Pendant des mois, ce Nantais a travaillé aux côtés de 149 citoyens tirés au sort comme lui pour permettre au gouvernement de bâtir le projet de loi climat actuellement discuté à l'Assemblee nationale. William évoque sa déception au sortir de la Convention Citoyenne pour le Climat, ses espoirs aussi.
Ce dimanche 28 mars, il se tient debout sur le muret d'enceinte du château, micro en main, il s’adresse pour la première fois à la foule. Même s’il n’avait pas pris la parole, impossible de ne pas le remarquer. Ce grand gaillard de 34 ans domine de deux têtes les jeunes organisateurs de la marche dominicale qui ne va pas tarder à s'élancer du Miroir d'eau.
William Aucant est l'un des deux Ligériens tirés au sort pour participer à la Convention Citoyenne pour le Climat voulue par Emmanuel Macron. Et s'il est ici, appelant à marcher pour une loi climat "ambitieuse", ce n'est pas vraiment par choix...mais plutôt par nécessité.
14 heures, le cortège vient de s'ébrouer, au même moment, François de Rugy lance sa saillie dans les médias pour dénoncer "les professionnels de la manif" opposés à tout et en faveur de rien.
William, aux côtés duquel je marche, trace à grand traits une jeunesse relativement insouciante, peu versée dans la rébellion, et somme toute assez éloignée du combat écologiste. "J'ai dû participer à trois manifs depuis que je suis sorti du lycée, on ne peut pas dire que je sois un professionnel de la contestation !".
Alors, en apprenant les propos de l'ancien ministre de l'Ecologie, William scandalisé, ne tarde pas à rétorquer avec ce tweet.
Avec ma fille (mon âge actuel en 2050), nous sommes des «professionnels de la manif'» de père en fille depuis ? ... 2021. ?
— William Aucant (@WilliamAucant) March 28, 2021
(À l'instant "Papa, chantes la chanson on est plus chaud que le #climat steuplai? ?") ?#Nantes #VraieLoiClimat #MarcheClimat https://t.co/viIdwMsxI9 pic.twitter.com/pMvMil5nTV
C’est que bien des choses ont changé dans sa vie depuis quelques mois.
William a fait partie de la Convention citoyenne sur le climat.
Durant près d'un an, entre octobre 2019 et juin 2020, ce jeune architecte urbaniste a consacré en moyenne 12 à 14 heures hebdomadaires à travailler avec le collectif tiré au sort par le gouvernement.
Comme les 150 membres de la commission, il a lu des centaines d'articles scientifiques, décortiqué des analyses et des études sur le bouleversement climatique, a assisté à des dizaines de réunions, de webinaire, de rencontres en présentiel, puis covid oblige à distance.
L'objectif de la convention citoyenne était de formuler des propositions concrètes, pragmatiques, permettant de baisser de 40% les émissions de gaz à effets de serre du pays d'ici 2030. Et William y a cru. Mais le résultat n'a pas été à la hauteur de ses attentes.
"Ils ont eu peur de se mettre les citoyens à dos"
"Je ressens beaucoup de colère et de déception, lâche William, on vient chercher des gens qui n'ont rien demandé, on les forme, on les fait devenir des experts en quelque sorte, on leur demande de faire des propositions et au final on s'assoit dessus".
"L'organisation de la convention était parfaite ajoute-t-il sur le ton de celui qui a joué le jeu, mais c'est ce qu'on en a fait qui est décevant".
Selon William, qui a eu le temps de potasser les dossiers, la loi qui promettait d'être ambitieuse ("c'est ce qu'Emmanuel Macron nous disait: soyez ambitieux" dit-il en apparté), ne permettra d'atteindre que 10% de baisse des gaz à effet de serre.
"Les politiques n'arrêtaient pas de nous dire que si on ne baissait pas nos prétentions, on verrait surgir des Gilets jaunes de la voiture, du logement, de l'industrie...bref, ils ont eu peur de se mettre les citoyens à dos. Par exemple, nous avons proposé un malus sur le poids des voitures les plus polluantes. Pour faire simple, si on achetait un véhicule de 1 400 kg on était taxé, avec ça on touchait surtout un quart du marché, ça aurait eu un vrai impact...et bien cette mesure a été réécrite et maintenant elle ne concerne plus que les véhicules de 1 800 kg... qui ne représentent que 2% du marché".
