Un protocole vient d'être signé entre le CHU de Nantes, la préfecture, le procureur et une association de protection des femmes. Le but : faciliter le dépôt de plainte des femmes victimes de violences conjugales. Aujourd'hui en France, seule une femme victime de violences dans le couple sur quatre porte plainte.
C'est une petite révolution pour les femmes victimes de violences conjugales. Grâce à un nouveau protocole, elles pourront bientôt déposer plainte directement au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes. Depuis leur chambre d'hôpital, après leur agression, l'équipe médicale leur proposera de remplir un formulaire de plainte.
Ce protocole a été signé après deux ans de négociations entre le CHU de Nantes, le parquet judiciaire de Nantes, le préfet de Loire-Atlantique, l'Agence régionale de Santé ainsi qu'une association de défense des victimes.
"Pour que la parole puisse se libérer"
Aujourd'hui encore, pour porter plainte, les femmes victimes de violence physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint, doivent se déplacer en commissariat ou en poste de police. Une épreuve dans l'épreuve, pour certaines, déjà très éprouvées par l'agression qu'elles ont subie.
Pour le médecin qui coordonnera l'application du protocole à l'hôpital, David Lebossé, cette possibilité est une opportunité de "profiter de ce moment en dehors du cocon familial où se déroulent les violences, pour que la parole puisse se libérer, qu'elles aient accès à un dépôt de plainte dans un milieu sécurisé".
Recueil de preuves systématique
La plainte en milieu hospitalier n'est pas la seule innovation liée au protocole.
Désormais, les femmes victimes de violences conjugales, qu'elles acceptent de porter plainte ou non, feront l'objet de mesures et d'analyses médicales, pour que des preuves de l'agression puissent être conservées.
Ainsi, si une femme refuse dans un premier temps de porter plainte, mais qu'elle se ravise quelques semaines ou mois plus tard, ces éléments de preuves pourront être utilisés dans le cadre de l'enquête.
La durée de conservation des preuves n'est pas précisée par le parquet ni par le CHU de Nantes.
Encourager les soignants à saisir la justice
Le protocole veut encourager les femmes, mais aussi le personnel soignant à saisir la justice lorsque cela s'avère nécessaire. Ainsi, il prévoit de former les équipes médicales à la détection d'indices de violences dans le couple, mais aussi au recueil de la parole des femmes.
L'objectif : encourager l'équipe médicale à signaler directement au parquet le cas d'une patiente dont les jours seraient en danger, mais qui refuse de porter plainte. Cette levée du secret médical est autorisée grâce à une modification du code pénale depuis 2020, dans le cas où il existe un péril pour la vie d'une femme victime de violences conjugales. Une modification profonde des pratiques pour le milieu hospitalier, peu habitué à interagir avec la justice.
"La première nécessité, c'est le soin, mais en même temps questionner la plainte, protéger la victime, sortir de ce cycle de la violence nécessite parfois l'intervention d'un tiers", estime Camille Dormegnies, directrice de France Victimes 44, qui voit d'un bon œil cette disposition, déjà existante dans la loi, mais encore très peu appliquée par les soignants. Ces derniers ne sont pas ou peu formés à cet outil de lutte contre les violences conjugales.
Judiciariser davantage ces faits de violence
La signature de ce protocole témoigne d'une volonté d'encourager les femmes à porter plainte, certes, mais aussi d'une volonté du parquet de Nantes de judiciariser davantage ces faits de violence, encore très peu condamnés. Aujourd'hui, en France, seule une femme sur quatre dépose plainte après des faits de violence conjugale.
"Tant qu'il n'y a pas une enquête judiciaire et une réponse pénale, il n'y a aucune raison que les faits de violence cessent", argue Renaud Gaudeul, procureur de la République de Nantes.
Nous avons davantage de plaintes qui sont recueillies par les différents services d'enquête. Cela dit, il existe encore des marges de progression.
Renaud GaudeulProcureur de la république de Nantes
"Il y a une véritable progression depuis maintenant plusieurs années en matière de traitement judiciaire des violences conjugales, poursuit le procureur, en l'espace de moins de six ans nous avons doublé le nombre de dossiers que nous avons à traiter parce que, précisément, nous avons davantage de plaintes qui sont recueillies par les différents services d'enquête. Cela dit, il existe encore des marges de progression".
Dans le département de Loire-Atlantique, selon le parquet, en 2022, 5 000 personnes ont déposé plainte dans le cadre de violences intrafamiliales. 80 % d'entre elles sont des femmes.
Un pôle dédié aux violences intrafamiliales à Nantes
Pour mieux traiter cet afflux de dossiers et conserver des délais de jugement raisonnables, le parquet a créé un pôle spécialement dédié aux violences dans le couple. Le nombre d'audiences consacrées aux violences intrafamiliales est en constante augmentation chaque année au tribunal de Nantes.
Une nouvelle organisation, sans effectif supplémentaire, qui devrait contribuer à traiter l'afflux de plaintes qui pourrait être engendré par la mise en place du protocole. À condition qu'il soit bientôt appliqué, puisque, certes, le papier est signé, mais sur le terrain, aucune de ces mesures n'est encore entrée en vigueur. Tout est donc encore à inventer.
Retrouvez-nous sur nos réseaux sociaux et sur france.tv