"Tout le monde nous traitait de dingues", Bertrand n'a jamais lâché la photo argentique

Du fait des travaux sur la devanture de son magasin, place Saint-Pierre à Nantes, certains ont cru qu'il prenait sa retraite. Mais non, Bertrand Hardy n'est pas prêt de quitter son commerce spécialisé dans la photographie argentique. D'autant moins que la pellicule revient en force chez les jeunes photographes.

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Voilà bientôt 30 ans que Bertrand Hardy a racheté le magasin "Photo Saint-Pierre" à côté de la cathédrale de Nantes. Une affaire qu'il avait acquise en 1993 après y avoir travaillé 9 ans avec la propriétaire de l'époque, Monique Huteau.

Vingt ans plus tard, avec le déferlement du numérique, Bertrand a senti que les choses tournaient mal pour lui et son commerce. Comme ses concurrents, il a fini par vendre des appareils de nouvelle génération mais le cœur n'y était pas.

"Mes confrères me présentaient leurs condoléances"

"En 2004, on s'est posé la question, raconte Bertrand Hardy. On nous disait que l'argentique était fini."

Bertrand se souvient d'avoir vu ses concurrents fermer les uns après les autres. Mais l'idée d'aller à contre-courant lui a semblé intéressante et, pourquoi pas, viable.

"On s'est dit : on tente le coup, on ne va faire que de l'argentique. Tout le monde nous traitait de dingues. Mes confrères me présentaient leurs condoléances" rigole Bertrand qui a pourtant flairé la niche commerciale.

Il n'a pas attendu longtemps avant de sentir qu'il avait eu raison. Si les six premiers mois ont été difficiles, il a vu ensuite ses ventes progressivement remonter et à partir de 2008, la montée en puissance s'est nettement confirmée. Aujourd'hui, il vend des pellicules photo par milliers et quelques 2 000 appareils ou pièces d'appareils argentiques par an.

Ce vendredi matin, Patrick, client régulier, vient chercher quelques photos de vacances et un tirage noir et blanc de ses petits-enfants. 

"Ce magasin est une mine d'or" dit ce passionné qui aime à choisir la sensibilité de ses films en fonction de ce qu'il recherche. "Si on prend du 200 ASA, on peut avoir un grain plus fin qu'avec du 400 ou du 800, précise-t-il, et puis le numérique, c'est moins artistique."

"J'aime le côté musée du magasin"

Un point de vue totalement partagé par Adrien, 27 ans, qui est passé ce matin-là prendre un café avec Bertrand.

"J'aime passer du temps ici pour poser des questions à Bertrand, nous avoue-t-il. J'aime le côté musée du magasin."

Il faut dire que le magasin, avec ses rayonnages débordant d'appareils en tous genres (mais argentiques) a quelque chose d'une caverne d'Ali Baba.

"C'est un musée vivant ! rectifie Bertrand Hardy. Moi, je vends mes œuvres !"

Pour Adrien, l'argentique est effectivement plus à même d'exprimer la créativité du photographe que le numérique. "Je n'aime pas le côté frénétique du numérique, dit-il. L'argentique, ça force à réfléchir. Et puis le rendu organique est plus pictural et moins lisse que le numérique. Ça s'approche de la peinture. On peut y voir du pointillisme."

Adrien ne s'offre que cinq rouleaux en moyenne par an. La pellicule coûte plus cher que le numérique et donc, force à bien choisir chaque déclenchement.

"Bien des fois, je me suis refusé à prendre une photo" avoue-t-il.  

Sortir du convenu, du banal

"La clientèle du magasin, en majorité, c'est les 18-35 ans, nous dit Bertrand. Des jeunes sensibles à la culture et à l'art. On est dans la photo artistique, expérimentale. Les jeunes qui veulent sortir du convenu, du banal, font de l'argentique."

Il y a quelques années, Bertrand a même créé un club photo, l'Aléa Club qui compte aujourd'hui 25 membres. Ils font des animations autour des techniques photo et des jeunes viennent y apprendre des plus anciens.

"Les jeunes nous alimentent aussi dans le fait qu'ils transgressent les codes. Ils font des choses qu'on n'osait pas faire, ajoute Alain Paris, photographe amateur et membre du club. Avec l'argentique, la photo n'est pas parfaite loin de là, mais c'est ça qui les intéresse. Et puis, les images, on leur donne une seconde vie au labo." 

Car le club permet aussi d'apprendre les différentes techniques, mêmes anciennes, daguerreotype, collodion humide, collodion sec... Bertrand est intarissable sur le sujet.

Pour Alain, Bertrand ou Adrien, l'argentique, c'est aussi l'école de la patience. "Cette génération a besoin de ça. Les jeunes n'ont connu que l'immédiateté. On réapprend à prendre le temps, c'est la slow attitude" constate Alain.

"Et puis, il y a un côté suspense", ajoute Bertrand. Il faut en effet attendre le développement de la pellicule pour découvrir ce qu'on a réussi... ou raté.

Mais encore faut-il pouvoir se procurer des bobines. Et avec le retour en grâce de l'argentique, les pellicules se font plus rares car la production n'a pas augmenté. 

"Ils se mettent à l'argentique comme il se mettraient à l'aquarelle"

Cette renaissance de l'argentique a suscité d'ailleurs quelques vocations dans l'ouest comme celle de Lomig Perrotin. D'abord dans son garage à Saint-Nazaire, puis maintenant à Josselin, dans le Morbihan, il a créé son entreprise de production de pellicules photo, films artisanaux ou films spéciaux Film Washi.

Ses clients sont français mais aussi étrangers. A peine annoncé en production, ses bobines de film sont réservées. Auparavant, il faisait une production tous les cinq mois, aujourd'hui, c'est tous les deux mois.

Lomig situe lui le rebond de l'argentique vers 2014. 

"Les trois quarts des clients, ce sont des jeunes qui n'ont pas connu l'âge d'or du numérique. Mais ce n'est pas de la fausse nostalgie, tient-il à préciser. Ils se mettent à l'argentique comme il se mettraient à l'aquarelle. Pour faire quelque chose de différent. Ils veulent donner rune esthétique différente à leurs photos."

Bertrand Hardy avec son magasin nantais Photo Saint-Pierre, fait partie de son circuit de distribution.

"Ils veulent pouvoir se dire : c'est moi qui l'ai fait"

Ce rebond de l'argentique comble évidemment Bertrand qui, malgré ses 63 ans, n'a pas l'intention de lâcher sa boutique. Il en fait même restaurer la façade en ce moment pour lui redonner un cachet ancien.

"Je suis passé de dinosaure à phénomène de mode" s'amuse-t-il.

Sa fille, Estelle Bricard, a même quitté son métier de designer textile pour venir le seconder dans le magasin. 

"Quand je faisais mes études, se souvient-elle, en 2012, l'argentique était déjà tendance. Les jeunes vont plus être dans le côté test de l'argentique. Ils vont prendre des films périmés. On ne sait pas à quoi s'attendre. La photo devient un objet précieux. Ils veulent pouvoir se dire : c'est moi qui l'ai fait. Je n'ai pas juste appuyé sur le bouton."

Reprendra-t-elle le magasin de son père ? Pas sûr. Et la date n'est pas très précise. Un peu floue, comme certains l'aiment dans l'argentique.

"Encore une trentaine d'années, et j'arrête" prévient Bertrand.

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