Avec le rapport des médiateurs, une nouvelle piste s'ouvre. Pour la première fois depuis 1963, est évoquée officiellement la possibilité de réaménager Nantes Atlantique. Quelles seraient les conséquences d'un abandon du projet Notre-Dame-des-Landes ? Reportage dans la ZAD.

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C'est l'un des lieux historiques de l'occupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. La ferme de Bellevue, où un groupe d'occupants produit toutes sortes de produits laitiers, grâce à des vaches, prêtées par des paysans, pour occuper et entretenir les champs aux alentours. Camembert, fromages frais, yaourts ou tomme, qui sont donnés aux occupants, vendus ou troqués au marché à prix libres, chaque vendredi sur la ZAD, ou offerts comme ravitaillement, à d'autres luttes, ailleurs en France.

Dans son histoire et dans son fonctionnement, la petite fromagerie est à ce titre assez emblématique de ce qui se construit depuis plus de 6 ans, sur la ZAD. L'homme que nous y croisons se décrit aujourd'hui comme un "néorural" assez classique. Quelqu'un qui travaillait dans le domaine scientifique, venu soutenir la lutte, et qui, au fil du temps et des projets, s'est intégré au groupe de fromagers, apprenant un métier, et bâtissant un projet de vie. Si le projet d'aéroport était abandonné, il ne partirait pas : "de toutes façons, on peut pas abandonner les vaches comme ça. On est plusieurs à vouloir s'installer ici. Personnellement, j'aimerais rester au moins pendant 3 ans. Enfin, j'ai posé un jalon."


Juste à côté, une menuiserie s'installe. La charpente a été érigée le 8 octobre 2016, le jour de la grande manifestation des bâtons, où plusieurs dizaines de milliers de personnes ont fait symboliquement le serment de revenir si la ZAD était menacée. Ici, une scierie doit arriver au mois de janvier, le lieu doit exploiter le bois des forêts alentours, pour construire des charpentes, dans le cadre du projet "construire en dur". Objectif : aider les occupants à fabriquer de l'habitat durable... Projet d'aéroport ou non. "C'est ce qu'on dit depuis des années, on restera, et on construira matériellement les conditions pour rester dans la durée", explique notre interlocuteur, membre du collectif de menuisiers.

Comme un symbole de cette détermination, la Rolandière, un bâtiment offert aux militants par son ancien propriétaire, qui sert dorénavant de point d'accueil aux nombreux visiteurs sur la ZAD, mais aussi de bibliothèque, et ce mercredi 13 décembre, de point d'entrée aux nombreux journalistes de la presse française et internationale.

Pour l'ACIPA, les "analyses des opposants" sont "confirmées"

Dans un communiqué publié le 14 décembre, l'Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport (ACIPA) accueille favorablement les conclusions du rapport de médiation. "L'optimisation de Nantes-Atlantique ressort manifestement comme le seul véritable projet à même de permettre une réponse aux enjeux agricoles, environnementaux, économiques et sociaux de la région pour les années à venir", explique notamment l'association.


Assaillis de demandes, les membres du groupe presse expliquent aux médias que, si le rapport des médiateurs paraît encourageant, les occupants de la ZAD préparent depuis des années l'abandon du projet d'aéroport. Un document intitulé "Parce qu'il n'y aura pas de projet d'aéroport" a été édité, en collaboration avec les paysans, et les associations en lutte. Six points qui définissent leur ligne pour un avenir de cette zone : retour des expropriés, refus des expulsions, poursuite des projets entrepris depuis 2007.

Une position que nous décrit ainsi l'un des porte-parole : "C'est extrêmement important pour nous que ce territoire reste un territoire d'expérimentation sociale, écologique, culturel. Qu'il y ait quelque chose qui est de l'ordre de ce qui s'est trouvé, ici, pendant le temps de la lutte, qui puisse se perpétuer après. Parce qu'aujourd'hui, face à la crise climatique, face à la crise sociale, on a besoin d'espaces où s'essayent d'autres manières de faire."