Des propositions amoindries, édulcorées et des regrets
Comme beaucoup de ses concitoyens de la convention, William est amer. "On nous a fait participer à de la politique spectacle, dans un système qui part du principe que si vous n'allez pas dans son sens vous êtes dans une posture d'opposition, c’est blanc ou c’est noir…ben non !".
Il déplore notamment l'attitude condescendante de certains membres du gouvernement, "vous savez, confie-t-il, on se sent très seul quand on est face à un ministre qui est dans l'auto-persuasion et qui fait semblant de ne pas comprendre les enjeux...on se rend compte du décalage, de la déconnexion entre ceux qui exercent le pouvoir et des gens comme nous qui, au fil du temps, sont quand même devenus assez pointus sur les dossiers".
La mesure était symbolique mais elle a été là encore remaniée pour être la plus consensuelle possible. "Nous on souhaitait que la pub soit interdite pour les produis polluants, les vols low-cost, les grosses voitures…cette proposition a été réduite à néant puisque l’encadrement de la pub ne concerne plus que les énergies fossiles, en clair on va juste dire au revoir au nounours butagaz !", c’est l’un ses regrets.
L’autre concerne l’amélioration thermique de l’habitat. Selon les citoyens du climat, il fallait accompagner la rénovation des passoires thermiques jusqu’en 2040…mais la ministre Emmanuelle Wargon a tranché, le chantier ne devrait pas aller au-delà de 2028 !
Continuer le combat
Son devoir civique accompli, William ne compte pas en rester là. Cette expérience l’a "éveillé à l’écologie" et visiblement il n'est pas prêt à se rendormir.
Dimanche, il a partagé un texte avec les Nantais venus marcher pour le climat. Il a expliqué la raison de sa présence.
Vous êtes toutes et tous des 150
"Ce fameux coup de fil m’appelant à un devoir civique aurait pu tomber sur l’une ou l’un d’entre vous, écrit-il dans ce texte, vous auriez aussi compris beaucoup sur le climat. Vous auriez aussi tout donné sur ces mesures. Vous vous seriez battus pour faire baisser la température et respecter la justice sociale. Vous seriez vous aussi sortis de l'Elysée et fait face à un homme qui a dit oui à vos propositions et parlé de contrat moral. Enfin, vous aussi vous auriez assisté à l’affaiblissement de votre travail, au sabotage de vos idéaux, aux différents manques de courage, rencontre après rencontre. Vous auriez aussi été là aujourd'hui, à ce micro et marchant dans la rue".
"La loi climat et résilience devait être une grande victoire pour le climat, poursuit William Aucant, elle n'atteindra qu’un quart de l’objectif pour lequel les 150 ont été appelés. Ce n’est pas assez. Ce n’est pas acceptable, c’est indigne pour vous et moi qui savons où nous allons. Il faut une vraie loi climat. On ne peut pas se contenter des premières étapes, il faut un cap précis et des actions concrètes. (…)Nous devons repenser notre place dans ce monde et œuvrer chacun à son échelle d'influence. Et à cela je dis, oui nous le pouvons. (…) Ce que l'on fera pour le climat on le fera, pour la justice sociale, pour nos boulots, pour tout simplement vivre libres".
Désormais, William Aucant ne regarde plus les choses de la vie comme avant. Il a décidé de s’engager en politique, "pour agir en proximité".
Ainsi il sera sur la liste "Pour une région écologique citoyenne et solidaire" autour de Matthieu Orphelin pour les prochaines élections régionales.
Il entend aussi promouvoir les circuits courts, la construction durable. Toutes les initiatives qui contribueront à donner un cadre de vie acceptable à ses deux enfants, aux citoyens du futur.
"En France, nous ne sommes responsables que de 0,9% des émissions de gaz à effet de serre, mais on est regardés, et on se doit d’être exemplaire. Il faut prendre conscience des problèmes et les résoudre au plus près de nous et notamment à l’échelle des territoires", explique-t-il.
Alors que le pari d’Emmanuel Macron était de renouer la confiance, de donner la parole "sans filtre" aux citoyens, et surtout de mettre leurs réflexions en actes, force est de constater qu’il a échoué. Mais la convention citoyenne aura au moins eu le mérite de mettre en lumière les carences de l’état en matière de politique climatique, son manque d’ambition et de convertir, presque malgré eux, des citoyens à la transition écologique. Des citoyens comme William qui comptent bien s’engager et transmettre leurs connaissances, "parce qu'il y a urgence, et qu’on ne peut plus attendre".