Nantes : le bar le Chat Noir se déconfine et sort doucement les griffes face à la préfecture

Elle a rouvert son bar ce 2 juin avec plaisir. Mais Claire Brisseau ne digère toujours pas la fermeture administrative d'un mois imposée par la préfecture en décembre dernier. Elle lance un appel à témoins pour engager une procédure sur le fond. Le Chat Noir se déconfine, sans faire le dos rond.

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Fini de ronronner, toutes griffes dehors, la patronne du Chat Noir repart à l'attaque. Derrière son franc sourire et une douceur légendaire que connaissent bien les habitués et les clients de passage, Claire Brisseau ne lâche rien.

Elle a lancé un appel sur les réseaux sociaux le 14 mai dernier. La patronne interpelle les témoins présents aux abords du Chat Noir le 14 septembre 2019. Ce jour-là, une manifestation de Gilets jaunes et contre les violences policières dégénère en fin de journée.


Des altercations violentes entre casseurs et forces de l'ordre

Des altercations ont lieu entre forces de l'ordre et manifestants. Et la patronne du Chat noir va payer les pots cassés au prix fort.

La préfecture a fait fermer le bar pendant un mois au prétexte, c'est écrit noir sur blanc dans l'arrêté daté du 10 décembre 2019,  que "lors de la manifestation "Gilets jaunes" du 14 septembre, l'établissement a servi de point de rassemblement à des individus qui ont commis des violences à l'encontre des forces de l'ordre, parfois de la terrasse même de l'établissement sans intervention du personnel de l'établissement".

Surprenant lorsque l'on sait, photos et vidéos à l'appui, que ce jour-là il n'y avait pas de terrasse, puisque des travaux étaient en cours sur l'espace public, allée Duguay Trouin.

"L'appel à témoins, je le lance aux gens qui étaient présents aux abords du bar. Ce document peut attester de plein de faits : attester de la violence des forces de l'ordre ce jour-là et comment ils ont gazé la rue, parce qu'elle était blanche de lacrymogènes. C'était irrespirable, les serveurs ne pouvaient pas sortir", explique Claire Brisseau.

Claire entend aussi réaffirmer de la neutralité du lieu vis à vis de cette manifestation : "les employés, comme les clients n'ont commis aucune violence. En revanche, des gens sont venus se réfugier chez nous, parce que dehors c'était violent".

"Les blindés étaient présents dans la rue. Ils sont restés devant le bar. C'est le moment où des personnes se sont regroupées. Des individus ont jeté des projectiles, des fumigènes. Ce jour du 14 septembre, il n'y avait aucun lien avec le Chat Noir. On n'a pas fourni les pavés"
, affirme Claire Brisseau. 

C'est un bar où, certes, des manifestants viennent boire un verre même en manif mais ça s'arrête là. Nous ne sommes pas un repère de black blocs comme voudrait le faire croire la préfecture - Claire Brisseau
 

"J'ai du fermer à plusieurs reprises"

"Il y a eu un affrontement entre les forces de l'ordre  et les manifestants. Les clients, eux, étaient dans le bar puisqu'il n'y avait pas de terrasse. J'insiste beaucoup là dessus", raconte Jordan, serveur au Chat Noir.

"J'ai du fermer plusieurs fois le bar à clés pour la sécurité de tout le monde.  J'ai interdit aux gens de sortir ou d'entrer. On était dans un nuage de lacrymogènes. Chaque samedi de manifestation, les forces de l'ordre tirent des grenades en direction du bar. En fait, dans le café, on est équipé comme des manifestants pour se protéger. Ils nous considèrent comme un repère. Ce qui n'est absolument pas le cas. Ça n'a jamais été le cas", ajoute Jordan.

Sur les coups de 19 heures, les manifestants se sont dispersés. La situation s'est calmée. Par terre, devant le bar, tout était ravagé, il n'y avait plus rien qui tenait debout. Tout le long du tramway, en fait, c'était assez impressionnant à voir - Jordan, serveur au Chat Noir

"Les faits qui nous sont reprochés se sont passés sur le coup de 21 heures. Il y a eu un attroupement énorme devant l'arrêt de tram de Commerce. A vue de nez, je dirais qu'il y avait 100 ou 200 personnes qui se tapaient dessus. Je ne sais pas d'où c'est venu", se souvient le serveur. "C'était d'une violence assez incroyable, on voyait des pavés voler. Les forces de l'ordre étaient déployées partout dans la ville à ce moment-là. Elles ne sont jamais intervenues".

A cet instant précis, des gens finissent leur cigarette devant le bar. Jordan leur demande alors de rentrer dans le café pour les mettre à l'abri : "j'étais assez effrayé, j'avais peur pour eux et pour moi également".
 

"L'arrêté préfectoral est complètement mensonger"

"Un homme s'est fait agresser avec des tessons de bouteille. Il était entouré de mecs qui avaient la folie en eux. Je ne sais pas qui ils étaient. J'ai gazé tout ce monde-là et j'ai fait entrer le blessé à l'intérieur de l'établissement. Il avait la tête en sang. Une dame aide-soignante m'a aidé à contenir l'hémorragie. Mon collègue a appelé les pompiers qui nous ont répondu qu'il ne pouvaient pas intervenir sans l'accord de la police".

