Au moins sept enfants scolarisés à l’école publique maternelle et primaire Josephine Baker, à Nantes, ont dormi ou dorment toujours dehors depuis la rentrée de septembre. Ce mardi 12 novembre, les enseignants et les parents d’élèves appellent à l’aide.
Tanguy Thomas a le visage fermé. Devant lui, une banderole est déployée sur la grille d'entrée du groupe scolaire publique Joséphine Baker. En lettres capitales, sur des draps blancs, il est inscrit : "Dans cette école, sept enfants ont dormi dehors depuis la rentrée".
Le regard tourné vers le message, le père d'élève se dit consterné par la situation. "Voilà plus de deux mois que ça dure. Des enfants scolarisés repartent le soir sans endroit pour dormir…", déplore Tanguy Thomas. Il a découvert ces affichages en déposant sa fille de quatre ans à l'école, ce mardi 12 novembre, au matin. "J'espère que ça va faire réagir", lance-t-il.
Pour aider ces familles sans-abri, certains parents d'élève ouvrent leurs portes le temps de quelques nuits. Tanguy Thomas en fait partie. Il a ainsi hébergé deux enfants, âgés de 8 et de 4 ans, ainsi que leur mère, durant cinq nuits. "C'était pendant les vacances de la Toussaint. Avec ma compagne, on s'est dit que l'on avait un peu de place et qu'on pouvait leur offrir du répit", souligne-t-il.
Entre préparation des repas en commun et jeux avec les enfants, le Nantais raconte que tout s'est très bien passé. "La maman était très fatiguée, détaille Tanguy Thomas. Dès qu'elle est arrivée chez nous, qu'elle a compris qu'elle était en sécurité, elle a beaucoup dormi. Elle avait besoin de repos, la rue ça fatigue."
Un appel à l'aide
"Le plus dur, ce n'est pas d'aider ces familles à la rue, c'est de les laisser repartir au bout de quelques jours tout en sachant que la situation n'a pas évolué pour elles", relève tristement Marguerite Étoudi Élandi, membre des représentants des parents d'élèves. Près d'elle, Sophie Fougeray hoche la tête.
Cette autre mère a aussi accueilli une famille chez elle, pas plus tard que jeudi dernier, le 7 novembre. "On veut que la solution s'améliore, mais tout ça est très difficile à gérer psychologiquement". Situé sur l'île de Nantes, à proximité de plusieurs centres d'accueil pour les personnes sans domicile, le groupe scolaire Joséphine Baker fait effectivement partie des écoles accueillant le plus d'enfants sans-abri dans la cité des Ducs.
C'est un appel à l'aide. On l'adresse d'abord à l'Etat, puisqu'il est garant du droit au logement.
Sophie FougerayMère d'élève
"Les enseignants sont le premier rempart. Ils essayent de trouver des solutions pour ces enfants. Mais, quand ils n'ont plus de recours, ils font appel à la solidarité des parents. Donc, ensemble, on essaie de les aider. Seulement, on ne peut pas faire plus sans l'aide de l'État et des collectivités locales", assure Sophie Fougeray .
En exposant ces draps blancs au regard de tous, le corps enseignant et les parents mobilisés espèrent pouvoir faire bouger les choses. "C'est un appel à l'aide, soutient Sophie Fougeray. On l'adresse d'abord à l'État, puisqu'il est garant du droit au logement. Puis, aussi, à la mairie parce qu'on souhaite qu'elle prenne en charge ces familles. Mais, si on n'est pas entendu, on occupera l’école pour qu’elles dorment à l’abri."
2 000 enfants à la rue en France
Le 29 août dernier, dans leur 6ᵉ baromètre, l'Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité révélait une augmentation alarmante du nombre d’enfants sans abri en France. Après une nuit passée avec le 115, entre le 19 et le 20 août, ils ont publié le nombre de 2 000 enfants à la rue comme chiffre de référence. C'est 120 % plus qu'en 2020.
