrière une "justice spectacle", un quotidien difficile au tribunal judiciaire de Nantes
Ils étaient une cinquantaine, réunis à 8h45 ce matin, sur le parvis du Palais de Justice, juste avant l’ouverture du procès de Hubert Caouissin et de Lydie Troadec, mis en cause dans le quadruple meurtre qui eu lieu à Orvault en février 2017.
Un procès hors normes et très médiatique pour lequel plus de 70 journalistes ont été accrédités et qui devrait voir affluer un public important dans une structure provisoire, spécialement montée pour l'occasion dans la salle des pas perdus du Palais de Justice.
Un procès “spectacle”, “une très belle vitrine pour montrer que la justice fonctionne, considère Aurélien Pares, greffier au tribunal judiciaire de Nantes, mais pourquoi ne montrer que le côté théatral ? Au quotidien, la justice à Nantes, ce n’est pas ça. C’est beaucoup de souffrance et trop peu de moyens”.
Pour se faire entendre et illustrer “la mort lente et silencieuse de la justice à Nantes”, Aurélien Pares a invité tout le monde à s’allonger dans la salle des pas perdus, le grand hall d'entrée du Palais de Justice.
Alors que s’ouvre le procès Troadec au Palais de justice de Nantes, ce 22 juin, un autre procès a lieu : celui de la Justice. Des greffiers, magistrats et avocats se sont allongés ce matin dans la salle des pas perdus pour incarner la « mort lente » de la justice à Nantes. pic.twitter.com/6Xwgdc1m6A
— Alix Guiho (@Alix_Guiho) June 22, 2021
Sous-effectif chronique
“On n’en peut plus de travailler pour nos collègues absents”, pouvait-on entendre parmi les participants."Il y a trop de trous à combler, de greffiers pas ou mal remplacés par des vacataires qui n’ont pas les mêmes prérogatives". “Il y a beaucoup de demandes de détachement dans ce tribunal… faudrait se poser des questions”, jugeait une autre personne qui préfère rester anonyme.
Le rassemblement visait à dénoncer "l’épuisement psychique et physique de l’ensemble du personnel du tribunal dans un contexte de sous-effectif chronique”, indiquait le tract distribué dans la foule, signé par l’ensemble des syndicats.
Épuisement général
“Tout le monde est à bout, témoigne Aurélie Rolland, présidente nantaise du Syndicat des avocats de France (SAF). Quelques arrêts maladie ont récemment fait vaciller le tribunal. Ça suffit pour que tout soit à l’arrêt. Ça montre un problème chronique”. Les effectifs seraient en effet sous-évalués, au regard de l’augmentation de la population nantaise au cours des 20 dernières années et des contentieux croissants.
Derrière ces problèmes internes, des conséquences externes sur les justiciables. “Nous sommes là en soutien à nos collègues greffiers et magistrats, qui enchaînent les heures supplémentaires pour faire tourner ce tribunal, mais aussi pour dénoncer les conséquences sur nos clients”, constate Yann Chaumette, avocat au barreau de Nantes et membre du SAF.
233 dossiers d’instruction en attente de jugement depuis des années
Parmi les dysfonctionnements majeurs du tribunal judiciaire de Nantes : 233 dossiers d’instruction complexe (agressions sexuelles, violences, vols multiples) en attente de jugement depuis des années alors que l’enquête est terminée. Un chiffre en hausse, “puisqu’il était de 120 en mars 2020”, précise le tract. Certaines affaires risquent même d'être prescrites.
Et ce ne sont pas que des chiffres. “Dans ces dossiers, il y a une femme qui a dénoncé un fait de viol en 2015 et qui attend encore que son cas soit jugé”, raconte Aurélie Rolland. Nous sommes en 2021. Emmanuel Macron a fait de l'égalité femmes-hommes et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une "grande cause du quinquennat".
Des enfants aussi, pâtissent de ces manquements : "certains faits de violences habituelles à des mineurs par leurs parents sont en attente de jugement depuis 2012."
15 mois d’attente avant de voir un juge aux affaires familiales
Autre exemple parlant, nous confie la bâtonnière de Nantes, Christine Julienne :“vous vous séparez de votre conjoint. L’un des parents part avec les enfants. Vous allez mettre 1 an et demi pour obtenir une audience. C’est ça la justice à Nantes. Pas celle d’exception mise en place pour le procès Troadec".
Elle se rappelle un autre cas, une personne devenue aveugle à la suite d’une agression : “ça fait trois ans qu’elle attend la désignation d’un expert pour chiffrer son préjudice alors que la cour d’assise a déjà condamné l’auteur et qu’elle a perdu la vue”.
Les justiciables qui ne peuvent financer le recours à un avocat doivent attendre, quant à eux, plus d’un an pour obtenir une décision du Bureau d’aide juridictionnelle, faute de personnel.
Les manifestants réclament une évaluation des postes à compléter, au plus vite. Ils espèrent être entendus par le prochain président du tribunal judiciaire de Nantes, alors que l’actuel, Rémi Le Hors, “doit quitter ses fonctions début juillet”.