Les secours finiront par arriver plus d'une heure plus tard, vers 22h30.

Quand il apprend que le Chat Noir est sous le coup d'une fermeture administrative Jordan n'est pas surpris : "Je me suis dit "bien joué d'Harcourt" (Claude D'Harcourt, le préfet de Loire-Atlantique, NDLR). Il fallait bien qu'un jour ça arrive. Nous sommes victimes des forces de l'ordre tous les samedis. J'étais dégoûté et je le suis encore. C'est trop facile de balancer ça. L'arrêté est brouillon, complètement  mensonger".

C'est hallucinant de voir qu'ils peuvent avoir ce genre de pouvoir. Le matin en se levant, en bouffant un croissant, ils ne sont pas de bonne humeur. Et pan ! ils ferment un lieu comme ça. C'est très énervant parce qu'on ne peut rien faire, en fait ! - Jordan, serveur au Chat Noir


Une réouverture en fanfare et des centaines de soutiens

Le bar fermé le 10 décembre pour un mois a rouvert en fanfare le 11 janvier. Une soirée magique : "C'était merveilleux. C'était une soirée formidable au niveau du monde, de l'ambiance, sur le plan humain".

Ça donne un sens à ce tout ce qu'on met en place depuis 8 ans. On s'est rendu compte de ce que cela signifiait pour les gens. Le 11 janvier, c'était une belle démonstration d'amour et de force. Il y avait tellement de personnes à venir nous soutenir - Claire Brisseau

Devant le tribunal des référés, où elle a tenté sans succès de faire tomber la sanction, Claire Brisseau a appris que la police nationale avait relaté dans un rapport daté du 7 octobre 2019 que "quatre individus ayant lancé des projectiles en direction des forces de l'ordre ont utilisé la terrasse de l'établissement Le Chat noir "comme refuge", "point de rassemblement", ou "point de fixation", sans que le personnel ne les invite à partir".

Le rapport se réfère en fait à des enregistrements vidéo réalisés par le centre superviseur urbain de Nantes Métropole, et en déduit "que la fréquentation de l'établissement a permis la commission de troubles graves à l'ordre public".
 

"La préfecture avait le Chat Noir dans le collimateur"

"Ce qu'on attend aujourd'hui avec cet appel à témoins, c'est de réunir les éléments de preuves de ce que les troubles qui ont eu lieu le 14 septembre 2019 ne sont pas en lien avec la fréquentation ou avec les conditions d'exploitation de son établissement", explique Marie Le Dantec, avocate de Claire Brisseau.

"Je n'étais pas son avocate au moment du référé. Juridiquement, la décision du préfet est fragile. Les conditions prévues par le code de la santé publique n'étaient pas remplies. On a deux axes d'attaque. Les faits reprochés ne sont pas matériellement pas établis. II n'y avait pas de terrasse à ce moment-là", poursuit Marie Le Dantec.

L'établissement était ce jour-là au coeur des affrontements. Les policiers ont repoussé les manifestants devant le Chat Noir. Les vidéos prouvent ça - Marie Le Dantec, avocate du Chat Noir

L'avocate contestera la légalité de l'arrêté devant le tribunal administratif. Elle déposera un recours indemnitaire pour obtention et  réparation du préjudice financier. "Il y a aussi atteinte à l'image de l'établissement et le préjudice moral", ajoute Marie Le Dantec.

Le communiqué de presse diffusé par la préfecture le 12 décembre dernier m'interpelle vraiment. Il évoque des surconsommations d'alcool, des non-respects des horaires de fermeture qui n'ont absolument rien à voir avec l'arrêté pris et qui ne sont pas prouvés. Ça fait beaucoup pour un seul café - Marie Le Dantec

Pour les habitués, ceux qui aiment ce lieu d'échanges culturels et de concerts, il est donc clair que "le préfet avait le Chat Noir dans le collimateur".
La patronne du Chat noir espère bien que le tribunal administratif lui donnera raison, lorsqu'il jugera sur le fond. "J'ai bon espoir, je suis très optimiste sur les chances de succès, mais l'audience ne se tiendra pas avant des mois. Le délai peut aller jusqu'à deux ans", conclut l'avocate de Claire Brisseau.

Aujourd'hui, comme ses confrères, Claire est ravie de rouvrir. La fermeture administrative lui a coûté des dizaines de milliers d'euros et mis sa trésorerie à sec. La crise du Covid-19 en a rajouté une couche.

" Je lève le rideau avec un petit peu d'appréhension quand même, pas par rapport à toutes ces mesures sanitaires et au fait de pouvoir les faire respecter, mais sur la signification du café en ces temps de coronavirus. Comment trouver du plaisir à animer le lieu ? Est-ce-que l'on va devoir se contenter de servir des boissons à des gens qui doivent uniquement défiler à distance les uns des autres ? C'est toute la complexité.  Pour moi, un bistrot c'est avant tout de l'humain, c'est forcément des contacts et des rapprochements. Le Chat Noir sans bisous et sans câlins c'est mort".

Dans ce dossier, nous avons sollicité la préfecture qui nous renvoie vers l'ordonnance de référé.
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