Mardi 4 avril, le ministre de la Défense Sébastien Lecornu a présenté la nouvelle loi de programmation militaire pour 2024-2030. Incluant la construction du futur porte-avions à propulsion nucléaire de l'armée française, le chantier débutera fin 2025 à Saint-Nazaire. Un projet de grande envergure qui ne verra pas le jour avant 12 ans, au moins.
On ne connaît pas encore son nom mais on sait à quoi ressemblera le futur porte-avions à propulsion nucléaire de l'armée française.
Sa construction va débuter à la fin de l'année 2025 sur les chantiers navals de Saint-Nazaire. Il devrait remplacer le Charles de Gaulle d'ici 2038.
Capable d'accueillir 2 000 marins, le navire sera un monstre flottant, une "cathédrale de technologie", d'après le ministre des armées.
Le porte-avions nouvelle génération, c'est 310 mètres de long et 75 000 tonnes sur l'eau, presque deux fois le Charles de Gaulle, pour un coût estimé à 10 milliards d'euros. Le prix à payer pour s'offrir la puissance de projeter son armée n'importe où dans le monde.
Moins d'une dizaine de pays peuvent le faire aujourd'hui et la France est la seule avec les États-Unis à disposer d'un bâtiment à propulsion nucléaire, capable de naviguer plus loin et plus longtemps.
"Les chantiers de Saint-Nazaire sont les seuls de France capables de construire un tel navire. Ce sont les plus grands d'Europe avec deux cales de 450 mètres de long et 90 mètres de large", explique Vincent Groizeleau, rédacteur en chef de meretmarine.com, média spécialiste des sujets maritimes.
Deux réacteurs nucléaires à bord
Le site de Naval Group à Indret (Loire-Atlantique) va jouer un rôle stratégique aux côtés des chantiers navals de Saint-Nazaire. C'est là que seront construites les chaufferies nucléaires du porte-avions.
"Le porte-avions aura deux réacteurs comme le Charles de Gaulle, explique Vincent Groizeleau, ce sont des réacteurs comme les centrales [nucléaires] à terre qui sont conçus pour générer de l'énergie et qui vont fournir toute la puissance électrique pour la propulsion et les besoins du bord."
Ces centrales nucléaires embarquées de 220 mégawatts chacune ressembleront à d'énormes œufs de plus de 2000 tonnes chacun, en comptant l'enceinte de confinement qui les protégera.
Il n'y aura pas de danger nucléaire pour la région. Les chaufferies nucléaires seront vides pendant la construction, et elles ne seront chargées que quand le bateau sera à sa base de Toulon, après 2035.
Vincent GroizeleauRédacteur en chef de meretmarine.com
Si le bateau doit sortir en mer pour faire des essais pendant la construction du bateau à Saint-Nazaire de 2023 à 2035, ce sont des moteurs diesel temporaires qui alimenteront les moteurs électriques du bateau pour le propulser.
Une fois réalisés, les réacteurs vides seront transférés à Saint-Nazaire sur barge par la Loire.
Décryptage en plateau de Vincent Groizeleau et Virginie Charbonneau
Un bâtiment militaire qui naîtra en Pays de la Loire
"Le travail de Saint-Nazaire va consister dans un premier temps à faire un grand caisson ultra renforcé dans lequel seront mises les enceintes de confinement qui contiennent les réacteurs", détaille Vincent Groizeleau.
Les réacteurs sont "eux-mêmes extrêmement renforcés. Pour percer tout ça, il faut y aller. C'est conçu pour recevoir un abordage de bateau lancé à pleine vitesse ou un missile", poursuit-il.
Quand le bateau partira à Toulon, il sera terminé, il ne restera plus qu'à charger les cœurs nucléaires et à faire les tests du système d'armes et d'aviation.
Vincent GroizeleauRédacteur en chef de meretmarine.com
Après cette section dédiée aux chaufferies nucléaires, les chantiers de l'Atlantique produiront la coque, "comme pour un paquebot". Ils assembleront tous les blocs pour faire le bateau et en conduire les essais.
Vincent Groizeleau n'a aucun doute sur la capacité des 3500 employés des chantiers navals nazairiens à réaliser le porte-avions qui, malgré ses dimensions gigantesques, reste "plus petit que les très gros paquebots de type Oasis qui voient le jour à Saint-Nazaire".
Les navires militaires, une filière rentable pour les chantiers de l'Atlantique
La construction du bâtiment militaire est l'occasion de mobiliser les savoir-faire de l'industrie maritime ligérienne, mais elle présente aussi une aubaine pour les chantiers de l'Atlantique.
"Le militaire est toujours plus rentable que le civil, donc c'est intéressant économiquement, analyse Vincent Groizeleau, c 'est aussi intéressant dans cette période de transition sur la décarbonation des navires qui fait qu'il y a un petit peu moins de commandes. Le militaire va venir garnir le plan de charge."
La diversification du chantier dans les bateaux militaires est importante, il y a aussi 4 ravitailleurs à faire à Saint-Nazaire, le premier vient de sortir.
Vincent GroizeleauRédacteur en chef de meretmarine.com
Selon Vincent Groizeleau, la diversification des chantiers de Saint-Nazaire doit se poursuivre vers "le militaire, les services, les énergies marines et la croisière parce qu'il y a beaucoup d'enjeux, et il faut continuer à faire vivre ces chantiers dans les années qui viennent".
Les bénéfices supplémentaires qui vont arriver par le militaire vont en partie servir à la modernisation du site et à le garder compétitif.
Vincent GroizeleauRédacteur en chef de meretmarine.com
Ces nouveaux horizons sont l'opportunité pour cet "outil industriel unique" d'engranger des résultats financiers qui lui permettent de continuer à se développer.
Les porte-avions plus vulnérables que par le passé
Au-delà de la bonne santé économique des chantiers navals, la question de l'utilité de remplacer le porte-avions Charles de Gaulle peut se poser.
Sera-t-il pertinent de disposer d'un nouveau porte-avions en 2040 ? Les grandes armées du monde sont en train d'élaborer des missiles supersoniques capables de frapper à des milliers de kilomètres et d'aller si vite qu'ils seront quasiment indétectables.
Pour certains experts, ces nouvelles armes font du porte-avions une cible facile.
"La probabilité de destruction, de vulnérabilité du porte-avions grandit énormément, explique Bernard Norlain, ancien commandant de la force aérienne de combat , c'est un instrument stratégique qui est désuet, qui n'est plus pertinent, qui n'est plus utile stratégiquement et qui coûterait cher."
Plusieurs territoires ultramarins français à défendre
Certes, les menaces évoluent mais les systèmes de protection du navire peuvent s'adapter et surtout, pour d'autres experts, le porte-avions reste le seul moyen de se projeter efficacement en haute mer.
"C'est d'autant plus important dans le cas de la France car notre pays a des territoires ultramarins qui sont dans l'Atlantique, dans l'océan Indien et dans le Pacifique où résident quand même pratiquement 3 millions de Français donc ce n'est pas un sujet anecdotique", estime Camille Grand Chercheur au Conseil Européen pour les Relations internationales.
Reportage de Marc de Chalvron et Julien Cordier
La France n'est pas la seule à faire le pari du porte-avions pour l'avenir. Les États-Unis et la Chine ont tous les deux plusieurs bâtiments en cours de construction.