L'expertise sur les conséquences sanitaires de la fuite d'essence survenue dans l'un des bacs de la raffinerie de Donges le 21 décembre 2022 n'a toujours pas été publiée. L'impact de l'incident sur la santé de la population reste en suspens, et suscite des débats entre l'industriel, les élus et l'association AEDZRP.
Lorsque l'on tape "Donges" sur un moteur de recherche, la première image qui apparaît est celle de la raffinerie TotalEnergies.
L'activité pétrochimique de la commune remonte à plus d'un siècle et s'accompagne des risques inhérents à cette industrie lourde. Comme la fuite d'hydrocarbure qui s'est déclarée le 21 décembre 2022.
"On est conscients que ce n'est pas la catastrophe du siècle, tempère Marie-Aline Le Cler, présidente de l'Association environnementale dongeoise des zones à risques et du PPRT (AEDZRP), mais il faut améliorer la gestion de l'accident et la communication pour se préparer en cas d'accident plus grave à l'avenir."
L'association regrette que l'étude d'impact sanitaire demandé à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) par TotalEnergies ne soit pas encore publiée, 4 mois après la fuite.
Le service communication de la raffinerie explique ce délai par le temps nécessaire à l'expertise : "Les nombreuses données prises par Air Pays de la Loire sont en train d'être intégrées à une modélisation de l'évènement sur toute sa durée".
Le rapport de l'Ineris a été demandé par TotalEnergies. Ça pose question sur la transparence, l'impartialité et l'indépendance des analyses.
Marie-Aline Le ClerPrésidente de l'AEDZRP
"On comprend les inquiétudes et les demandes d'information, mais on ne peut pas jouer de transparence tant qu'on n'a pas tous les éléments", ajoute l'industriel.
Désaccord sur le produit contenu dans le bac
Au total, ce sont 800 m3 (800 000 litres) de produit ont fuité lors de l'incident. Ils se sont déversés dans un sous-bassin prévu en cas de faille d'étanchéité, pour éviter que les substances ne se répandent dans le sol.
Après l'incident, TotalEnergies au procédé au retrait de l'hélice - appelée "agitateur" - responsable de la fuite. "Nous réalisons aussi un audit complet du parc d'agitateurs de bacs", indique le service communication.
Si l'on en croit l'entreprise, le produit en question est de l'essence sans plomb 95 "avec une teneur en soufre un peu plus élevée que celle qu'on trouve en station service".
L'industriel est contredit par un rapport de l'entreprise de dépollution Serpol datant de janvier 2023. Parmi les "produits concernés par l'accident", le document mentionne 770 m3 de naphta lourd, un mélange d'hydrocarbure hautement nocif, notamment du fait de sa haute teneur en soufre.
Le produit "peut provoquer le cancer et peut induire des anomalies génétiques" selon les indications de sa fiche de sécurité.
Les effets sur la santé, question en suspens
Au-delà de la substance, ce sont les composés de ses vapeurs qui se sont propagés dans l'air qui suscitent l'inquiétude quant à leur impact sur la santé des personnes exposées. Là aussi, c'est l'Ineris qui apportera une réponse basée sur les données collectées par Air Pays de la Loire.
François Ducroz est ingénieur référent en charge de l'affaire TotalEnergies pour l'organisme chargé de surveiller la qualité de l'air dans la région. Il explique que les mesures réalisées ont porté sur des "composés organiques volatiles (COV)".
"C'est une famille de polluants volatiles qui se propagent facilement dans l'air en passant rapidement de l'état liquide à l'état gazeux. Ils peuvent avoir des effets cancérigènes, comme le benzène qui est un cancérogène avéré. Il est réglementé dans l'air ambiant", précise-t-il.
On a vu de très fortes augmentations en composés organiques volatiles. On a fourni l'ensemble de nos données à l'Ineris, qui est un organisme spécialisé dans les impacts sanitaires.
François DucrozIngénieur à Air Pays de la Loire
"On a constaté des concentrations en COV entre 100 et 2000 fois plus élevés pour 13 composés lorsque l'on était sous les vents de la sous-cuvette, par rapport à une situation où on n'y était pas exposés", rapporte-t-il.
Les mesures ont été réalisées dans les jours qui ont suivi l'incident, et jusqu'à mi-janvier grâce à des analyseurs permanents.
Des niveaux élevés de benzène ont notamment été enregistrés alors que la valeur limite à ne pas dépasser sur un an est établi à 5 microgrammes par mètre cube.
Mais l'ingénieur tient à nuancer : "On ne peut pas comparer des concentrations qui ont été mesurées pendant une ou deux heures avec une moyenne sur un an".
Et d'ajouter : "Il ne faut pas enlever l'impact sanitaire de cet épisode en terme d'exposition aiguë, c'est à ça que va sûrement s'intéresser le rapport de l'Ineris".
Communication compliquée
Les tensions autour de l'incident se traduisent aussi par une communication en berne entre les parties prenantes. L'AEDZRP ne s'est pas présentée au "dialogue riverain" tenu par TotalEnergies le 14 mars.
De leur côté, la préfecture et la direction du site ne seront pas présentes à la réunion organisée par l'AEDZRP vendredi 21 avril à 18h30 à la salle polyvalente de la mairie de Donges pour "tirer les conclusions" de l'incident de décembre.
"L'ensemble de nos questions restent quasiment sans réponse, déplore Marie-Aline Le Cler.
Elle demande des explications quant au traitement de l'incident, qu'elle estime inadapté : "On a un plan de sauvegarde communal qui n'est pas à jour, et le logiciel pour envoyer des SMS d'alerte n'a pas été utilisé".
François Chéneau, maire de Donges, estime que l'incident est un "évènement sérieux qui a été traité comme tel par les autorités".
"La population a été informée par les réseaux sociaux et Internet, il y a eu des réunions téléphoniques pour mesurer la communication. Certains pensent qu'il aurait fallu alerter l'ensemble de la population, mais alerter pour dire quoi et alerter sur quelle base ?", réplique-t-il.
C'est compliqué de communiquer quand on ne sait pas quelle est la conduite à tenir. Je n'ai pas vocation à être plus compétent que les sachants. J'ai demandé quel message donner à la population, et on n'a pas su me répondre.
François ChéneauMaire de Donges
"C'est délicat de savoir à quel degré on doit mettre le curseur. Parfois, on a des idées préconçues en disant par exemple qu'il aurait fallu demander à tous les habitants du centre-bourg de se confiner chez eux", commente l'élu.
"Or, j'ai découvert en discutant avec des personnes qualifiées que dans ce type d'évènement, il vaut mieux aérer, surtout quand il y a beaucoup de vent, continue-t-il, les concentrations de produits plus fortes dans une pièce fermée que dans une pièce ventilée."
Le maire attend lui aussi le rapport de l'Ineris pour fournir une "information scientifique et non biaisée" sur la mise en danger ou non de la population lors de la fuite de la cuve de la raffinerie.
La date de publication du document reste inconnue.