À l'échelle des Pays de la Loire, 62 personnes en famille auraient été contraintes de dormir dehors cette nuit-là, faute de place d'hébergement d'urgence disponible. Cela représentait 31 enfants, dont neuf de moins de trois ans.
En cas d'urgence, les collectivités peuvent aussi ouvrir des structures comme les écoles pour loger des familles. Mais ce n'est pas une solution satisfaisante.
Juliette Drouxchargée des programmes territoriaux pour Unicef France
Face à cette situation, les collectivités locales peuvent-elles agir ? Oui, répond Juliette Droux, chargée des programmes territoriaux pour Unicef France : "L'État est l'autorité garante en termes d’hébergement, mais les collectivités peuvent aider en usant de leurs propres compétences comme l'éducation, l'alimentation et l'action sociale."
Ainsi, elle assure que les mairies peuvent, par exemple, agir en permettant la domiciliation des personnes sans-abri auprès des Caisses centrales d'activités sociales (CCAS). Cela permet de donner une adresse aux personnes sans logements et, ainsi, leur permettre de consulter leur courrier et faire avancer leurs démarches administratives.
"En cas d'urgence, les collectivités peuvent aussi ouvrir des structures comme les écoles pour loger des familles. Mais ce n'est pas une solution satisfaisante parce qu'elle n'est pas pérenne", estime Juliette Droux. Contactée à ce propos, la Ville de Nantes souhaite plutôt laisser la parole à la préfecture, représentante de l'État à qui revient la compétence de "mise à l'abri".
« En 2022, nous avons eu la promesse du zéro enfant à la rue puis celle des 120 millions pour l’hébergement d’urgence. Ces promesses sont indispensables face à l’évolution à la hausse du nombre d’enfants sans solution » 👇 pic.twitter.com/GoiSDiI4kV
— Fédération des acteurs de la solidarité (@FedeSolidarite) August 29, 2024
Par mail, la préfecture répond que la "Cellule Famille, qui évalue la situation des familles déclarées à la rue se réunit depuis le plan urgence "enfants à la rue" du 10 novembre 2022, s'est réunie ce mardi. La situation d'une mère et de ses deux enfants, scolarisé à Joséphine Baker, y aurait été exposé.
"Il s'avère que madame a réalisé l'ensemble de son parcours migratoire dans une structure d'hébergement pour demandeur d'asile à Perpignan de décembre 2018 au 7 juin 2021. Après le rejet de sa demande d'asile, Madame est partie vivre à Tours et est arrivée mi-octobre sur Nantes alors qu'elle ne semble pas bénéficier d'un ancrage avéré sur place, en dehors de la récente domiciliation et scolarisation des enfants à Nantes", est-il relaté dans le mail.
La préfecture indique également que "le SIAO, au regard de l'errance de la famille, a décidé d'une prise en charge temporaire sur l'abri de nuit de Richebourg, le temps d’organiser le retour de madame dans son précédent département, à Tours. Le 115 n'a pas eu de sollicitation concernant d'autres familles dont les enfants seraient scolarisés dans la même école et il semblerait que celles-ci aient déjà une solution d'hébergement."
Vulnérabilité de l'enfant
Dans leur 6ᵉ baromètre, l'Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité expliquent notamment cette explosion du nombre d'enfants à la rue par une offre d'hébergement d'urgence en crise. "Il n'y a plus assez de place alors des critères de sélection ont été mis en place. Maintenant, les personnes prioritaires sont les familles avec des enfants de trois mois et moins…", détaille Juliette Droux.
De plus en plus d'enfants vivent donc de plus en plus tôt dans la rue. Lors de la conférence de presse de présentation du baromètre, Adeline Hazan, présidente nationale de l'Unicef, avait ainsi appelé à la responsabilité de l'État et dénoncé une "violation flagrante des principes de la Convention internationale des droits de l’enfant par la France".
Ce traité érige particulièrement "le droit d’avoir un refuge, d’être secouru, et d’avoir des conditions de vie décentes" comme un principe fondamental. "Laisser des enfants vivre dehors est une entrave à leurs droits les plus élémentaires en les empêchant de se développer normalement", appuie Juliette Droux.
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