Des voisins comme les autres

Eux ne font pas partie des occupants. Mathieu et Thierry Drouet, agriculteurs, qui pratiquent à la fois l'élevage et la polyculture. En 2011, Mathieu, le fils, rachète une exploitation laitière, 157 hectares, dont 15 hectares se trouvent dans le périmètre de la ZAD, et pour lesquels AGO, l'aménageur, lui cède chaque année une mise à disposition précaire, et gratuite.


Sans forcément l'avoir souhaité, les deux agriculteurs, père et fils, ont appris à cohabiter avec la lutte, les zadistes, et les forces de l'ordre. " C'est ça qui a été le plus difficile. Quand ils ont bloqué des accès, qu'ils nous ont interdit d'entrer sur notre exploitation". Thierry, le père, n'a toujours pas digéré la fermeture de la RD 281, et les propos de Philippe Grosvalet, le président du conseil départemental, lorsqu'il a qualifié de "criminels" ceux qui en avaient rouvert l'accès.   

Quant aux zadistes, les deux hommes leur savent gré d'avoir entretenu les terres : "S'ils n'avaient pas été là pour les cultiver, pour y faire paître des animaux, elles seraient reparties en friche. Des friches qu'il aurait été difficile et coûteux de rendre ensuite à l'agriculture." Ces occupants sont devenus au fil des ans, des voisins comme les autres, partageant avec eux, du matériel agricole au sein d'une CUMA (Coopérative d'Utilisation du Matériel Agricole), nouant des liens de solidarité.

"Quand on a besoin, on s'appelle, on se donne des coups de main, c'est comme ça que ça fonctionne. Après, il y a des soucis, mais je pense pas qu'on ait plus de soucis sur ce territoire que d'autres ailleurs. Sauf que sur le nôtre, ça prend tout de suite une envergure médiatique très importante", explique Mathieu Drouet.

La médiation : un travail "assez honnête"

Des tensions qu'évoquent plusieurs de nos interlocuteurs, et notamment, les membres de l'ACIPA, l'association des populations concernées, opposants historiques au projet d'aéroport. Une frange des occupants se montrerait particulièrement intolérants, envers les visiteurs, les voitures, à l'exploitation des animaux.... Probablement utile dans l'hypothèse d'un affrontement face aux forces de l'ordre. Mais qu'on imagine mal trouver leur place dans l'hypothèse d'une cogestion des terres avec l'Etat, après un abandon du projet. Ces groupes, qui se tiennent à distance des journalistes, ne font pas partie des "tours" organisés sur la ZAD.  

Pour autant, aucun de nos interlocuteurs ne souhaite les voir visés par une procédure d'expulsion ou d'évacuation, qui risquerait de viser l'ensemble des acteurs de la lutte à Notre-Dame-des-Landes, comme nous le précise Julien Durand, porte-parole de l'ACIPA : "aujourd'hui, les historiques, paysans, ils sont tous expropriables, ils sont tous expulsables. Il faudra que tout le monde retrouve sa place. Ils sont là d'une manière illégale parce qu'il ne pouvaient pas faire autrement. Donc demain, le processus de réflexion fera en sorte que collectivement que la zone redeviendra normale."

Normale, mais expérimentale... Dans l'hypothèse d'un abandon du projet, les opposants rêvent que l'État conserve les quelque 1 600 hectares de ZAD dans le domaine public, pour faire de Notre Dame des Landes, une sorte de nouveau Larzac. Mais en se gardant bien de tout triomphalisme : si le rapport des médiateurs compare, pour la toute première fois, deux projets, le choix sera finalement politique. Éleveur en lutte, installé sur la ZAD, Marcel Thebault se méfie. L'annonce d'une décision a été retardée d'un mois, fin janvier. Ne s'agit-il pas "d'une prise de distance du gouvernement, quant au un travail, somme toute assez honnête, des médiateurs"? Le renouvellement de la déclaration d'utilité publique, lui, est attendu pour le 9 février.

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