Jean-Claude Vollard est retraité de la SNCF. Celle de la grande époque, où l'on entrait par le petite porte pour faire une carrière de cheminot au service du chemin de fer, il a conduit presque toutes les locomotives sur les rails du grand-ouest, de la vapeur au TGV !

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L'image de Jean Gabin se penchant à pleine vitesse sur le bord de la cabine de sa "Lison" dans la Bête Humaine de Jean Renoir, fait partie de l'imaginaire pour ne pas dire de l'inconscient collectif.

Enfant, Jean-Claude Vollard, fils de cheminot, rêvait lui aussi de conduire les locomotives à vapeur. De se pencher, lunettes solidement fixées autour des yeux, visage cinglé par les intempéries, le "ventre au chaud le dos au froid", dans la tempête provoquée par la vitesse du train lancé à 120 km/h. Mais il ne pouvait pas imaginer qu'un jour il roulerait aussi à l'avant du train le plus rapide du monde un dimanche de septembre 1989 !

"Je suis entré à la SNCF en culottes courtes, j'avais 15 ans, en 1959, comme apprenti au dépôt du Mans", se souvient Jean-Claude, "À l'époque, c'était le parcours normal de tout futur cheminot, le concours suivi de trois années d'apprentissage, comme mécanicien ajusteur, électromécanicien. Parmi les dix meilleurs, ceux qui avaient l'envie de vivre la vie de roulant poursuivaient par une longue formation de conducteur mécanicien. Sur les machines à vapeur c'était obligatoire, électriques ou diesel. Pendant les périodes de pointe ou de congés, le futur mécanicien pelletait le charbon dans les locomotives !"

"On travaillait 48 heures par semaine, on était en déplacement, on découchait à peu près une nuit sur deux, on avait à l'époque des coupures de nuit, on descendait d'une machine pour 3 ou 4h, pour en reprendre une autre, on ne pouvait pas dormir... Par la suite ça c'est amélioré, par l'action des syndicats et la lutte des cheminots".

L'arrivée des locomotives diesels et des locomotives électriques améliore un peu les choses. Organisation du travail d'un côté, et mise à l'abri des intempéries de l'autre, les cabines étaient enfin fermées ! Pour autant, le conducteur se tenait debout. Il disposait d'un tabouret façon "assis-debout" sur des machines souvent qualifiées de "danseuses" par les cheminots, tant leur stabilité était... instable !

Affecté au dépôt de Nantes-Blottereau, Jean-Claude Vollard a pratiquement conduit toutes les machines tirant trains de marchandises et de voyageurs dans l'ouest de la France. Pour faire simple, de Paris à Quimper, au Croisic ou Bordeaux ! À l'exception des autorails qui étaient conduits par les conducteurs du dépôt de la Moutonnerie !
 

Les TEE, l'aristocratie ferroviaire d'avant le TGV

Jean-Claude Vollard a connu le temps des Trans-Europ-Express. Des trains offrant un haut niveau de services à bord, qui reliaient entre-elles les capitales et les grandes ville d'Europe. Ces trains portaient des noms prestigieux, Parsifal, Adriatico, Beethoven, Cisalpin...

L'Aquitaine, qui reliait Paris à Bordeaux, et le Jules Verne, qui reliait Paris à Nantes, avec des voitures dites "Grand confort" étaient les plus rapides d'entre-eux, filant déjà à 200 km/h.
Ces trains de première classe, s'ouvrirent à la seconde classe dans les années 1980. Puis, en France, disparurent avec l'extension du réseau des Lignes à Grandes Vitesse (LGV). Le TGV allait révolutionner, et la façon de travailler des cheminots, et la façon de voyager des Français, à partir de 1981 de Paris vers le sud-est, puis en 1989 de Paris vers la façade Atlantique.
Jean-Claude Vollard a "tiré" le dernier "Jules" en jargon cheminot, soit le TEE Jules Verne entre Paris et Nantes, le 21 septembre 1989, une image publiée pour la postérité dans La Vie du Rail... Le lendemain les TGV s'élançaient à la conquête de l'ouest !
 

Et le TGV devint Atlantique

"Quand le TGV Atlantique a été programmé vers Nantes, on a suivi une formation assez pointue, il a fallu retourner à l'école !", poursuit Jean-Claude, "la signalisation lumineuse latérale n'existe plus sur les LGV. Figurent seulement de simples repères, du fait de la vitesse. L'affichage se fait en cabine, c'était une nouvelle réglementation. Et puis ces TGV Atlantique ont été les premiers a utiliser une informatique embarquée dont la mise au point a été... pénible ! Bien des fois on s'est ramassé des gamelles, on savait quand on partait de Nantes, on ne savait pas à quelle heure on arriverait à Paris !"
"On avait le confort en cabine, s'il y a eu des locomotives où on se cassait le dos, là on avait la climatisation, avec un siège confortable. Durant les premières années on avait du stress. Il a fallu du temps pour confirmer la fiabilité des rames Atlantique, J'espère qu'aujourd'hui les conducteurs sont moins emme... qu'on ne l'a été !"

Avec la très grande vitesse, l'organisation du métier change aussi. Quand, avec une machine à vapeur ou diesel un conducteur allait de Nantes à Paris et sa journée était faite, avec le TGV, il peut repartir aussitôt de Montparnasse vers Poitiers ou Bordeaux et revenir le soir. 

"J'ai aimé mon métier, et si je pouvais le faire encore, je l'aimerais encore ! J'étais bien content de faire les express, ça roulait plus vite, mais j'aimais faire les trains de fret de 1 200 tonnes, fallait connaître parfaitement le profil de la ligne, c'était comme un défi pour passer les rampes" (dans les chemins de fer on ne monte pas les côtes, mais les rampes !). 

Une carrière formidable

"Je suis entré aux chemins de fer pour conduire les trains. J'ai vécu une carrière formidable, j'ai conduit les TGV pendant quatre ans avant de prendre ma retraite. On a fait une fête monstrueuse avec les copains et ma famille ce jour là. Un train spécial de Saint-Nazaire à Nantes ! On était 300 à table le soir ! La prime généreuse (de départ en retraite) que la SNCF m'a donnée y est passée ! Les copains ont pavoisé le train ! À l'arrivée, j'ai versé ma petite larme. Je remontais plus dessus !"

Si Jean-Claude Vollard n'est plus remonté dessus, sur le TGV s'entend, il a poursuivi une carrière bénévole au service de la remise en route de la locomotive à vapeur 141 R 1199, propriété de la SNCF et classée monument historique. Il a transmis aux plus jeunes un savoir faire quasiment disparu. Et conduit à nouveau, pour le plaisir des volutes de vapeur, sur les lignes de l'ouest de Nantes à Quimper, Le Mans ou La Rochelle une de ces incroyables machines, fumante, piaffante, essouflée parfois, mais toujours vivante.

Il y a peu, la SNCF a rompu unilatéralement le contrat qui la liait avec l'association de bénévoles chargée de réparer et d'exploiter la machine, mettant fin à une carrière ferroviaire de presque 60 ans... sans réussir à étouffer la passion du cheminot pour son outil de travail.
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