"Quand un jeune veut travailler et a une promesse d'embauche, il faut le régulariser", des employeurs mobilisés pour pouvoir recruter de jeunes exilés sans papiers

Les uns ont du travail à offrir, les autres de l'énergie et de la motivation à revendre, mais pour des raisons administratives, il est impossible à des employeurs d'embaucher leurs apprentis exilés, d'origine africaine. Ce mercredi 5 octobre, des patrons de Loire-Atlantique se mobilisent pour faire entendre leur voix et demander la régularisation de ces jeunes.

"Si je n'avais pas rencontré l'association Patron.ne.s solidaires, j'aurais fait comme beaucoup d'employeurs : j'aurais abandonné mon jeune, faute de savoir comment faire pour l'aider". Cédric Schneider, responsable de l'entreprise Confort Service à Saint-Herblain tente depuis plusieurs mois de trouver une solution et des papiers pour son apprenti, Demba Camara. Un jeune qu'il souhaite embaucher en CDI mais qui a dû, faute de titre de séjour, refuser sa proposition.

Demba a beau cocher toutes les cases : excellent élève de bac pro, curieux, motivé, son état civil est contesté par la Préfecture, qui refuse de le régulariser.

"Nous, on est dans des métiers d'entretien de paysages et d'aide à la personne, qui comme beaucoup d'autres sont en manque de main-d’œuvre. Je ne peux pas faire évoluer mon entreprise car il me manque actuellement douze salariés explique Cédric Schneider.

"Nous avons formé Demba, continue-t-il, il a acquis plein de techniques. On a tous pris du temps pour le sortir de cet état bancal, pour aider un jeune volontaire qui avait la soif d'apprendre, mais on n'arrive pas à en voir le bout et quand on demande à la Préfecture de revoir son dossier, il n'y a jamais de réponse...je pense que les services publics essaient de nous décourager mais on ne peut pas le laisser tomber. Sinon, comment va-t-il se nourrir, se loger ? " demande Cédric Schneider. 

"Quand on arrive au moment de l’embauche, on est dans l’impasse"

La situation de Cédric Schneider n'est pas isolée. Nombre de patrons, potentiels employeurs partagent ses préoccupations. C’est le cas de Julien Ancellin, lui aussi, déplore l'inaction des services publics. Il est à la tête d'une usine à Carquefou et souhaiterait embaucher un jeune originaire du Sénégal qui lui donne toute satisfaction.

"Il a plus de valeur que beaucoup d’autres, et est plus que motivé pour travailler mais il arrive en fin de droits ce mardi ! Son titre de séjour a déjà été prolongé 5 fois ! On a multiplié les courriers, les démarches en promettant de l’embaucher. Je ne comprends pas, on cherche à obtenir des réponses mais on est face à un mur. J'ai du mal à comprendre que la Direction Régionale de l'Économie, de l'Emploi, du Travail et des Solidarités et la préfecture ne fassent rien. On a eu un gars un an dans l’entreprise, demain je le perds et tous nos salariés sont dépités !".

Chaque jour, l’association Patron.ne.s Solidaires reçoit des appels de patrons en manque de conseils, qui ne savent plus comment faire pour garder leurs apprentis.

L’association née en 2020, forte d’une cinquantaine d’adhérents, fait le même constat dans toutes les régions.

"La semaine dernière, dans le Finistère, nous avons rencontré des restaurateurs qui ont décidé de fermer deux jours par semaine faute de salariés. Les démarches à entreprendre pour embaucher et régulariser ces jeunes sont tellement compliquées qu’il y a beaucoup de découragement" explique Patricia Yvernat, la présidente de Patron.ne.s Solidaires. "Certains patrons décident même de faire travailler des jeunes au black, sans contrat, pour leur éviter de se retrouver à la rue" renchérit Margot Wolf, responsable de l’antenne de l’association pour le grand ouest.

Situations ubuesques

Car c’est cela qui se joue. Permettre aux jeunes apprentis exilés de devenir autonomes, de prendre un appartement, passer leur permis, s’insérer pleinement dans la société par le travail. Et leur éviter, à 18 ans, de recevoir une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), de se retrouver à errer de squats en squats, de "déraper" pour pouvoir survivre.

Pierre-Luc Martinez, jeune retraité de l’Education nationale accompagne et soutient Ibrahim depuis trois ans. "On est dans une situation ubuesque. On nous dit du matin au soir qu’on a besoin de salariés, et là, on a des jeunes motivés, qui veulent bosser, qui ne veulent pas être assistés mais qui ne peuvent pas être embauchés ! C’est un terrible gâchis".

Tout repose sur la bonne volonté de la société civile

Pierre-Luc Martinez

Retraité de l'Education nationale

Ibrahim est en bac pro électricité et veut continuer à minima jusqu’au BTS d’électricien. Scolarisé dans le privé à Saint-Félix, ce brillant élève a déjà reçu deux propositions de patrons qui souhaitent le prendre en apprentissage. Mais sans papiers…impossible. Alors, autour d’Ibrahim un petit collectif s’est fédéré pour l’héberger le week-end quand l’internat est fermé, pour l’aider à payer ses menues dépenses. "Tout repose sur la bonne volonté de la société civile", soupire Pierre-Luc Martinez.

Syndicats et patrons, même combat

Une fois n’est pas coutume, des syndicats de l’enseignement, la CGT, la CFDT, et des patrons ont décidé de se mobiliser ensemble pour soutenir trois apprentis exilés, en butte à l’administration. Ce mercredi 5 octobre, ils appellent à un rassemblement devant la préfecture de Loire-Atlantique  à 13h30 pour demander leur régularisation. "Ce sont trois situations emblématiques, qui reflètent bien ce que vivent les patrons qui nous contactent, et les jeunes qu'ils aimeraient embaucher. Beaucoup d'autres sont dans ces mêmes cas", précise Margot Wolf.

"On le constate, les métiers sont sous tension et l’état fait trop peu par rapport aux besoins des entreprises et au nombre de jeunes dans ces situations. On forme ces jeunes, ça coûte de l’argent et rappelons-le les apprentis ont vocation à intégrer des entreprises. Face à la crise économique, à la crise climatique, il y  aura de plus en plus de migrations. Il faut mettre des solutions en place tout de suite, car le fait de ne rien faire ouvre d’autres problématiques"  énonce Bernard Valin, vice-président de la FSU.  

Le collectif a obtenu une audience en Préfecture, le jour de la mobilisation, un signe encourageant selon l’intersyndicale qui voit une amorce de changement dans la posture de l’état français. "En Europe, la donne est en train de changer, l'Espagne, l’Allemagne régularisent des jeunes, ces pays ont compris, qu’en les intégrant , en les autonomisant, ça ne peut qu’apporter du positif" .

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